Bashlor, 45 ans, agent commercial SNCF à Pantin

Premiers de corvée : six rencontres dans le neuf-trois (01/06)

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Les bourgeois et les artistes ont fui vers la campagne et la mer, tandis que dans le neuf-trois, les pompes funèbres sont débordées pour « excès de mortalité exceptionnel ». Le COVID-19 met partout à nu la violence des inégalités sociales. Aide-soignantes, livreurs, caissières, éboueurs, saisonniers, routiers sont applaudis en attendant une augmentation et une inversion de la hiérarchie des rôles et des salaires. Pourquoi pas ? Car de qui avons-nous besoin ?

Une infirmière ou un publicitaire ?
Une caissière ou un trader ?
Un éboueur ou un spécialiste de l’optimisation fiscale ?
Un ramasseur d’asperge ou un BHL ?
Une aide-soignante ou une reine d’Angleterre ?

En attendant votre réponse, voici six rencontres, six portraits, six tranches de vie, dans le neuf-trois là où, aujourd’hui, la mort frappe le plus fort.

(photo : Magali Bragard/LÀ-BAS SI J’Y SUIS)

01/06 : Bashlor, 45 ans, agent commercial SNCF à Pantin

« J’ai décidé de continuer à travailler alors que j’ai trois enfants. Mais je savais que mes parents pouvaient les garder. La situation est tellement exceptionnelle, je préfère être là pour être utile.

Mais c’est très calme dans la gare. J’essaie quand même de renseigner les gens au mieux. De faire ce que je peux pour aider les usagers.

On a la consigne de ne pas sortir de notre guichet, où on est protégé par la vitre. Mais bien sûr, je sors si des clients ont besoin d’aide. Et même s’il n’y a presque personne, ça doit arriver ou moins quatre ou cinq fois par jour. J’essaie quand même de faire attention. On a reçu du gel, mais pas de masques. Comme partout, c’est la pénurie. Et pourtant, à la SNCF, on est quand même mieux lotis qu’ailleurs.

Au boulot, on est tous solidaires. Les cheminots, c’est comme une famille. On prend des nouvelles les uns des autres. On se soutient. Moi, ça fait 20 ans que je travaille à la SNCF et j’ai toujours eu le sourire. Et j’arrive presque toujours à ce que mes clients repartent avec le sourire aussi. Même quand il y a des problèmes. Par exemple, je suis préposé à la vente de billets franciliens, et je me suis formé tout seul pour pouvoir vendre des billets grandes lignes aux personnes âgées qui n’ont pas Internet, à ceux qui ne peuvent pas aller jusqu’à Paris juste pour acheter un billet. J’ai toujours fait au mieux pour aider les gens, donc je continue.

Depuis le début de l’épidémie, j’entends des clients nous dire : "si vous n’étiez pas là, je ne sais pas comment on pourrait faire". Mais pour autant, je ne me sens pas comme un héros. Et d’ailleurs, j’aimerais faire plus, comme aider à l’hôpital.

Je circule à vélo pour venir travailler, j’ai l’impression de ne pas trop prendre de risques, je suis en bonne santé, je fais attention mais je commence à être inquiet avec tous ces morts. Ici, en France, nous sommes un pays développé et je ne comprends pas comment ils peuvent aussi mal s’organiser au gouvernement. Je ne comprends pas qu’on soit si peu préparés. Une partie de ma famille est en Inde du Sud, pas loin de Pondichéry. Je les ai régulièrement au téléphone. Ils sont inquiets pour nous en France ! Mais moi je suis inquiet pour eux…

Et puis je suis aussi inquiet pour l’avenir car, après la crise sanitaire, à la SNCF, c’est la mise en concurrence qui nous attend. Je ne sais pas comment ça va se passer. Il y a déjà eu tellement de suppressions de postes depuis 10 ans. Peut-être que la situation va enfin faire réfléchir les gens à l’importance du service public. »

(photo : Magali Bragard/LÀ-BAS SI J’Y SUIS)

photos et propos recueillis par Magali Bragard

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