La lettre hebdo de Daniel Mermet

Les philosémites sont des antisémites qui aiment les Juifs

Le

Cet article est en accès libre grâce aux abonnés modestes et géniaux, mais…

…sans publicité ni actionnaires, Là-bas si j’y suis est uniquement financé par les abonnements. Sans les abonnés, il ne nous serait pas possible de réaliser des émissions et des reportages de qualité. C’est le prix de notre indépendance  : rejoignez-nous  !

Je m'abonne J'offre un abonnement

L’ami Éric Hazan aimait répéter cette boutade. Sauf que c’est plus une boutade depuis quelque temps. Main sur le cœur et larme à l’œil, c’est toute l’extrême droite qui est devenue philosémite avec plein de petits cœurs autour. Dans un retournement extraordinaire, cul par-dessus tête, c’est Mélenchon qui remplace le vieux Le Pen sur le podium de l’antisémite exécré.

Le mensonge à des fins politiques est une longue histoire. Mais là, c’est très gros. L’accusation d’antisémitisme est aussi grave que le viol ou la pédophilie. C’est l’arme lourde, l’opprobre absolu. Pas besoin d’argumenter et encore moins de débattre, il suffit d’accuser. Un bout de phrase, une vague image et c’est la tache indélébile. Edgar Morin, Pascal Boniface, Pierre Péan, Siné, Charles Enderlin et même votre serviteur. La liste est longue. Le but était de faire porter à la gauche le chapeau de l’antisémitisme en faisant des procès. Beaucoup de procès tous aussi bancales, peu importe qu’ils soient tous perdus. Ça prouve le laxisme judiciaire, la justice aussi est antisémite. Il faut discréditer cette gauche islamo-gauchiste, et pro-palestinienne…

La lutte contre l’antisémitisme commence par la lutte contre l’instrumentalisation de l’antisémitisme. Il faut le dire et le répéter, la banalisation de l’antisémitisme favorise son développement. Si tout le monde est antisémite, alors c’est pas si grave. C’est juste une critique, une libre opinion.

Depuis le 7 octobre, la terreur et les massacres en Israël et à Gaza se répercutent dans le monde en réveillant les traumatismes et les ressentiments enfouis. Instrumentaliser ces souffrances pour engranger des suffrages, c’est une tambouille cynique qui a le goût de cette tartine de merde dont parle élégamment Frédéric Lordon. Moins la tartine.

Leur truc, c’est d’abord d’entretenir la confusion entre Israël, le sionisme, et l’antisémitisme. Là, il faut expliquer, un peu.

Le sionisme est une doctrine politique à l’origine du nationalisme israélien divisée en plusieurs tendances, gauche, religieux, nationaliste. Ça peut donc être contesté. L’antisionisme non plus n’est pas un délit. Pas d’amalgame « antisionisme égale antisémitisme ». C’est ce que voulait Macron. C’est ce que veut l’ultradroite sioniste. Mais attention, prudence. Les vrais antisémites se planquent parfois sous cette étiquette. Un Dieudonné peut en cacher un autre. Et au passage n’oublions pas que l’antisémitisme de gauche a existé dans notre bel hexagone et qu’il peut récidiver. La gauche a connu beaucoup moins de cas. L’extrême droite, c’est dans son ADN. Jean-Marie Le Pen, c’est l’antisémite militant et négateur des chambres à gaz. Notre futur premier ministre Jordan Bardella l’avait oublié, il a fallu lui rappeler comment on écrit OAS et Waffen-SS.

Attention aussi à ne pas mélanger Israël et le gouvernement israélien. Actuellement le copain de Guillaume Meurice, le souriant Netanyahou, est détesté par une grande majorité d’Israéliens qui veulent le virer, ils le trouvent vraiment trop facho. Mais pas d’inquiétude chez les marchands de canons, son successeur continuera le combat. Il sera soutenu par toutes les extrêmes droites du monde. Ils se refilent des arguments quand ils se retrouvent entre eux, ça rigole : « la preuve que je ne suis pas antisémite, c’est que je déteste les Arabes ».

Ainsi les extrêmes droites philosémites ont les mains blanches et peuvent se consacrer à défendre la civilisation occidentale contre le grand remplacement et appliquer pleinement la préférence nationale. Avec en plus le soutien de Serge Klarsfeld et de l’académicien Alain Finkielkraut, qui votera RN mais en pleurant.

Mais tout ça vient de loin. Ça se prépare depuis des années. Un exemple, il y a plus de 20 ans, le 21 avril 2002, quand à la surprise générale le papa Le Pen arrive au premier tour devant Jospin, le président du CRIF Roger Cukierman donne un entretien au journal israélien Haaretz : « Roger Cukierman a dit qu’il espérait que la victoire de Le Pen servirait à réduire l’antisémitisme musulman et le comportement anti-israélien, parce que son score est un message aux musulmans leur indiquant de se tenir tranquilles. »

Et philosémites aussi ?

Daniel Mermet

P.-S. Sinon Là-bas a signé le FRONT COMMUN DES MÉDIAS CONTRE L’EXTRÊME DROITE avec une centaine de collègues. Du coup France Télévisions a écarté cinq journalistes de la Société des journalistes de France 3 alors qu’ils n’avaient même pas appelé à voter pour un parti plus qu’un autre. C’est là qu’on comprend ce que voulait dire Howard Zinn : « you can’t be neutral in a moving train ». Tu peux pas être neutre quand le train est en marche.

P.-P.-S. L’un des buts de l’extrême droite, c’est la privatisation du service public de l’audiovisuel. Bolloré va-t-il agrandir son empire ? L’extrême droite lui doit beaucoup. C’est vraiment le moment de soutenir les médias indépendants. Nous avons mis la plupart des articles en accès libre pour cette période. Faites circuler. Et vite abonnez-vous, réabonnez-vous. Et si vous voulez que quelqu’un pense à vous toute l’année et même toute la vie, offrez-lui un abonnement à Là-bas. Regardez les tarifs d’abonnement et vous comprendrez pourquoi tout le monde en offre à tout le monde.

P.-P.-P.-S. Sinon et même en plus, vous pouvez faire un don, un petit don ou un gros don, et vous aurez une remise d’impôt si vous êtes imposable : lorsque vous faites un don de 100 € par exemple, vous déduisez 66 € de votre impôt, il vous coûtera donc seulement 34 €. Et si vous avez la moindre question sur votre abonnement, celui que vous avez offert ou sur le don que vous voulez faire, appelez-nous au 01 86 95 25 02, Leïla fera tout pour vous aider !

C'est vous qui le dites…Vos messages choisis par l'équipe

Les bouquins de LÀ-BASLire délivre

  • Voir

    La bibliothèque de LÀ-BAS. Des perles, des classiques, des découvertes, des outils, des bombes, des raretés, des bouquins soigneusement choisis par l’équipe. Lire délivre...

    Vos avis et conseils sont bienvenus !

Dernières publis

Une sélection :

La sociologue publie « Les riches contre la planète. Violence oligarchique et chaos climatique ». Entretien Monique Pinçon-Charlot : « Dans tous les domaines de l’activité économique et sociale, les capitalistes ont toujours, toujours, toujours des longueurs d’avance sur nous » AbonnésVoir

Le

La sociologue Monique Pinçon-Charlot, qui a longtemps analysé avec son mari Michel Pinçon les mécanismes de la domination oligarchique, publie un nouveau livre sur le chaos climatique et elle n’y va pas avec le dos de la cuiller en bambou. Entretien.

Les riches détruisent la planète, comme l’écrivait le journaliste Hervé Kempf. On le sait. Ils le savent. Ils le savent même depuis bien longtemps ! Le nouveau livre de Monique Pinçon-Charlot risque de ne pas plaire à tout le monde. Dans Les riches contre la planète, elle raconte comment une poignée de milliardaires est en train d’accumuler des profits pharaoniques en détruisant la nature, les animaux, les êtres humains et finalement toute la planète, menacée par les émissions de gaz à effet de serre.

Mais surtout, la sociologue analyse comment l’oligarchie, qui a toujours eu une longueur d’avance, organise, encadre et finance sa propre critique et ses contestataires. Histoire que l’écologie ne soit pas un frein au business, mais au contraire l’opportunité de développer de nouveaux marchés selon une « stratégie du choc » décrite par la canadienne Naomi Klein. Le capitalisme fossile est mort ? Vive le capitalisme vert !

Alors que faire ? Arrêter de parler d’« anthropocène », ce n’est pas l’humanité tout entière qui est responsable du dérèglement climatique, mais de « capitalocène », la prédation du vivant étant consciemment exercée par quelques capitalistes des pays les plus riches. Ensuite comprendre ce que masquent les expressions « transition écologique  », « neutralité carbone » ou encore « développement durable » forgées par le capitalisme vert. Et surtout lire d’urgence le livre de Monique Pinçon-Charlot pour prendre conscience que les mécanismes de la domination oligarchique s’immiscent partout, y compris là où on ne les attendait pas…

Alain Ruscio publie « La première guerre d’Algérie. Une histoire de conquête et de résistance, 1830-1852 » aux éditions La Découverte La première guerre d’Algérie (1830-1852) AbonnésVoir

Le

« Par milliers, les Algériennes et les Algériens furent humiliés, spoliés, déplacés, enfumés, massacrés, décapités... » Il faut connaître cette époque pour comprendre la suite de la colonisation et son dénouement tragique. Dénouement que certains n’acceptent pas et qui le ravivent comme une amputation. Pourtant recherches, témoignages et reportages au cours des dernières années semblaient avoir apporté les moyens d’un apaisement des mémoires. Mais une extrême droite revancharde et négationiste, dotée de forts moyens médiatiques, gagne du terrain. Face à la concurrence des rentes mémorielles, il est donc nécessaire de mieux connaître cette sombre sanglante histoire. Aussi ROSA MOUSSAOUI interroge ALAIN RUSCIO, un des meilleurs historiens du fait colonial qui publie une somme passionnante à La Découverte.

Frédéric LORDON publie« Figures du communisme » aux éditions La Fabrique. Un entretien en deux parties Frédéric Lordon, le capitalisme nous détruit, détruisons le capitalisme (2/2) AbonnésVoir

Le

Depuis longtemps on se répète : « on sait pas ce qu’on veut, mais on sait ce qu’on veut pas ». Si Lordon reprend la formule, c’est tout d’abord pour dire que ce qu’on ne veut pas, c’est le capitalisme. Nous n’avons plus le choix, c’est lui ou nous, il n’y a plus d’arrangement possible. Comme dit un AMG, « repeindre le capitalisme en noir ne suffit plus ». Oui, c’est vrai, déplorer, dénoncer, condamner, s’indigner à longueur d’année nous conduit à l’impuissance et à la résignation, c’est-à-dire là où nous sommes aujourd’hui.