Champagne et bain de sang. Les amateurs de contraste sont servis. Tous les écrans du monde sont divisés en deux parties égales. Moitié fête à Jérusalem, moitié massacre à Gaza. Voilà qui satisfait la neutralité médiatique. Deux camps opposés, face à face, deux camps de force égale. Comme si l’une des premières puissances militaires mondiales alliée au pays le plus puissant au monde était sur le même plan qu’un peuple à l’agonie, écrasé, épuisé par des années de blocus, qui résiste avec des lance-pierres, des pneus enflammés, des cerfs-volants, des tenailles pour couper les barbelés et quelques cocktails Molotov contre une armée, des blindés, des drones, des technologies de pointe et des centaines de tireurs d’élite. Plus d’une centaine de morts depuis le 30 mars, dont au moins une dizaine d’enfants et des milliers de blessés.
Voilà 70 ans que les arabes palestiniens résistent et donnent leur vie pour une seule chose. Une clé. La clé de la maison dont ils ont été chassés en 1948 ; 805 000 ont dû fuir leurs terres et leurs demeures. Leurs biens ont été saisis, leurs mosquées détruites, leur mémoire effacée. Mais rien à faire, la tache remonte toujours à la surface. Tout a été fait pour nier, effacer, enfouir, gratter, couper, interdire, blanchir, la tache revient toujours, indélébile. Cette tache, c’est la Nakba. Une tache en forme de clé. Une clé qui se transmet depuis 70 ans. On la garde dans l’exil. On la cache quand le bruit des bottes se rapproche. Israël n’a jamais connu un jour de paix depuis sa naissance, le 14 mai 1948. Israël ne connaîtra jamais la paix tant que cette clé ne trouvera pas de serrure.
Il y a 20 ans, nous avons rencontré Ziad et son oncle Mahmoud. Ils nous ont amené nulle part. Un terrain vague, une friche au-dessus de Bethléem. En écartant les caillasses, ils nous ont montré une pierre rectangulaire. C’était le seuil de la maison dont l’oncle Mahmoud et toute la famille avaient été chassés en 1948 en même temps que les voisins et toute la tribu et tout le village. Plus rien. Des gravats. En arrivant, l’oncle Mahmoud s’est isolé pour prier à l’emplacement du cimetière familial qui avait été profané et dont il ne restait aucune trace sous les pierres. Les pierres utilisées lors des intifadas, et cette fois aussi à nouveau. Munition dérisoire de David contre le géant Goliath qui finit par crever, comme chacun sait.
Daniel Mermet