Mieux vaut risquer de mourir noyé que d’être sûrs de mourir de faim. Ils sont quarante, hommes, femmes, enfants, entassés dans un kwassa-kwassa, une barque de sept mètres de long, en route pour Mayotte, qu’on aperçoit la nuit à 70 km, la terre promise.

(illustration : Chacri)
Ils fuient les Comores, la misère et même la faim. Ils ont longtemps économisé les 400 euros qu’exige le passeur. En mer, ils sont pourchassés et aussi parfois sauvés par les vedettes de la Police de l’Air et des Frontières. La chasse au clandestin est l’activité principale à Mayotte, 20 000 reconduites à la frontière par an, plus que toute la métropole, une véritable industrie.
Avec 600 noyés chaque année, cet endroit qui amuse Monsieur Macron est l’un des plus grands cimetières marins au monde.
Le 02 juin, en visite au centre de sauvetage d’Étel, en Bretagne, Monsieur Macron, président de la République Française, a fait un trait d’esprit humoristique au sujet de ces bateaux. Il a voulu montrer que lui, Emmanuel Macron, sait bien qu’un kwassa-kwassa n’est pas un bateau de pêche : « le kwassa-kwassa pêche peu, il amène DU Comorien, c’est différent. »
« Le kwassa-kwassa pêche peu ! Il amène du Comorien ! » #Quotidien pic.twitter.com/hXKRC2vWx9
— Quotidien (@Qofficiel) 2 juin 2017
Des esprits chagrins se sont offusqués et ont même vu là une expression flagrante de racisme social avec toute la morgue de l’énarque. Surtout l’expression « DU » Comorien, comme si c’était une chose ou un quelconque produit. Le terme a une résonance profonde dans ces Comores longtemps spécialisés dans le trafic d’esclaves vers le Moyen-Orient. Aujourd’hui encore, à Mayotte, l’exploitation féroce DU Comorien clandestin est assimilée à de l’esclavage moderne.
Lors du référendum de 1976, Mayotte a voulu rester dans le giron de la France, alors que les trois autres îles des Comores choisissaient l’indépendance, Anjouan, Mohéli et Grande Comore. Mais, de même langue et de même culture, les Comoriens pouvaient circuler, entrer et sortir de Mayotte, jusqu’à l’imposition d’un visa en 1995, le « visa Balladur » qui a entraîné la situation monstrueuse d’aujourd’hui. Monsieur Balladur est-il au courant que le visa qui porte son nom est surnommé « le visa de la mort » ? Selon un rapport du Sénat de 2012, le nombre de noyés entre 1995 et 2012 serait entre 7 000 et 10 000.
Exploités et entassés dans des bidonvilles misérables à Mayotte, les réfugiés comoriens (40% de la population) sont pourchassés par des Mahorais qui, jugeant la police trop laxiste, procèdent eux-mêmes à des expulsions musclées (les « décasages »).
Les Comores comptent parmi les pays les plus pauvres au monde, classé 170ème sur 186 pays par le Programme des Nations Unies pour le Développement.
Devant l’indignation générale, l’Élysée a mollement déploré « un trait d’humour malheureux ». Pas question d’excuse, pas question non plus d’envisager la moindre réponse économique et politique à la détresse « DU » Comorien.
Lundi 5 juin, Mohamed Bacar Dossar, ministre des affaires étrangères des Comores, jugeant cette plaisanterie "choquante et méprisante" demandait des excuses .
Dans la fachosphère, on ricane, « Durafour crématoire », n’était-ce pas aussi « un trait d’humour malheureux » ?
En 2006, nous étions à Anjouan avec ceux qui s’embarquent pour Mayotte au péril de leur vie. En dix ans, la situation est identique et s’est même dégradée. Prenez le temps d’écouter ce reportage en vous mettant un instant à la place « DU » Comorien.