Déboulonner, c’est bien, mais après, c’est fini, on n’en parle plus. Tandis que repeindre en rouge, couper une oreille ou une main d’une statue, ça vous interpelle, ça appelle une explication…
Vous vous dites, quelle horreur, couper une oreille ou une main d’une statue, mais c’est atroce ! Sans doute, mais un peu moins tout de même que le châtiment des oreilles coupées pratiqué par les maîtres sur leurs esclaves, comme l’exigeait le Code noir, promulgué en 1685, en grande partie rédigé par le ministre Jean-Baptiste Colbert, dont la statue trône toujours aujourd’hui devant l’Assemblée nationale à Paris.
Voici l’article 38 : « l’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule ; s’il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule ; et, la troisième fois, il sera puni de mort. [1] »
Voilà pourquoi, en langue créole, de nos jours, le blanc, le touriste ou celui de la métropole est surnommé « Zoreilles ».
Quand aux mains coupées, ce fut une pratique fréquente au Congo dont Léopold II, roi des Belges, était le propriétaire. Un rapport officiel de 1904 faisait état de ces pratiques courantes. Même si les données sont incertaines, les historiens s’accordent pour estimer que la conquête et l’exploitation du Congo a entraîné la mort de dix millions d’Africains. Pourtant, Léopold II est encore une figure paternelle et prestigieuse en Belgique, même si depuis quelques années déjà, un fort courant anticolonialiste s’est développé en Belgique. Si Léopold II est responsable et même coupable de cette barbarie, des financiers, des banquiers, des grandes multinationales ont bâti leurs fortunes avec le sang des « nègres » du Congo et les fabuleuses ressources naturelles de ce que Leopold II appelait ce « merveilleux gâteau africain ».
Le crime colonial n’a pas été commis par les Belges, ni les Français, ou les Britanniques, mais par une certaine oligarchie dans chacun de ces pays. Attention, par commodité, on dit « la France a colonisé… », ou bien « l’Angleterre a étendu son empire jusque… », ou bien « l’Italie a envahi l’Érythrée… », mais les mots sont trompeurs, ni le peuple italien, ni le peuple anglais ou français n’ont exploité quiconque. Bien souvent, ces peuples eux-mêmes sont exploités, ils n’ont pas de culpabilité à éprouver. De la solidarité avec les opprimés, oui, mais dans tous les cas, c’est la classe dominante, c’est les milieux d’affaires qui sont responsables et doivent rendre des comptes, voire des réparations.
Esclavage, colonialisme, il est courant d’entendre dire que jadis ces choses là ne choquaient pas et qu’ "il faut se remettre dans l’époque". Or dans toutes les époques de ces crimes, des voix se sont élevées constamment, souvent minoritaire, souvent étouffées mais toujours présentes. Voir le dessin de Jossot dans "l’assiette au beurre" qui en 1901, dénonce les crimes de Léopold II.
Depuis des siècles, les iconoclastes ont attaqué les représentations symboliques. De nos jours, hier, c’était la statue de Staline qui tombait ou celle de Saddam Hussein, aujourd’hui, c’est Léopold II, c’est le négrier Edward Colston, c’est Colbert et son Code noir, c’est même Christophe Colomb qui se retrouve par terre, décapité sous les huées. C’est toute une jeunesse en colère qui profane les saintes icônes à la base des « valeurs » de l’ordre mondial d’aujourd’hui.
Difficile de décerner le prix du pire, mais Léopold II se distingue assez nettement. Le Congo, dont il avait fait sa propriété privée sans jamais y mettre les pieds, a fait sa fortune et celle des banquiers, des financiers et des grands patrons. Une « mission civilisatrice » qui a exterminé plusieurs millions d’hommes et dont les traces glorieuses sont encore présentes en Belgique.
Le chercheur Lucas CATHERINE est l’auteur d’un fameux petit guide anticolonial, PROMENADE AU CONGO (éditions Aden et CADTM, 2010) : une promenade au Congo sans quitter la Belgique, bien sûr.
Voici une nouvelle édition d’une balade en sa compagnie, il y a dix ans, avec Giv Anquetil, en partant de la fameuse statue équestre du roi des Belges qui venait d’être joliment repeinte en rouge sang. Déjà.
Programmation musicale :
– Tramel : Qu’est-ce que t’attends pour aller aux colonies ?