HOMMAGE À YANN AUGRAS, PORTE-PAROLE DE LA LUTTE DES GM&S (VIDÉO 12:35)

Mort accidentelle d’un résistant

Le

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À l’occasion de la venue des GM&S au Lieu-Dit le 25 janvier dernier, retour sur notre hommage à l’un d’entre eux, Yann Augras.

Yann Augras est mort.

Un accident de voiture en sortant du boulot, le 11 juin, sur une route de la Creuse, près de chez lui. Aucun mot ne peut dire l’émotion, aucun, sauf les oiseaux qu’on entendait pendant la minute de silence au cimetière avec les drapeaux de la CGT au-dessus des gens, immobiles avec ces masques étranges. Les oiseaux ne se taisent pas et les copains de Yann ne vont pas se taire. Ces masques ne sont pas des bâillons. Le temps de ramasser le drapeau, ils vont continuer la lutte. Ils savent que c’est la seule consolation possible.

Yann Augras était le porte-parole de la lutte des GM&S contre la fermeture de leur usine, à La Souterraine. 47 ans. Sincère, fort, convaincu. Son copain Vincent Labrousse a fait son portrait en trois mots. Des copains, disons des frangins comme les doigts de la main, dans cette longue lutte pour sauver les emplois, une lutte féroce, rusée et têtue dans la longue guerre du capitalisme contre le peuple, sauf que là, avec des oiseaux comme ça, c’est le peuple contre le capitalisme, comme hier la Résistance contre l’occupant. Résister est une habitude dans la Creuse.

Depuis trois ans, l’équipe de Là-bas a suivi leur combat, comme d’autres journalistes, comme ceux qui sont venus les soutenir, comme le réalisateur Lech Kowalski qui en a fait un film, On va tout péter, sélectionné à Cannes. Ah ! le bonheur de la bande des GM&S venus sur la Croisette, des ouvriers en vrai, en train de lutter en vrai, un vrai événement parmi paillettes, starlettes et prise de tête. On y pensait sous les nuages noirs qui passaient au-dessus du cercueil. On entendait le rire de Yann sur la plage dans une mêlée de gamins fraternels, la mêlée des copains d’abord.

Moins un, donc.

Une amputation.

À vif.

(photo : Lahcène Abib/L’HUMANITÉ)

AGIR CONTRE LE DÉDAIN

Moulinex, Goodyear, Samsonite, Metaleurop, Fralib, je ne sais pas combien de « plans sociaux » nous avons suivis depuis trente ans et racontés dans nos reportages. Au total, combien de morts sociales, au bout des fausses promesses, au bout de la trahison des élus et des élites, au bout d’une corde parfois au lever du jour dans le garage de la maison qu’on ne pourra plus payer. Trop loin du cambouis et des galères ordinaires, la gauche n’a pas répondu à l’appel des naufragés. Certains ont glissé alors sur le toboggan de l’extrême droite ou de la pêche à la ligne.

Au mieux, ils ont été dépeints en héros de la classe ouvrière, en derniers survivants d’un monde qui s’éloigne, celui des ouvriers, des métallos, des musettes et des casquettes, les derniers indiens d’une page qui se tourne, irrémédiablement condamnés par la mondialisation, les délocalisations…

Mais là, attention, il faut s’arrêter sur ce mot : délocalisation.

La pandémie l’a mis en avant, à la une. Ahuris, les Français ont découvert qu’ils dépendent de la Chine pour leurs médicaments, pour les masques, pour les respirateurs et pour un tas de choses. Ils s’en doutaient, mais cette fois ils ont compris qu’ils ont été dépossédés de leur souveraineté, ils se sont laissés déposséder d’eux-mêmes. Ils mesurent la faillite tragique de la mondialisation heureuse. Un pays qui ne produit plus rien n’est pas un pays. Ils comprennent qu’ils habitent un pays réduit à deux choses, le tourisme et le luxe. Finis de Gaulle, Sartre et Picasso, aujourd’hui c’est Bernard Arnault et les dix millions de touristes qui viennent chaque année faire un selfie devant la Joconde. La France n’est plus qu’un joli décor pour spot publicitaire. Les bistrots parisiens sont refaits à l’ancienne pour ressembler au cliché des tour operators. Tout le reste, tout ce qui pollue, qui pue et qui tue, on le fait faire ailleurs par les pauvres. Nous, on est écolo, on fait du vélo et on leur permet de se développer. C’est gagnant-gagnant, c’est win-win.

Oui, mais ça, ça ne marche plus.

Disons que ce truc-là branle dans le manche.

Voici le temps de la relocalisation.

Et là, drôle de coïncidence, le jour même où l’on porte Yann Augras en terre, Emmanuel Macron visite Sanofi et annonce des relocalisations en faisant l’éloge de l’industrie et de la planification. De la com’, bien sûr, des effets d’annonce pour brouiller les images, mais jusqu’où peut-il encore mentir, lui et sa bande ?

Yann Augras n’est pas la figure d’une lutte d’arrière-garde ni d’un monde social aboli. C’est exactement le contraire, lui et ses camarades et tous ceux qui se sont battus depuis des décennies pour vivre et travailler au pays, c’est une avant-garde, c’est une possibilité de remettre du sang dans les veines du pays. Devant le cercueil, le maire leur disait : « fabriquer français, produire français, élever français, consommer français, son combat – votre combat – a du sens, et encore bien plus aujourd’hui. »

Vous qui chérissez ces mots de Résistance et de maquis, vous qui vous dites insoumis, vous qui faites tinter avec nostalgie nos vieux bijoux de famille, le Front populaire, le CNR, regardez et écoutez ces gens-là, ils sont là, aujourd’hui, ils tiennent tête à ce que Pierre Bourdieu appelait « la destruction d’une civilisation [1] ».

Car ils en ont rencontré, des experts et des révolutionnaires de canapé. Au micro, Vincent le rappelait à son ami sous les planches : « alors que tous ces sachants nous regardaient de haut, tu répondais avec l’intelligence du cœur, tu prenais plaisir à les convaincre de leur supériorité, pour mieux les déstabiliser. Agir contre le dédain, les injustices, contre ce qui est présenté comme des fatalités, pour la justice et le partage des richesses a été ton quotidien. »

Le déclin de l’industrie en France a été un choix politique. Avec son bicorne noir, la préfète navrée l’a confirmé, en rappelant la non-intervention de l’État. Les progrès techniques ont entraîné des gains de productivité dont les ouvriers ont été dépossédés. Au lieu d’un progrès partagé par tous, les actionnaires n’en finissent plus de se gaver comme des requins obèses. Travailler moins, travailler mieux, travailler tous et découvrir le continent du temps libéré. Nous en avions parlé en rêvant à la Fête de l’Huma. En rêvant.

Ah mais oui, certes, cette industrie métallurgique pollue l’environnement. Vous croyez qu’ils l’ignorent, les GM&S et tout les autres ? Ils sont chez eux, il y a l’usine mais il y a la terre, les bois, la rivière à écrevisses. Beaucoup sont d’origine paysanne, beaucoup ont encore quelques arpents, quelques moutons, un cheval, un cochon. Une industrie verte, ils sont les premiers à la vouloir et même les meilleurs à militer pour cette transition écologique.

Michel Piccoli est mort récemment, puis Guy Bedos. Des heures d’hommage leur ont été justement consacrées sur toutes les antennes. Mais à quand une journée d’hommage à un ouvrier comme Yann Augras ? Sa vie, ses luttes, l’enfant qu’il fut, sa première paie, ses premières luttes syndicales, ses amours, ses chansons, ses idées, ses recettes et ses coins pour les champignons ?

Et son combat qui continue.

Son copain Stéphane l’a dit au micro devant le cercueil, la voix tordue par les larmes devant la famille de Yann, devant ses compagnons, devant la foule immobile, devant les officiels, devant Madame la préfète :

« Yann, on ne lâchera rien.
On va se sortir les doigts du cul.
Et on ne fermera pas notre gueule.
Au revoir, mon camarade.
Au revoir, mon frère de lutte.
Je ne t’oublierai jamais. »

Et les oiseaux de la Creuse retenaient leurs sanglots.

Daniel Mermet

Écouter la vidéo au format audio :

reportage : Daniel Mermet, Dillah Teibi et Jonathan Duong
mixage : Sylvain Richard

Notes

[1Pierre Bourdieu devant les grévistes à la gare de Lyon, le 12 décembre 1995.

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  Lech Kowalski, On va tout péter, 2019, Revolt Cinéma, 1h49

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  • Entretien avec Caëla Gillespie, professeure de philosophie, qui publie « Manufacture de l’homme apolitique » (Le Bord de l’eau) Comprendre cinq décennies de dogme ultralibéral Abonnés

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    Ayant senti siffler le vent du boulet avec le score électoral du Nouveau Front populaire arrivé en tête des dernières législatives, la classe dominante a remis les points sur les « i » : le pouvoir c’est elle, et point barre. Resurgit alors son refrain préféré : le « nouveau » (sic) gouvernement doit affronter toute une série de défis techniques dont la complexité échappe forcément à une populace plus ou moins inculte en la matière. Maîtrise du « déficit budgétaire », crainte de la « note des agences de notations », indispensable « réduction des dépenses publiques », nécessité de « rassurer les marchés » : la doxa ultralibérale s’arc-boute comme jamais sur la grande fable de la Nécessité économique que son catéchisme dogmatique place très au-dessus de toute velléité populaire ou démocratique. Ça tombe bien, la philosophe Caëla Gillespie a récemment commis un livre très éclairant sur cette grande fable. On y découvre ce qu’elle nomme la « subversion de l’état de droit », soit l’effarante dépolitisation du corps politique et du citoyen par cinq décennies d’idéologie ultralibérale menée au pas de charge. Ce livre puissamment pensé et documenté s’appelle Manufacture de l’homme apolitique (Le Bord de l’eau) et son autrice nous a accordé un entretien en exclusivité pour les lecteurs de Là-bas. Le voici.

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Tout un été Là-bas La vérité, un concept étranger à Raphaël Enthoven AbonnésVoir

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Dimanche 12 mai, le très médiatique Raphaël Enthoven était invité de Benjamin Duhamel dans son émission « C’est pas tous les jours dimanche » sur BFMTV. L’occasion pour le talentueux orateur d’asséner une de ces belles sentences dont lui seul a le secret : « nous périssons de la criminalisation de l’opinion d’en face ». Criminaliser l’opinion d’en face, c’est pourtant exactement ce que le philosophe a fait pendant toute l’émission, en repeignant systématiquement en odieux antisémite toute personne qui critiquerait les bombardements israéliens sur Gaza. Et ce grâce à une série d’approximations, de contre-vérités et de mensonges dont le nombre et l’ampleur – en seulement vingt-sept minutes d’entretien – forcent le respect. Extraits.

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La Bible dit que ce qui ne s’obtient « ni par la puissance, ni par la force » s’obtient par l’« esprit ». Or aujourd’hui en Israël, un dicton populaire a transformé ce message, c’est devenu : « ce qui ne s’obtient pas par la force s’obtient avec plus de force ». Comment en est-on arrivé là ? Comment une extrême droite raciste et suprémaciste est-elle arrivée au pouvoir ? Un gouvernement soutenu par toutes les extrêmes droites du monde, y compris les plus antisémites ?

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Ben oui, mais c’est la guerre, que voulez-vous… Rarement un conflit aura été accompagné par tant de mauvaise foi, par tant de mensonges, de désinformation, d’affabulation. Rarement le manichéisme n’aura autant dominé et fait oublier la profondeur historique d’une crise que nous redécouvrons à chaque conflit. Rarement la politique française n’aura été aussi lâche, se contentant d’un suivisme affligeant à l’égard du gouvernement israélien et de son parrain américain.

Tout un été Là-bas : réécoutez ce grand entretien, trois jours après le 7 octobre 2023, avec l’ex-ambassadrice de Palestine LEÏLA SHAHID : APRÈS LA TERREUR, LA TERREUR Accès libreÉcouter

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« Il ne peut y avoir aucune explication », disait le premier ministre socialiste Manuel Valls, « car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. » Malgré cette forte pensée, nous vous proposons cet entretien à chaud avec Leïla Shahid, ex-ambassadrice de la Palestine, témoin et actrice engagée en première ligne et toujours militante de la cause palestinienne. Sommée de dénoncer le terrorisme islamiste, elle répond : « toute action contre des civils, qu’elle soit une action palestinienne, israélienne ou française, est un crime contre l’humanité ».