« Nous devons œuvrer pour avoir plus de croissance, créer davantage d’emplois, et donc de mieux-être dans nos sociétés [1] ». Voici résumée en une phrase, prononcée par Emmanuel Macron en ouverture du dernier sommet du G7 à Biarritz, toute la mythologie de la croissance économique : la croissance crée des emplois, et donc du bien-être dans la société !
Le drame se joue ici dans le « donc » : l’un, le bien-être, serait la conséquence de l’autre, la croissance. C’est le genre de fausses évidences que l’économiste Éloi Laurent met en pièces depuis quelques années. Car en vérité, c’est exactement le contraire qui se passe : c’est le bien-être (défini notamment par la santé et l’éducation) qui crée le développement économique.
On pensait le mythe de la croissance déjà dépassé : « pas de croissance infinie dans un monde fini », n’est-ce pas [2] ? Pourtant, rappelle Éloi Laurent, c’est encore elle qui structure toute notre économie : en ce moment, à l’Assemblée nationale française est discuté le projet de loi de finances 2020, c’est-à-dire le budget, et tous les calculs et choix budgétaires sont faits à partir… des prévisions de croissance. Oh bien sûr, nous n’en sommes plus à « chercher la croissance avec les dents », comme du temps de Sarkozy, aujourd’hui nous poursuivons une croissance « durable » et « responsable » [3]. Mais nous continuons à compter ce qui ne compte pas. Et à ne pas compter ce qui compte vraiment.
Un entretien de Jérémie Younes avec Éloi Laurent, économiste, auteur de Sortir de la croissance. Mode d’emploi (Les Liens qui libèrent, 2019).