VIOL, HARCÈLEMENT. UNE ERREUR JUDICIAIRE PASSÉE SOUS SILENCE

Quand Monsieur Kamagate s’est mis à bégayer

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Vamara Kamagate le 10 juin 2009 à la Cour de cassation (photo : Marc Chaumeil)

[RADIO] Quand Monsieur Kamagate s’est mis à bégayer [1er septembre 2009]
Condamné pour viol suite à un mensonge, il est réhabilité, mais une histoire en tous points semblable a été passée sous silence : celle de Varama Kamagate. Un reportage de Charlotte Perry, diffusé la première fois sur France Inter le 1er septembre 2009.

Dénoncer enfin viols et harcèlements est nécessaire et salutaire, mais pas sans risques. La meute des grands médias sait parfaitement allumer les grands emballements émotionnels jusqu’à la nausée et jusqu’au lynchage. Contre cette dictature de l’émotion, on a inventé la loi et la justice. Sauf que les préjugés ont la peau dure au tribunal, surtout lorsque la victime est une fragile femme de 20 ans entre les griffes d’un étranger, noir, hirsute et menaçant.

C’est une jeune femme frêle et fraîche, un soir de février 2008, boulevard Richard-Lenoir à Paris. Elle a vingt ans, elle se balade, elle sourit, elle va retrouver son petit copain qui travaille dans le coin. Soudain, un type surgit, lui saute dessus. Un grand black hirsute la saisit violemment par le cou, il lui pince les seins, elle crie. Il enfonce sa main dans le pantalon de la fille, dans son slip, il frotte et pince son sexe, puis il la repousse en l’insultant et il se tire en courant.

Ce n’est que trois semaines plus tard que la jeune femme, Alexandra G., va trouver la force d’aller au commissariat du quartier. Elle raconte toute la scène à une policière qui l’écoute et tente de la consoler. Elle dépose une plainte, elle décrit son agresseur, un homme de 50 à 60 ans, 1,80 m, de « type africain ».

Deux semaines plus tard, au commissariat, on la convoque pour lui présenter d’abord des photos, puis des types derrière une glace sans tain. Parmi les policiers, l’un est plus attentif et plus prévenant que les autres, puisque c’est son petit ami. C’est à lui qu’elle s’est confiée en premier lieu, et c’est lui qui déploie tout son zèle pour rechercher le coupable. Il lui présente un SDF africain, un certain Vamara Kamagate, qui a été interpellé dans le quartier à l’occasion d’un contrôle d’identité et qui, pour les policiers, « pouvait correspondre » à son agresseur. « Il ne mesure pas 1,80 m mais 1,70 m, il n’a pas "entre 50 et 60 ans", puisqu’il est âgé de 46 ans et il se contente de répéter dans un français approximatif qu’il n’est pour rien dans cette affaire. Mais un vendeur de moto du quartier affirme que c’est bien le SDF qui traînait souvent dans le coin et insultait les passants quand il était saoul et Alexandra G. "pense le reconnaître" sans être toutefois formelle », comme le raconte Pascale Robert-Diard, du journal Le Monde [1].

Le petit ami d’Alexandra montre son autorité et son savoir-faire. Tout va très vite. Vamara Kamagate est arrêté et passe au tribunal, en comparution immédiate, avec un avocat commis d’office. Elle, Alexandra G., n’est pas présente au tribunal. Kamagate est condamné à 18 mois fermes pour violences sexuelles. Il ne fait pas appel, il ignore qu’il peut faire appel et son avocat ne fait pas la démarche. Il est immédiatement incarcéré. Il dit qu’il est innocent, mais « ils disent tous qu’ils sont innocents. » L’affaire est réglée. Au suivant.

En mai 2008, deux mois donc après la condamnation, l’avocate Me Françoise Margo reçoit une bien étrange visite. Un couple de parents et leur fille. Une famille plutôt bourgeoise, la mère est psychiatre et le père cadre supérieur. Et leur fille n’est autre qu’Alexandra G., la fraîche et frêle victime. Sauf qu’elle n’est pas victime du tout. C’est ce qu’elle vient raconter. Elle a tout inventé, elle a fait un faux témoignage. Elle vient demander les moyens de faire libérer l’homme qu’elle a fait condamner.

Conseillée par cette avocate, elle adresse une longue lettre au procureur de la République. Elle raconte ses confidences à son ami policier, puis à ses parents, elle raconte : « tout ce que j’aurais voulu que l’on fasse pour moi des années plus tôt ». Selon Le Monde, la jeune femme explique avoir été victime d’une agression, lorsqu’elle était âgée de 13 ans, par un ami de la famille. À l’époque, ses parents ne lui avaient pas donné le sentiment de prendre la juste mesure de sa souffrance. C’est ce qu’elle affirme.

Elle raconte la plainte, la présentation des photos au commissariat. « Je me sentais obligée de désigner quelqu’un. » Elle raconte la procédure qui s’emballe – « personne n’entendait mes doutes » – puis la prise de conscience violente : « je venais d’envoyer un pauvre type en prison. Je n’avais jamais pensé que la justice puisse condamner un homme sur mon seul témoignage. »

Me Françoise Margo prend le dossier en charge. L’affaire remonte à la chancellerie. En septembre 2008, après six mois de détention à la prison de Fresnes, Vamara Kamagate est remis en liberté, sans comprendre. Il sera définitivement relaxé le 6 septembre 2010.

C’est là que nous le rencontrons et qu’il raconte son histoire à Charlotte Perry, c’est là qu’il raconte comment il est devenu dingue en prison, comment il s’est mis à bégayer.

Ses malheurs n’étaient pas finis. Il faisait encore l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. La légalité de cette reconduite était aussi douteuse que sa culpabilité, puisqu’il était en France depuis 20 ans. On pourrait penser qu’après cette erreur judiciaire, la France eût au moins la décence de lui donner des papiers.

Mais non : Varama Kamagate est mort peu de temps après, le 6 juillet 2011. Il avait 49 ans.

Un reportage de Charlotte Perry, diffusé la première fois sur France Inter le 1er septembre 2009.

Programmation musicale :
 Experience : Le diable sur ta porte
 Mick Micheyl : La Justice des hommes

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