L’« affiche rouge » contre la glu des origines

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C’était au cimetière d’Ivry il y a vingt ans, lors du 60e anniversaire à la mémoire des vingt-trois de l’« affiche rouge », fusillés le 21 février 1944. Aujourd’hui, les derniers partisans qui nous parlent dans ce reportage ne sont plus de ce monde. Aussi fervents qu’ils fussent encore, aucun n’imaginait que Manouchian entrerait un jour au Panthéon. Un communiste ! pensez-vous. Avec lui, avec Mélinée, c’est, les « vingt et trois étrangers et nos frères pourtant », c’est les combats des internationalistes des FTP-MOI qui doivent nous inspirer aujourd’hui, loin de toute récupération et pompe officielle.


Écouter le reportage :

[RADIO] L’« affiche rouge » contre la glu des origines [25 février 2004]
Mercredi 21 février, Missak et Mélinée Manouchian entreront au Panthéon. Bonne nouvelle, il aura fallu 80 ans mais bonne nouvelle. Mais pourquoi pas les vingt-trois de l’« affiche rouge » ? Pourquoi seulement Mélinée et Manouchian ? Un reportage de Thierry Scharf, avec l’éclairage de l’historien Denis Pechanski, diffusé pour la première fois sur France Inter le 25 février 2004.

Un reportage de Thierry Scharf, avec l’éclairage de l’historien Denis Pechanski, diffusé pour la première fois sur France Inter le 25 février 2004.

reportage : Thierry Scharf
réalisation : Antoine Chao et Khoi Nguyen
musique : Léo Ferré, Catherine Ribeiro, Babx

Mercredi 21 février, Missak et Mélinée Manouchian entreront au Panthéon.

Bonne nouvelle, il aura fallu 80 ans mais bonne nouvelle.

Mais pourquoi pas les vingt-trois de l’« affiche rouge » ? Pourquoi seulement Mélinée et Missak ? Il ne fut leur chef que durant les trois derniers mois, avant qu’ils soient tous fusillés ensemble, ce matin du 21 février 1944 où « tout avait la couleur uniforme du givre ». Non pas vingt-trois, mais vingt-deux ce jour-là, vingt-deux hommes. Il y avait une femme condamnée à mort aussi, la roumaine Olga Bancic. Elle fut exécutée plus tard, le 10 mai 1944 à Stuttgart, le cou tranché. Elle a laissé une lettre pour sa fille Dolores qui avait cinq ans :

« Ma chère petite fille, mon cher petit amour.
Ta mère écrit la dernière lettre, ma chère petite fille, demain à 6 heures, le 10 mai, je ne serai plus.
Mon amour, ne pleure pas, ta mère ne pleure pas non plus. Je meurs avec la conscience tranquille et avec toute la conviction que demain tu auras une vie et un avenir plus heureux que ta mère. Tu n’auras plus à souffrir. Sois fière de ta mère, mon petit amour. J’ai toujours ton image devant moi.
(…) »

photographie anthropométrique d’Olga Bancic prise en 1943/ARCHIVES DE LA PRÉFECTURE DE POLICE

Leurs noms figureront sur une plaque près des Manouchian au Panthéon. Mais pourquoi pas tous ensemble ? Ils n’avaient pas demandé tout ça, ni à figurer sur l’« affiche rouge », ni à figurer au Panthéon comme décor pour le grand show de la Macronie. « Ils n’avaient réclamé la gloire ni les larmes ». On entend déjà Macron, avec sa voix de cabotin et sa fausse émotion, faire l’éloge de ces « étrangers et nos frères pourtant », alors même que sa loi « immigration » exploite la pire xénophobie, alors que même la loi du sol est remise en question, alors que l’extrême droite qu’il a favorisée est déjà sur le palier. Aujourd’hui, avec sa gueule de métèque, Manouchian serait bloqué à la frontière.

Aujourd’hui, combien d’étrangers de ce genre ne viendront jamais nous réinventer la France ?

Missak Manouchian et sept résistants de son groupe, avant leur exécution le 21 février 1944. De gauche à droite : Spartaco Fontanot (caché), Robert Witchitz, Missak Manouchian, Joseph Boczov, Wolf Wajsbrot, Szlama Grzywacz, Maurice Fingerweig et Thomas Elek (COLLECTION ROGER-VIOLLET / ROGER-VIOLLET)

Ceux de l’« affiche rouge » étaient polonais, arméniens, hongrois, italiens, espagnols, roumains et même français, peu leur importait, ils n’étaient pas cloués à leurs origines. Ils n’avaient pas leur terre collée à la semelle de leurs souliers, « nul ne semblait vous voir français de préférence », ils n’étaient pas retombés dans ce que Daniel Bensaïd appelait la « glu des origines ».

Ils étaient d’abord internationalistes. L’Internationale était leur acte de foi, leur cantique et leur feuille de route. Antifascistes aussi, ils avaient combattu contre Mussolini, contre Franco dans les Brigades internationales. C’était des ouvriers, des artisans, des tailleurs, des poètes parfois, mais surtout des « partisans ». FTP, MOI. Francs-tireurs et partisans, main-d’œuvre immigrée. Certains étaient juifs. C’était déterminant mais surtout pour les nazis. Les autres, quelle religion ? On dit que Manouchian a communié avant d’être fusillé. Mais surtout, presque tous étaient communistes, voilà leur conviction, voilà leur religion. « Amoureux de vivre à en mourir ». Et à tuer puisqu’il le faut. « Tu ne fais pas de mal, tu ne fais que tuer des tueurs », disait Manouchian, le héros que la Macronie s’apprête à célébrer. On attend que la phrase résonne sous les voûtes illustres et qu’elle se répète jusqu’au fin fond du monde.

Les femmes des FTP-MOI défilent à Marseille le 29 août 1944/JULIA PIROTTE

« La justice viendra sous leurs pas triomphants »

Autre chose que ces résistants nous rappellent, c’est que les extrêmes ne se ressemblent pas. La Macronie, c’est ni droite ni gauche. Pas d’excès. Ce qui est juste, c’est le juste milieu. C’est le « en même temps ». Ni pour ni contre, bien au contraire. C’est l’état d’esprit de la collaboration. On sait ce qui sort de ce ventre mou, c’est Pétain, c’est Vichy. L’« affiche rouge » remet les extrêmes en lumière, pas d’arrangement. On ne met pas dans le même sac Hitler et le Front populaire. Relisez Zeev Sternhell. On ne met pas dans le même sac une impasse et un horizon, un passé qui pue et un avenir radieux !

Et puis la France ? Eux « qui criaient la France en s’abattant » ?

Pour quelle France mouraient-ils, ces étrangers ? La France de Laval et de la rafle du Vél’d’Hiv ? La France qui faisait suer le burnous dans nos belles colonies ? Ou celle d’aujourd’hui, lâche devant le massacre des enfants de Gaza ?

Alors, qu’auraient-ils préféré les vingt et trois de l’« affiche rouge » si on leur avait demandé à leur dernier moment : être oubliés ou être empaillés ?

Avant qu’ils aient répondu, les fusils fleurirent.

Daniel Mermet

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