Entretien : Daniel MERMET avec Jean-Luc MÉLENCHON

Le monde d’après, c’est maintenant (texte)

Le

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Voici la transcription de l’entretien que Jean-Luc Mélenchon a accordé à Daniel Mermet le 28 mars dernier.

Daniel Mermet — Voilà le gros titre du quotidien Le Parisien qui appartient au multimilliardaire Bernard Arnault : « et si la France faisait elle aussi appel à des médecins cubains ? » [1], avec une photo représentant des médecins cubains autour d’un portrait de Fidel Castro avant leur départ pour l’Italie.

Jean-Luc Mélenchon — Pour quelqu’un comme moi, je ne peux que savourer l’humour de la situation. Les Cubains sont là, ils aident tout le monde. On avait déjà vu Cuba à l’œuvre en Haïti, dans toute la zone des Caraïbes. Ils sont venus aussi nous aider quand il y a eu la tornade. Mais l’anticommunisme grossier, le racisme anti-caribéen de la presse parisienne, tout ça se combine aux habitudes médiatiques qu’on connaît bien – comme d’appeler Fidel Castro le « Lider Maximo » alors que jamais personne ne l’a appelé comme ça, c’est juste une caricature de la CIA. Mais pour un journaliste parisien, ça se fait d’insulter comme ça à distance, ça ne coûte rien.

Mais ils n’ont jamais tenu compte de l’importance de la médecine cubaine et du choix qu’a fait Cuba de développer les sciences et les techniques. Fidel disait : « nous, on ne fabrique pas de bombes, on n’a pas inventé le napalm, on n’a pas d’armes bactériologiques, on aide les autres et on soigne. » Et des médecins cubains, il y en a eu partout : au Venezuela, en Bolivie… Partout où il y avait des problèmes liés à l’arriération sanitaire des pays, les Cubains sont venus donner des coups de main. C’est assez spectaculaire à voir.

Mais les voilà en Europe. Alors là, il faut quand même se rappeler que Cuba est un tout petit pays, c’est une île dans les Caraïbes. Et c’est le monde à l’envers de voir une petite île comme ça venir aider l’Italie et d’autres pays. Et Cuba est toujours sous embargo des États-Unis d’Amérique, qui continuent d’essayer d’étrangler tout le monde autour d’eux – le Venezuela, où ils ont mis la tête à prix de Maduro, et Cuba évidemment. Pour ce qui est du portrait de Fidel, je ne sais pas si ça correspond. Parce que sur les images que j’ai vues, quand ils ont débarqué, il y a le drapeau cubain, ils viennent comme peuple d’une nation. Il faut se méfier parce que la presse parisienne est assez spécialisée dans les photos bidon.

Est-ce que la France va faire appel à Cuba ? Oui, s’ils ont une méthode qui fonctionne, s’ils ont le savoir-faire, on peut leur demander conseil, il n’y a pas de honte. Mais la honte, elle est pour nous, Français, d’être incapables de se prendre en charge, d’organiser la réplique et pas seulement pour le peuple français : je ne cesse de dire depuis le début que la France devrait être en état de produire par centaines de millions des masques et suffisamment de respirateurs pour alimenter et être prêts à aller à la rescousse, comme les Cubains le font avec les Italiens. Les Français, si on les appelle, devraient être prêts à aller aider dans tout le Maghreb et dans toute l’Afrique, au sud du Sahara, puisque nous avons quand même une responsabilité dans le sous-développement sanitaire de cette région du monde.

Daniel Mermet — Tu as parlé de nationalisation, mais tu n’es pas le seul. Un certain Geoffroy Roux de Bézieux est lui aussi favorable à la nationalisation d’entreprises en grande difficulté. Est-ce que vous parlez de la même chose ?

Jean-Luc Mélenchon — Je crois que non, parce que Roux de Bézieux est le patron du Medef, donc son unique problème dans la vie, c’est les profits. Quand il parle de nationalisation, il voudrait que l’État nationalise, c’est-à-dire socialise les pertes ; qu’il nationalise les entreprises en grande difficulté pour ensuite les remettre sur le marché une fois qu’il aura épongé la difficulté.

Moi, ce n’est pas ça que je pense. D’ailleurs, les nationalisations, pour moi, ne sont qu’une composante d’un plan beaucoup plus général, que je nomme la planification ou la mobilisation sanitaire. On peut appeler ça comme on veut, parce que les gens sont surtout effrayés par les mots : quand ils entendent « planification », ils ne réfléchissent plus, ils pensent que c’est l’URSS ou je ne sais quoi. La planification, il y en avait en France sous de Gaulle, mais ils ont tous oublié. Comme beaucoup des dirigeants et des commentateurs sont sous l’emprise d’une idéologie qui paralyse leur cerveau, quand ils entendent « planification », ils ont peur et ils n’écoutent pas la suite, donc on peut appeler ça autrement.

L’idée, c’est de coordonner tous les moyens à mettre en œuvre pour atteindre un résultat finalement assez simple : combien nous faut-il de masques dans ce pays par semaine ? On commence par dire combien il en faut, après on regarde où est-ce qu’on pourra les produire. Il y a 1 000 entreprises et 100 000 ouvriers dans ce pays qui travaillent dans le textile. Ce n’est pas la mer à boire de les mobiliser. D’ailleurs, il y a au moins une entreprise qui a changé d’elle-même sa ligne de production pour fabriquer des masques.

Même réflexion pour les respirateurs. On a des usines d’automobiles qui ont toutes les machines dont on a besoin pour l’industrie mécanique avancée. Je parle d’automobiles parce que, en Grande-Bretagne, ce sont les constructeurs automobiles qui se sont proposés pour le faire. Pour les tests, c’est à peu près le même niveau. J’ai ainsi posé cette question au docteur Raoult : comment arrivez-vous à faire autant de tests en si peu de temps ? Il m’a répondu : ce n’est rien, c’est un problème de logistique, le test lui-même n’a rien de mystérieux. Donc là aussi, il faut produire les tests en très grande quantité. C’est ça qu’il faut planifier. Il s’agit de mettre tous les compartiments de la production les uns à côté des autres, et puis réquisitionner, nationaliser quand on ne peut pas faire autrement, et procéder comme ça pour tous les compartiments.

Par exemple, Sanofi sait fabriquer la chloroquine : très bien, il faut passer des commandes ! Il faut réquisitionner les usines, de même qu’il ne faut pas laisser les États-Unis d’Amérique acheter sur le marché tout ce qui leur tombe sous la main, y compris en France où ils achètent les écouvillons qu’on met dans le nez pour faire les tests. Car c’est cette fameuse loi du marché qui continue, sur laquelle Macron lui-même comptait (« ça ne sert à rien de produire en France, on va acheter aux autres »). Il n’avait simplement pas réfléchi que les autres pouvaient décider qu’eux aussi achetaient ou bien réservaient leurs productions à eux-mêmes, ce qui s’est produit pour les Chinois il y a un temps. Et là, ce sont les États-Unis : ils viennent d’acheter tout le stock d’une entreprise qui travaille – je crois – dans l’Aveyron, et qui produit les écouvillons pour le test.

Tout ça est complètement incohérent, n’est pas organisé, et le pouvoir gesticule. On les voit apparaître, ils font des points de presse, le président s’agite devant une tente militaire, utilise un vocabulaire guerrier. Mais je crois que s’ils sont aussi mauvais pour la bataille – d’abord, une épidémie, ce n’est pas une guerre –, je ne sais pas ce qu’ils feraient en temps de guerre, ce serait épouvantable.

Daniel Mermet — Vous, La France insoumise, François Ruffin, vous vous préoccupez du monde d’après, et d’autres aussi. Bien sûr, on veut que les choses changent, mais on peut être inquiet quand on voit l’état d’urgence sanitaire qui vient d’être adopté. On risque là d’avoir une réduction des libertés publiques, comme on l’a vu avec l’état d’urgence contre le terrorisme suite au drame du Bataclan. Les pouvoirs ne manquent jamais de profiter de l’émotion générale, du choc, pour reprendre le pouvoir sur les citoyens et réduire ce truc très emmerdant qui s’appelle la démocratie. Il y a un risque, là ?

Jean-Luc Mélenchon — Absolument, c’est plus qu’un risque, c’est une réalité. J’en profite pour dire une chose : je pense que, dans notre pays, il y a tout un secteur de l’opinion, des intellectuels, qui sont en bataille contre l’ordre du monde qui a conduit à ce désastre depuis déjà de nombreuses années. Évidemment, on a beaucoup annoncé des catastrophes, on en a vues comme en 2008, mais ça n’avait jamais l’air de guérir personne du système.

Cette fois-ci, toute cette fraction de la population dit : on avait raison, donc maintenant il faut penser au monde d’après. Je trouve ça très intéressant et très utile. Mais honnêtement, pour moi, le monde d’après, d’une certaine manière, est déjà contenu dans le programme « L’Avenir en commun » que j’ai défendu. Mais surtout, je dis que le monde d’après, c’est maintenant qu’il doit commencer. Parce que ce qui ne va pas dans le monde d’aujourd’hui, c’est l’égoïsme social, le goût du profit, la cupidité, le marché libre. Toutes ces sornettes ont mis le monde dans ce désastre avec lequel il faut rompre maintenant, pas après. C’est maintenant qu’il faut mettre la fraternité, l’entraide, la gratuité, le service public et l’État à l’ordre du jour. C’est le premier compartiment.

Je ne cesse de répéter que le monde d’après commence maintenant, et je crois que mes amis commettraient une erreur en croyant qu’on va attendre sagement, comme si la période actuelle était une période où la politique serait mise entre parenthèses, sous couvert d’union sacrée ou de je ne sais quel grand mot qu’on utilise, et qui sont des emballages pour dire : silence dans les rangs, taisez-vous, obéissez et ne critiquez rien ni personne, même si ce qui se fait est absolument stupide.

L’autre problème que tu évoques, c’est celui de la démocratie. Là, tu mets le doigt au bon endroit parce que nous, les députés insoumis, avec les députés communistes, avons refusé de voter leurs mesures d’urgence. Il y avait deux raisons à ça. La première, c’est qu’on a l’impression de s’être fait avoir parce qu’on avait voté le projet de loi de finances. Il n’engageait pas à grand-chose, il n’y avait rien pour les travailleurs mais eux prétendaient qu’ils allaient l’améliorer. Mais c’est vrai qu’il y avait une série de choses qui nous intéressaient. Ils se sont dit : puisque c’est comme ça, ça montre que les communistes et les insoumis vont tout avaler, donc on fait ce qu’on veut.

Et dès le lendemain, ils ne répondaient plus à nos questions. On leur demandait : pourquoi est-ce que vous ne faites pas des tests systématiques alors que l’Organisation mondiale de la santé dit qu’il faut les faire ? Je prends cet exemple parce que je le trouve très frappant. J’ai posé la question trois, quatre fois en séance publique. Ils ne répondaient jamais, comme si on n’avait pas parlé, comme si on n’avait rien dit, comme si on n’était pas là. Cet exemple est loin d’être le seul dans le débat. Donc on a compris que pour eux, chaque fois que quelqu’un fait un geste pour dire : bon, on veut tenir compte de la difficulté dans laquelle vous êtes, eux en profitent aussitôt pour essayer d’en tirer un avantage et de frapper leurs adversaires.

Je pourrais mettre dans le même ordre d’idées le fait qu’ils répètent tous que nous étions d’accord pour organiser le premier tour des élections municipales. Mais c’est absolument faux ! Ils ne nous ont jamais posé la question. Mais pourtant ils le répètent. Pourquoi ? Parce qu’ils veulent coller sur le dos des autres leur responsabilité. Donc on a là une équipe qui a des méthodes de relation assez répugnantes.

Sur la question de la démocratie, évidemment, c’est ce qu’on a vu tout de suite. Quand on a vu qu’ils touchaient au code du travail, on a dit : on les connaît, on sait ce qu’il vont faire, ça va être à nouveau une occasion pour profiter de la situation. En plus, je leur ai dit : je me méfie de vous. Ils nous répondaient : « c’est provisoire, ne vous inquiétez pas ». Je leur ai dit : vous nous l’avez déjà faite, celle-là, avec l’état d’urgence antiterroriste. Vous avez reconduit six fois l’état d’urgence et un jour, vous êtes arrivés et vous avez dit : « on ne peut pas vivre tout le temps dans l’exceptionnel, donc on va passer tout le contenu de l’état d’urgence antiterroriste dans le droit commun ». Voilà comment ils ont fait passer tout ça dans le droit commun.

Si jamais on avait eu un doute, ils auraient pu nous dire : « vous faites un procès d’intention parce que vous êtes excessifs, vous êtes l’opposition, etc. » En attendant, c’est Stanislas Guerini lui-même, le responsable du mouvement La République en marche, qui s’est directement exprimé devant nous et qui a dit : « il faudra penser, le moment venu, à introduire dans le droit commun les mesures de l’état d’urgence sanitaire ». Il ne s’en cache même pas !

Je ne veux pas faire de mauvais esprit, mais je vous demande de regarder ce que vous voyez. Vous voyez un peuple de 65 millions d’habitants qui, du fait de l’impéritie de ses dirigeants, qui ont été incapables d’enrayer le démarrage de l’épidémie et de la contrôler, ont condamné un peuple entier à ce qu’ils appellent le « confinement forcé ». Le confinement forcé, c’est la prison, d’habitude. Mais c’est ce qu’on fait, on s’est nous-mêmes mis en prison – il faut dire qu’on n’a pas le choix et qu’il faut rester chez soi.

Tu allumes la télé et, du matin au soir, tu t’apercevras qu’il s’est produit un grand événement dans le pays : il n’y a plus d’opposition politique ! Il y a le gouvernement – tous les jours un ministre sur la télé publique, comme dans des pays qu’on connaît –, jamais un opposant, et puis des médecins, des experts qui disent des choses contradictoires et qui tiennent lieu d’esprit critique et éventuellement d’opposition. Voilà le tableau. Tout le monde s’est auto-confiné et ne s’expriment plus publiquement que des gens qui exercent le pouvoir et qui confrontent leur pouvoir non pas à la politique mais aux experts, entretenant l’illusion que quelqu’un détiendrait la vérité.

Et bien sûr, quand on entend les experts scientifiques, on est en état de se rendre compte que c’est une illusion. La vérité, hélas, on doit la chercher, et la décision est toujours politique à la fin. On voit des choses extravagantes comme cette histoire de médicament du professeur Raoult, qui a déjà été prescrit à un milliard de personnes, et le gouvernement décide qu’il lui faut quinze à vingt jours pour vérifier qu’il n’est pas nocif, alors qu’il est prescrit depuis des décennies. Et qui décide de l’utiliser dans des conditions telles que, naturellement, les essais ne seront pas concluants, puisque ce médicament doit être pris au début et qu’eux ont décidé de ne l’appliquer qu’aux gens qui sont déjà très gravement malades. Voilà dans quel environnement incroyable nous vivons.

Les libertés démocratiques sont d’ores et déjà réduites et mises en cause. Le monde d’après, c’est maintenant qu’il faut qu’il commence parce qu’eux ont commencé le leur ! C’est un monde où il y a moins de démocratie, où les peuples sont enchaînés, contraints au silence, confinés. Ils ne peuvent sortir que pour aller bosser, ramasser des asperges si par hasard ils sont (comme il a été dit) hôtesses d’accueil ou coiffeurs, c’est-à-dire des métiers dont le pouvoir estime qu’aujourd’hui ils n’ont pas lieu d’être.

Daniel Mermet — Je voudrais qu’on prenne un peu plus de recul historique. Si on pense aux grandes épidémies – comme les pestes du quinzième siècle, la grippe espagnole –, ce qui est curieux, c’est comment les historiens ne prennent pas en compte ces grands bouleversements. D’une part, on a les scientifiques qui étudient ces phénomènes, et d’autre part on a le boulot des historiens, mais ça ne coïncide pas.

Je relisais l’historien Eric Hobsbawm sur la période de la Première guerre mondiale. Il en parle d’une manière formidable, mais il n’y a pas un mot sur la grippe espagnole et ses millions de morts ni sur les conséquences sociales, politiques, économiques, etc. Les épidémies ne font pas partie de notre conscience historique.

Jean-Luc Mélenchon — C’est absolument certain, et ce n’est pas d’aujourd’hui. Tu as lu un ouvrage plus récent, mais moi je me suis replongé dans les grandes épidémies de peste. Celle qui m’a intéressé pour d’autres raisons, c’est celle qui a eu lieu en 1348, parce qu’à l’époque il y a déjà pas mal de chroniques.

Et le grand chroniqueur de l’époque, Jean Froissart (celui qui va ensuite écrire des textes sur les jacqueries) ne mentionne qu’une fois la peste, et pourtant elle a tué aux alentours de la moitié de la population. Donc ce n’est pas d’aujourd’hui.

Pourquoi ? Parce que les commentateurs et les historiens agissent et pensent dans le cadre d’une conception du monde, d’une idéologie. En ce qui concerne Froissart et les autres après, c’était qu’ils n’en avaient rien à fiche du peuple parce que c’était les petites gens. Ça valait la peine d’être mentionné quand un grand seigneur mourait, mais pas autrement. Et nos historiens contemporains ne donnent aucune place aux fluctuations du nombre de la population, qui est pourtant un facteur historique déterminant. Par exemple, on ne peut pas s’expliquer le changement historique du néolithique sans tenir compte du fait que c’est parce que la population, tout d’un coup, s’est accrue qu’il y a eu ce changement considérable. Mais le changement de dimension de la population, avec l’agriculture et l’élevage, a créé les conditions des épidémies de masse qui auparavant n’existaient peut-être pas dans les mêmes conditions, parce que les groupes humains ne vivaient pas au contact des animaux.

Sur 2 500 virus qui tuent un être humain, il y en a plus de 1 500 qui viennent des animaux. Et donc l’« homo domesticus » de James C. Scott montre bien ce rapport des êtres humains aux animaux et ce que ça va donner. Aujourd’hui encore, l’épidémie vient d’un virus qui est passé d’une espèce à l’autre, en l’occurrence de l’espèce animale à l’espèce humaine. Par rapport à l’épidémie contemporaine, je vais faire une comparaison que tu vas peut-être trouver un peu audacieuse, et que je n’ai pas encore eu le temps de mettre par écrit. Cette épidémie, c’est un moment à l’intérieur d’un phénomène de civilisation qui s’appelle la globalisation libérale. C’est donc un symptôme de cette forme d’organisation de la société. Je veux le rapprocher du précédent échec qu’a connu une autre forme de la globalisation, qui était l’impérialisme du début du XXe siècle, qui a débouché sur la guerre de 14-18.

Et la révolution bolchévique éclate non pas pour des raisons idéologiques, c’est une vue de l’esprit de le croire. Elle éclate parce que les femmes vont à l’assaut du tsarisme pour dire : maintenant ça suffit, il y a déjà 2 millions et demi d’hommes qui sont morts, vous êtes incapables de gérer cette situation. Tout ce que vous avez à nous proposer, c’est la guerre qui dure, et nous, on en a assez, vous allez arrêter ça tout de suite. Et elles font s’effondrer le régime. À la fin, le changement va passer au communisme pour l’unique raison qu’aucune autre formation politique n’est capable d’arrêter la guerre.

Eh bien, nous allons connaître quelque chose – je pense – de similaire. C’est-à-dire que devant l’incurie, l’incapacité des gouvernements néolibéraux à faire face à l’épidémie, leur intrinsèque stupidité parce qu’ils ne sont pas capables de penser le collectif, l’entraide, la planification, des peuples vont finir par dire : c’est bon, assez, allez faire autre chose, ne vous occupez pas de nos affaires, on va s’en occuper nous-mêmes.

Aujourd’hui, le gros angle mort du moment que nous vivons, c’est que ces gens, ceux qui n’ont pas été capables de penser l’entrée dans la crise, sont également incapables d’en penser la sortie. C’est-à-dire qu’il faudra bien un jour sortir du confinement. Quel jour ? À quelles conditions ? Dans quels domaines ? Comment ferons-nous ? Est-ce qu’à ce moment-là il ne faut pas être capable à nouveau de dépister massivement les gens, à savoir : ceux qui sont encore malades restent confinés, ceux qui ne le sont pas peuvent sortir ?

Ils sont incapables de prévoir la sortie du confinement, ils n’en ont pas la moindre idée. D’ailleurs, ils seront psychologiquement épuisés s’ils attendent encore trop longtemps pour planifier ce qu’il y a à faire. Je pense que ce qui est devant nous est incroyablement plus inouï, plus sans précédent que tout ce que nous pouvons imaginer aujourd’hui. Bien sûr, il y aura la catastrophe économique, évidemment il y aura le choc financier, et il va y avoir la secousse de tous les systèmes, de toutes les structures d’ordre dont la légitimité va être interpellée partout. C’est un moment qu’il faut vivre comme le moment politique maintenant, pas après. C’est maintenant que c’est en train de se faire.

Daniel Mermet — Pendant tout cet entretien, par ma fenêtre, je vois en face de chez moi un chantier sur un toit. Là, les distances de sécurité n’existent pas, les ouvriers prennent des risques. Et je suis persuadé qu’il n’y a aucune urgence à bosser sur cette toiture.

Jean-Luc Mélenchon — Tu vois, un dernier mot. Quand on leur a dit « il ne faut maintenir que les productions essentielles », ils nous ont répondu : « on n’est pas capables de vous dire lesquelles sont essentielles ». On leur a dit : on va vous dire comment faire. Dites ce dont vous avez besoin et réquisitionnez les entreprises. Et tous ceux qui approvisionnent les entreprises réquisitionnées sont des activités essentielles. Ils nous ont regardés comme si on était des mouches sur un bol de lait. Et maintenant, tu apprends qu’ils sont capables de pointer quelles sont les productions dans lesquelles on peut faire 60 heures par semaine. Ils prennent continuellement les gens pour des imbéciles et ils se moquent de nous. Évidemment, derrière, ce sont des pauvres gens qui trinquent. »

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