« Je vous rends ma médaille », un reportage de Sylvie COMA

Mort étrange d’un insoumis (1/2) Abonnés

1

Le

(photo : Sylvie Coma)

Ébéniste, anar, musicien, Michel FERCHAUD était un ami de Là-bas. Il était de la génération des appelés en Algérie, il en était marqué à vie, comme beaucoup de ceux qui n’ont jamais parlé. Lui en avait fait une chanson superbe, « JE VOUS RENDS MA MÉDAILLE ». C’était son histoire, c’était sa vie, une vie de travers, réfractaire et cabossée qu’il avait fini par raconter dans un livre. Il n’a pas eu le temps d’aller plus loin, il est mort à la fin février, dans des conditions bizarres, il avait 78 ans. L’enquête est en cours, mais nous avons voulu en savoir plus, sur lui, sur son monde, sur son parcours. Voici la première partie de ce reportage en forme d’hommage à un insoumis modeste et génial.

C’était en 1998, il y a bientôt 20 ans. La mémoire des appelés en Algérie était encore largement occultée. Avec Giv Anquetil, grâce aux conseils de l’historienne Claire Maus-Copeaux, nous avions fait entendre les témoignages souvent douloureux de ces appelés. « Ils eurent 20 ans dans les Aurès », c’était le titre de cette série d’émissions en hommage au grand cinéaste René Vautier.

L’ un deux surtout racontait comment il avait torturé et comment il avait tué, « voilà ce qu’on nous a fait faire. » 36 ans après la fin de « la guerre sans nom », c’était un des tout premiers témoignages. Les réactions des auditeurs furent violentes et passionnées, allant jusqu’à des menaces. Entre 1954 et 1962, plus de deux millions furent appelés pour cette « pacification ». On estime à 25 000 le nombre de cercueils que la France a dû commander pour ces petits soldats.

Un signe que cette mémoire était passée sous silence, c’est l’absence de chansons sur cette histoire à l’époque, et encore moins sur les insoumis. Le Déserteur, la chanson de Boris Vian et de Mouloudji, qui date de 1954, inspirée par le Vietnam, fut longtemps interdite. Pour l’Algérie, la seule que nous avions trouvée, c’est la chanson de Michel Ferchaud, Je vous rends ma médaille, qui raconte sa propre histoire. La diffusion de cette chanson sur France Inter lui avait donné l’occasion de repartir chanter, guitare à l’épaule.

Il y a à peine quelques mois, il publiait un livre autobiographique, c’était une occasion d’aller le retrouver dans son Maine-et-Loire, vingt ans après. Mais trop tard, fin février, nous apprenions sa mort.

Nous avons voulu rendre hommage à un modeste et génial insoumis.

Est-ce une espèce en voix de disparition ? Certainement pas, si l’on va du côté des ZAD, des manifs, des squats, un peu partout, il n’est pas difficile de rencontrer celles et ceux qui ont rendu leur médaille et n’ont jamais eu envie de faire ce qu’il faut pour mériter breloques et hochets.

Dans la vie, Michel ne se racontait pas tant que ça. Il préférait dire les choses en chantant. La guerre d’Algérie, son court passé de braqueur et son passage en taule, ses coups de gueule contre la société, son enfance sur les bords de la Loire, ses copains manouches… Sa vie était pleine de trous et ses amitiés assez cloisonnées.

Michel Ferchaud n’a pas vraiment eu le temps d’en dire plus. Il est mort le 27 février après avoir été agressé – suppose-t-on – dans son jardin. Aujourd’hui, sa maison est sous scellés, l’enquête suit son cours et dans tout le Maine-et-Loire, ses copains se rassemblent pour rendre hommage à l’insoumis.

Un reportage de Sylvie Coma.

Citation à l’ordre de la Brigade du 2e classe Michel Ferchaud du 3e bataillon de zouaves

Les différentes séquences du reportage :

Stéphane, de l’Atelier Accordéon

Josiane

Programmation musicale :
 Michel Ferchaud : Je Vous Rends Ma Médaille
 Charles Trenet : Douce France
 Michel Ferchaud : Les Gens N’Ont Pas De Mémoire
 Michel Ferchaud : Le Casier Judiciaire
 Michel Ferchaud : La Java Des Tatoués

Abonnez-vous pour accéder à tous nos contenus, c’est très simple !

Depuis 1989 à la radio, Là-bas si j’y suis se développe avec succès aujourd’hui sur le net. En vous abonnant vous soutenez une manière de voir, critique et indépendante. L’information a un prix, celui de se donner les moyens de réaliser des émissions et des reportages de qualité. C’est le prix de notre travail. C’est aussi le prix de notre indépendance, pour ne pas être soumis financièrement aux annonceurs, aux subventions publiques ou aux pouvoirs financiers.

Je m'abonne J'offre un abonnement

Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous

reportage : Sylvie Coma
journaliste : Daniel Mermet
réalisation : Sylvain Richard

Voir aussi

 À LIRE :

Je vous rends ma médaille, un livre de Michel Ferchaud (Les Savoirs Inédits, 2016)

 À ÉCOUTER :

« Mort étrange d’un insoumis (2/2) », seconde partie du reportage de Sylvie Coma, une émission du 26 mai 2017

Avec ma p’tite voiture, un album de Michel Ferchaud (Welkome Media Music, 2010)

Le temps des Manouches, un album de Michel Ferchaud (Welkome Media Music, 2003)

L’Espagnole, un album de Michel Ferchaud (Welkome Media Music, 2000)

Hor’norme, un album de Michel Ferchaud (Welkome Media Musi, 1996)

Retrouvez toute la musique de Michel Ferchaud sur le site de Welkome Media Music : welkome-media-music.com/22-michel-ferchaud

« Ils eurent 20 ans dans les Aurès (I) », premier volet d’un reportage de Giv Anquetil et Daniel Mermet (janvier 1998)

« Ils eurent 20 ans dans les Aurès (II) », deuxième volet d’un reportage de Giv Anquetil et Daniel Mermet (janvier 1998)

« Ils eurent 20 ans dans les Aurès (III) », troisième volet d’un reportage de Giv Anquetil et Daniel Mermet (janvier 1998)

Sur notre site

Dans les livres

  • Je vous rends ma médaille

    Il a fait la guerre d’Algérie, Michel. Il a sauvé des soldats et des populations. Il a eu une médaille pour cela, valeur militaire avec étoile de bronze. Mais Michel Ferchaud n’en veut plus de cette breloque dont on l’a honoré et qui n’est que le mauvais souvenir d’une guerre qui a sali ses vingt ans. Depuis, il a la rage et le raconte dans un livre où se mêlent musique et chansons, les gens simples, la Loire et les ébénistes parisiens du faubourg du temple. C’était une époque. Celle de beaucoup de nos pères et grands-pères. De petites histoires pour écrire la grande.

C'est vous qui le dites…Vos messages choisis par l'équipe

Les bouquins de LÀ-BASLire délivre

  • Voir

    La bibliothèque de LÀ-BAS. Des perles, des classiques, des découvertes, des outils, des bombes, des raretés, des bouquins soigneusement choisis par l’équipe. Lire délivre...

    Vos avis et conseils sont bienvenus !

Dernières publis

Une sélection :

La sociologue publie « Les riches contre la planète. Violence oligarchique et chaos climatique ». Entretien Monique Pinçon-Charlot : « Dans tous les domaines de l’activité économique et sociale, les capitalistes ont toujours, toujours, toujours des longueurs d’avance sur nous » AbonnésVoir

Le

La sociologue Monique Pinçon-Charlot, qui a longtemps analysé avec son mari Michel Pinçon les mécanismes de la domination oligarchique, publie un nouveau livre sur le chaos climatique et elle n’y va pas avec le dos de la cuiller en bambou. Entretien.

Les riches détruisent la planète, comme l’écrivait le journaliste Hervé Kempf. On le sait. Ils le savent. Ils le savent même depuis bien longtemps ! Le nouveau livre de Monique Pinçon-Charlot risque de ne pas plaire à tout le monde. Dans Les riches contre la planète, elle raconte comment une poignée de milliardaires est en train d’accumuler des profits pharaoniques en détruisant la nature, les animaux, les êtres humains et finalement toute la planète, menacée par les émissions de gaz à effet de serre.

Mais surtout, la sociologue analyse comment l’oligarchie, qui a toujours eu une longueur d’avance, organise, encadre et finance sa propre critique et ses contestataires. Histoire que l’écologie ne soit pas un frein au business, mais au contraire l’opportunité de développer de nouveaux marchés selon une « stratégie du choc » décrite par la canadienne Naomi Klein. Le capitalisme fossile est mort ? Vive le capitalisme vert !

Alors que faire ? Arrêter de parler d’« anthropocène », ce n’est pas l’humanité tout entière qui est responsable du dérèglement climatique, mais de « capitalocène », la prédation du vivant étant consciemment exercée par quelques capitalistes des pays les plus riches. Ensuite comprendre ce que masquent les expressions « transition écologique  », « neutralité carbone » ou encore « développement durable » forgées par le capitalisme vert. Et surtout lire d’urgence le livre de Monique Pinçon-Charlot pour prendre conscience que les mécanismes de la domination oligarchique s’immiscent partout, y compris là où on ne les attendait pas…

Alain Ruscio publie « La première guerre d’Algérie. Une histoire de conquête et de résistance, 1830-1852 » aux éditions La Découverte La première guerre d’Algérie (1830-1852) AbonnésVoir

Le

« Par milliers, les Algériennes et les Algériens furent humiliés, spoliés, déplacés, enfumés, massacrés, décapités... » Il faut connaître cette époque pour comprendre la suite de la colonisation et son dénouement tragique. Dénouement que certains n’acceptent pas et qui le ravivent comme une amputation. Pourtant recherches, témoignages et reportages au cours des dernières années semblaient avoir apporté les moyens d’un apaisement des mémoires. Mais une extrême droite revancharde et négationiste, dotée de forts moyens médiatiques, gagne du terrain. Face à la concurrence des rentes mémorielles, il est donc nécessaire de mieux connaître cette sombre sanglante histoire. Aussi ROSA MOUSSAOUI interroge ALAIN RUSCIO, un des meilleurs historiens du fait colonial qui publie une somme passionnante à La Découverte.

Frédéric LORDON publie« Figures du communisme » aux éditions La Fabrique. Un entretien en deux parties Frédéric Lordon, le capitalisme nous détruit, détruisons le capitalisme (2/2) AbonnésVoir

Le

Depuis longtemps on se répète : « on sait pas ce qu’on veut, mais on sait ce qu’on veut pas ». Si Lordon reprend la formule, c’est tout d’abord pour dire que ce qu’on ne veut pas, c’est le capitalisme. Nous n’avons plus le choix, c’est lui ou nous, il n’y a plus d’arrangement possible. Comme dit un AMG, « repeindre le capitalisme en noir ne suffit plus ». Oui, c’est vrai, déplorer, dénoncer, condamner, s’indigner à longueur d’année nous conduit à l’impuissance et à la résignation, c’est-à-dire là où nous sommes aujourd’hui.