Palestine, une douleur fantôme. Reportage Daniel Mermet, Giv Anquetil, 1998

La Nakba, une tache en forme de clé

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Gaza, 11 mai 2018 (© MAHMUD HAMS / AFP)

Champagne et bain de sang. Les amateurs de contraste sont servis. Tous les écrans du monde sont divisés en deux parties égales. Moitié fête à Jérusalem, moitié massacre à Gaza. Voilà qui satisfait la neutralité médiatique. Deux camps opposés, face à face, deux camps de force égale. Comme si l’une des premières puissances militaires mondiales alliée au pays le plus puissant au monde était sur le même plan qu’un peuple à l’agonie, écrasé, épuisé par des années de blocus, qui résiste avec des lance-pierres, des pneus enflammés, des cerfs-volants, des tenailles pour couper les barbelés et quelques cocktails Molotov contre une armée, des blindés, des drones, des technologies de pointe et des centaines de tireurs d’élite. Plus d’une centaine de morts depuis le 30 mars, dont au moins une dizaine d’enfants et des milliers de blessés.

Voilà 70 ans que les arabes palestiniens résistent et donnent leur vie pour une seule chose. Une clé. La clé de la maison dont ils ont été chassés en 1948 ; 805 000 ont dû fuir leurs terres et leurs demeures. Leurs biens ont été saisis, leurs mosquées détruites, leur mémoire effacée. Mais rien à faire, la tache remonte toujours à la surface. Tout a été fait pour nier, effacer, enfouir, gratter, couper, interdire, blanchir, la tache revient toujours, indélébile. Cette tache, c’est la Nakba. Une tache en forme de clé. Une clé qui se transmet depuis 70 ans. On la garde dans l’exil. On la cache quand le bruit des bottes se rapproche. Israël n’a jamais connu un jour de paix depuis sa naissance, le 14 mai 1948. Israël ne connaîtra jamais la paix tant que cette clé ne trouvera pas de serrure.

Ziad et Mahmoud (photo : Daniel Mermet)

Il y a 20 ans, nous avons rencontré Ziad et son oncle Mahmoud. Ils nous ont amené nulle part. Un terrain vague, une friche au-dessus de Bethléem. En écartant les caillasses, ils nous ont montré une pierre rectangulaire. C’était le seuil de la maison dont l’oncle Mahmoud et toute la famille avaient été chassés en 1948 en même temps que les voisins et toute la tribu et tout le village. Plus rien. Des gravats. En arrivant, l’oncle Mahmoud s’est isolé pour prier à l’emplacement du cimetière familial qui avait été profané et dont il ne restait aucune trace sous les pierres. Les pierres utilisées lors des intifadas, et cette fois aussi à nouveau. Munition dérisoire de David contre le géant Goliath qui finit par crever, comme chacun sait.

Daniel Mermet

[RADIO] La Nakba, une tache en forme de clé [22 décembre 1998]

(photo : Daniel Mermet)

journalistes : Daniel Mermet et Giv Anquetil
réalisation : Bruno Carpentier

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Mahmoud Darwich, « Et la terre se transmet comme la langue », in Au dernier soir sur cette terre, Actes Sud, 1999

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On ne remerciera jamais assez le cancer et Jésus.

Oui, tout d’abord, merci au cancer. Car s’il n’avait pas eu un cancer en 1985, à 34 ans, Gerhard Haderer aurait eu la vie indigente d’un « créateur » publicitaire. Or, c’est lorsqu’il fut opéré (et guéri) qu’il a tout laissé tomber et s’est tourné à fond vers le genre de dessins que vous allez (re)découvrir, si puissants, si violents qu’ils se passent de tout commentaire, à part quelques gloussements, quelques éclats de rire et pas mal de silences dans le genre grinçant.

Ensuite, merci à Jésus. Et surtout à Monseigneur Christoph Schönborn, cardinal, archevêque de Vienne. En 2002, Gerhard Haderer publiait La Vie de Jésus, un surfeur drogué à l’encens, ce qui faisait un peu scandale dans la très catholique Autriche, si bien que le cardinal archevêque, hors de lui, crut bon de donner l’ordre à l’auteur de présenter ses excuses aux chrétiens pour avoir ridiculisé le fils de Dieu. Au passage, on le voit, l’Islam n’a pas le monopole du refus des caricatures, mais celles-ci eurent beaucoup moins d’écho chez nos défenseurs de la liberté d’expression. Et bien entendu, comme toujours, la censure assura le succès de l’album, qui atteignit 100 000 exemplaires en quelques jours.

Le capitalisme est comparable à une autruche qui avale tout, absolument tout. Mais là, quand même, il y pas mal de dessins de Gerhard Haderer qui lui restent, c’est sûr, en travers de la gorge. On peut rêver et c’est déjà beaucoup.