Ils viennent jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes. L’extrême droite s’engraisse sur le fantasme des hordes d’envahisseurs métèques assoiffés du bon sang des vrais Français de souche.
De peur de déplaire, la plupart des candidats s’abstiennent de dénoncer ces délires xénophobes, y compris des partis de gauche, malgré les grandes postures indignées.
Pourtant, études et chiffres montrent facilement que l’immigration n’est pas un problème en France, au contraire. Aux États-Unis, le 1er mai 2006, l’organisation d’une Journée sans migrants montrait que sans eux, le pays ne tarderait pas à tomber en panne. De même en France, chacun sait que notre histoire est tissée des mille fils des migrations.
Qu’a-t-il fallu pour qu’on l’oublie ?
Voilà que la solidarité devient un délit, ou bien au contraire, voilà que la solidarité la plus élémentaire fait de vous un héros. C’est ce que les médias ont fait de Cédric Herrou, un agriculteur condamné pour avoir aidé des migrants érythréens dans la vallée de la Roya. Nous l’avons rencontré. Mais Cédric n’est pas le seul à commettre le délit d’ « aide au séjour des étrangers », des associations, des collectifs, des particuliers se mobilisent. Loin des caméras, c’est eux que nous partons rencontrer.
Un grand reportage radio de Sylvie Coma.
Jeudi 23 mars, 250 nouveaux migrants sont morts en Méditerranée en tentant de rejoindre l’Italie à partir de la Libye. Les cadavres repêchés étaient ceux d’Africains âgés de 16 à 25 ans. Depuis le début de l’année, 690 personnes se sont noyées à bord d‘embarcations de passeurs, selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
Dans la vallée de la Roya, à quelques kilomètres de la frontière italienne, les délinquants solidaires s’organisent pour secourir les réfugiés bloqués à Vintimille après leur longue traversée.
C’est un réseau fluide et discret de citoyens solidaires. De procès en procès, certains noms ont émergé : Cédric Herrou, Pierre-Alain Mannoni… Mais derrière eux, dans l’anonymat, se cachent tous les autres. Chaque soir, l’un des cinq villages de la montagne organise une maraude. En toute illégalité.
Les différentes séquences du reportage :
L’Association pour la Démocratie à Nice (ADN) lance un appel à dons pour les réfugiés :
Quelques repères
La vallée de la Roya, un cul-de-sac dans les Alpes-Maritimes
Tout au long du fleuve Roya, six petites communes sont accrochées à la montagne. Le premier village, en venant d’Italie, est Breil-sur-Roya (le village de Cédric Herrou).
Des milliers de migrants remontent la vallée de la Roya à partir de Vintimille (Italie) pour éviter les contrôles — rétablis en juin 2015 — de la police française aux frontières.
Problème : la vallée se situe dans une boucle, un cul-de-sac. Si l’on remonte la route vers le col de Tende, on finit par se retrouver en Italie. Les migrants doivent donc rebrousser chemin.
Frontière franco-italienne rétablie en juin 2015
En principe, il n’y a plus de contrôles aux frontières à l’intérieur de l’espace Schengen.
Mais en juin 2015, des points de contrôle frontaliers ont été rétablis entre la France et l’Italie, sur une bande de 20 km. Tous les points de passage sont verrouillés. Les gares et les trains sont contrôlés.
Plus de 35 000 étrangers interpellés en 2016
Selon les chiffres de la préfecture, plus de 35 000 étrangers en séjour irrégulier ont été interpellés à la frontière en 2016 (27 000 en 2015).
Quelque 1 500 mineurs isolés ont été pris en charge en 2015, contre seulement 348 en 2016.
Accidents mortels
Au moins sept morts sont recensées, dont plusieurs dans les tunnels ferroviaires ou autoroutiers.
Il existe désormais des panneaux « Attention piétons » sur l’autoroute.
Les associations venant en aide aux migrants dans le département
– association Habitat et Citoyenneté
– association pour la démocratie à Nice et dans les Alpes-Maritimes (ADN)
– collectif Roya Citoyenne
– collectif d’habitants qui s’est créé pour venir en aide aux nombreux migrants coincés dans leur vallée
Revendications du collectif Roya Citoyenne
– la fin du délit de solidarité pour les citoyens bénévoles qui se substituent à l’État en portant assistance à des personnes en danger
– l’ouverture d’un centre d’accueil dans le département des Alpes-Maritimes où les migrants puissent faire valoir leurs droits conformément aux conventions internationales
– la prise en charge par le Conseil départemental, au travers de l’Aide Sociale à l’Enfance, et conformément à la loi, des mineurs bloqués dans la vallée de la Roya
Pratiques illégales des autorités
– Dépôts de demandes d’asile impossibles
En principe, tout migrant a le droit de déposer une demande d’asile auprès de la police aux frontières. Mais en pratique, cette demande n’est jamais enregistrée et les migrants sont refoulés en Italie.
Par ailleurs, il leur est impossible d’aller à Nice pour déposer leur demande d’asile en préfecture (si ce n’est en se cachant dans les coffres de voiture, c’est notamment en les transportant que les bénévoles se font arrêter).
– Renvoi systématique de mineurs
La France ne respecte pas son obligation de prendre en charge les mineurs. Alors que l’Aide Sociale à l’Enfance devrait s’en occuper, ces mineurs sont bien souvent renvoyés en Italie, sans même avoir été informés de leurs droits.
Éric Ciotti : président du Conseil départemental
En décembre dernier, les internautes de Nice-Matin ont désigné Cédric Herrou « Azuréen de l’année » parmi 10 candidats, avec 55% des voix (7 677 votants). Éric Ciotti, ulcéré, se fend d’une tribune le lendemain dans le journal, titrée « Non, M. Herrou n’est pas l’Azuréen de l’année » pour y dénoncer « une générosité de façade » qui « met en danger la République », et « favorise un communautarisme islamique dangereux, fauteur de divisions profondes dans notre société ». « Qui peut dire avec certitude que dans les centaines de migrants que M. Herrou se targue d’avoir fait passer ne se dissimule pas un futur terroriste ? »
« Délit de solidarité »
En réalité le « délit de solidarité » n’existe pas dans le Code pénal.
Selon l’article 622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ceux qui ont « facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France » encourent 5 ans de prison et 30 000€ d’amende.
En 2012, cet article été aménagé mais pas supprimé. Selon les nouvelles dispositions, il n’y a pas de poursuites contre ceux qui « sans but lucratif » portent assistance afin « d’assurer des conditions de vie dignes et décentes » aux migrants sans titre de séjour. Autrement dit, ceux qui les nourrissent, les hébergent ou les soignent.
Poursuites judiciaires contre Cédric Herrou
Cédric Herrou a été placé trois fois en garde à vue et a subi trois perquisitions. Il a été poursuivi pour « aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier d’un étranger en France ».
1ère arrestation :
En août 2016, il est arrêté une première fois pour avoir transporté des Érythréennes. Il est finalement blanchi au nom de l’immunité humanitaire. Après sa relaxe, le président du Conseil départemental des Alpes-Maritimes (Les Républicains) écrit alors au Garde des sceaux pour s’offusquer de la clémence envers celui qu’il considère comme un « passeur ».
2ème arrestation :
Arrêté une deuxième fois, il passe en jugement le 04 janvier au tribunal correctionnel de Nice. Jugé pour avoir facilité l’entrée sur le territoire national, la circulation et la présence de 200 migrants en situation irrégulière, et en avoir hébergé une cinquantaine chez lui, puis dans un centre désaffecté de la SNCF en octobre 2016.
Le procureur requiert 8 mois de prison avec sursis et une mise à l’épreuve.
Le 10 février, il est finalement condamné à 3 000 € avec sursis.
Aujourd’hui, Cédric Herrou compte attaquer l’État pour « non-respect des protocoles des réadmission ».
Programmation musicale :
– Toumast : Ezeref
– Les Ogres de Barback : Lily
(Vous pouvez podcaster ce reportage en vous rendant dans la rubrique « Mon compte », en haut à droite de cette page.)