Les chercheurs manifestent pour une recherche publique, libre et désintéressée

VACCIN, RECHERCHE : LES GROS ENFUMAGES DE MONSIEUR MACRON Abonnés

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Ce lundi 21 septembre, les chercheurs manifestent devant l’Assemblée nationale. C’est en effet aujourd’hui que les députés commencent à examiner un projet de loi qui les concerne, le « projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche ». Alors que cette loi est censée garantir un financement de la recherche et permettre à la recherche française de rattraper son retard par rapport aux autres pays, c’est tout l’inverse que s’apprête à faire la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation Frédérique Vidal, et que dénoncent les chercheurs : absence de financements, précarisation des chercheurs, soutien à la recherche privée… Mais que veulent vraiment les chercheurs ? On vous l’expliquait dans le reportage de Maja Neskovic et Aurélie Martin, à revoir ci-dessous.

En mars, Macron promet 5 milliards pour la recherche scientifique. Enfumage ! Au total, aujourd’hui, c’est à peine 104 millions qui sont budgetés, alors que l’Allemagne a alloué 60 milliards d’ici 2023 pour la recherche, l’enseignement supérieur et l’innovation [1]. Thérapie, vaccin, « la crise du COVID-19 nous rappelle le caractère vital de la recherche scientifique », déclarait Macron. Comment peut-on accepter cet énorme mensonge ? Les chercheurs sont en lutte contre ce cynisme d’Etat. Tous, nous devons soutenir une recherche publique libre et désintéressée.

Une enquête de Maja NESKOVIC et Aurélie MARTIN [VIDÉO : 30’12].

« La crise du COVID-19 nous rappelle le caractère vital de la recherche scientifique et la nécessité d’investir massivement pour le long terme. J’ai décidé d’augmenter de 5 milliards d’euros notre effort de recherche, effort inédit depuis la période de l’après-guerre. [2] »

Souvenez-vous, c’était il n’y a pas si longtemps, quand notre président jurait vouloir se « réinventer », quand il nous assurait avoir pris conscience que tout ne pouvait pas être soumis aux lois du marché et qu’il fallait mieux considérer ceux dont la société a vraiment besoin : les caissières et caissiers de nos supermarchés, les éboueurs qui ramassent nos poubelles, le personnel soignant qui sauve nos vies, et les chercheurs qui se creusent les méninges pour trouver un traitement ou un vaccin contre le virus.

Et ça tombait bien parce que, dans le monde d’avant, les chercheurs et chercheuses avaient justement manifesté leur crainte de voir leur profession soumise à des logiques plus marchandes que scientifiques. Ils s’étaient largement mobilisés à l’annonce de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) que leur avait concoctée Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, qui a d’ailleurs conservé son poste dans le nouveau gouvernement Castex.

Si cette loi avait tellement mobilisé contre elle en mars dernier, c’est qu’elle entérinait et accentuait les problèmes que dénonce depuis longtemps une large partie du monde universitaire, toutes disciplines confondues :
 la privatisation progressive de la recherche en facilitant les mobilités du public vers le privé et en mettant à disposition des chercheurs du public vers le privé,
 la précarisation du statut des doctorants et des jeunes chercheurs qui enchaînent les CDD sans aucune garantie d’être titularisés un jour,
 le manque de moyens,
 et surtout la manière dont sont alloués les financements des laboratoires.

Depuis bientôt 15 ans, l’équilibre de leur budget s’est inversé. Au lieu d’avoir des financements pérennes, sans conditions, c’est désormais aux chercheurs de trouver des financements, en répondant à des appels à projet lancés par des organismes tels que l’Agence nationale de la recherche ou l’Union européenne.

Répondre à ces appels, monter des dossiers demande beaucoup de temps et d’énergie, souvent en pure perte puisque près de 80 % d’entre eux restent lettre morte. En plus de leur faire perdre leur temps, ces appels obligent les chercheurs à orienter leurs recherches vers les sujets à la mode, les buzz médiatiques ou ce qui pourrait trouver rapidement une application rentable.

Dans le monde d’après, la ministre est toujours en place et la loi aussi. Si on imaginait difficilement que ce gouvernement allait totalement remettre en cause ses orientations libérales, on aurait au moins pu penser que la crise pandémique allait lui ouvrir les yeux sur l’importance d’un financement de la recherche à long terme, qui aurait peut-être permis aux labos travaillant sur les coronavirus d’être un peu mieux préparés à l’émergence d’un nouveau virus de cette famille. C’est le sens de la tribune qu’avait écrite en mars dernier le professeur Bruno Canard, virologue, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique à Marseille, et qui nous a donné envie d’aller à sa rencontre :

« Je suis Bruno Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille. Mon équipe travaille sur les virus à ARN (acide ribonucléique), dont font partie les coronavirus. En 2002, notre jeune équipe travaillait sur la dengue, ce qui m’a valu d’être invité à une conférence internationale où il a été question des coronavirus, une grande famille de virus que je ne connaissais pas. C’est à ce moment-là, en 2003, qu’a émergé l’épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) et que l’Union européenne a lancé des grands programmes de recherche pour essayer de ne pas être pris au dépourvu en cas d’émergence.

La démarche est très simple : comment anticiper le comportement d’un virus que l’on ne connaît pas ? Eh bien, simplement en étudiant l’ensemble des virus connus pour disposer de connaissances transposables aux nouveaux virus, notamment sur leur mode de réplication. Cette recherche est incertaine, les résultats non planifiables, et elle prend beaucoup de temps, d’énergie, de patience.

C’est une recherche fondamentale patiemment validée, sur des programmes de long terme, qui peuvent éventuellement avoir des débouchés thérapeutiques. Elle est aussi indépendante : c’est le meilleur vaccin contre un scandale Mediator bis.

Dans mon équipe, nous avons participé à des réseaux collaboratifs européens, ce qui nous a conduits à trouver des résultats dès 2004. Mais, en recherche virale, en Europe comme en France, la tendance est plutôt à mettre le paquet en cas d’épidémie et, ensuite, on oublie. Dès 2006, l’intérêt des politiques pour le SARS-CoV avait disparu ; on ignorait s’il allait revenir. L’Europe s’est désengagée de ces grands projets d’anticipation au nom de la satisfaction du contribuable.

Désormais, quand un virus émerge, on demande aux chercheur·ses de se mobiliser en urgence et de trouver une solution pour le lendemain. Avec des collègues belges et hollandais·es, nous avions envoyé il y a cinq ans deux lettres d’intention à la Commission européenne pour dire qu’il fallait anticiper. Entre ces deux courriers, Zika est apparu…

La science ne marche pas dans l’urgence et la réponse immédiate.

Avec mon équipe, nous avons continué à travailler sur les coronavirus, mais avec des financements maigres et dans des conditions de travail que l’on a vu peu à peu se dégrader. Quand il m’arrivait de me plaindre, on m’a souvent rétorqué : "oui, mais vous, les chercheur·ses, ce que vous faites est utile pour la société… Et vous êtes passionnés."

Et j’ai pensé à tous les dossiers que j’ai évalués.

J’ai pensé à tous les papiers que j’ai revus pour publication.

J’ai pensé au rapport annuel, au rapport à deux ans, et au rapport à quatre ans.

Je me suis demandé si quelqu’un lisait mes rapports, et si cette même personne lisait aussi mes publications.

J’ai pensé aux deux congés maternité et aux deux congés maladie non remplacés dans notre équipe de 22 personnes.

J’ai pensé aux pots de départs, pour retraite ou promotion ailleurs, et aux postes perdus qui n’avaient pas été remplacés.

J’ai pensé aux 11 ans de CDD de Sophia, ingénieure de recherche, qui ne pouvait pas louer un appart sans CDI, ni faire un emprunt à la banque.

J’ai pensé au courage de Pedro, qui a démissionné de son poste CR1 au CNRS pour aller faire de l’agriculture bio.

J’ai pensé aux dizaines de milliers d’euros que j’ai avancés de ma poche pour m’inscrire à des congrès internationaux très coûteux.

Je me suis souvenu d’avoir mangé une pomme et un sandwich en dehors du congrès pendant que nos collègues de l’industrie pharmaceutique allaient au banquet.

J’ai pensé au Crédit impôt recherche, passé de 1,5 milliards à 6 milliards d’euros annuels (soit deux fois le budget du CNRS) sous la présidence Sarkozy.

J’ai pensé au président Hollande, puis au président Macron qui ont continué sciemment ce hold-up qui fait que je passe mon temps à écrire des projets ANR (Agence nationale de la recherche).

J’ai pensé à tou·tes mes collègues à qui l’on fait gérer la pénurie issue du hold-up. J’ai pensé à tous les projets ANR que j’ai écrits, et qui n’ont pas été sélectionnés.

J’ai pensé à ce projet ANR franco-allemand, qui n’a eu aucune critique négative, mais dont l’évaluation a tellement duré qu’on m’a dit de le re-déposer tel quel un an après, et qu’on m’a finalement refusé, faute de crédits.

J’ai pensé à l’appel flash de l’ANR sur le coronavirus, qui vient juste d’être publié.

J’ai pensé que je pourrais arrêter d’écrire des projets ANR.

Mais j’ai pensé ensuite aux précaires qui travaillent sur ces projets dans notre équipe.

J’ai pensé que, dans tout ça, je n’avais plus le temps de faire de la recherche comme je le souhaitais, ce pour quoi j’avais signé.

J’ai pensé que nous avions momentanément perdu la partie.

Je me suis demandé si tout cela était vraiment utile pour la société, et si j’étais toujours passionné par ce métier.

Je me suis souvent demandé si j’allais changer pour un boulot inintéressant, nuisible pour la société et pour lequel on me paierait cher. Non, en fait.

J’espère par ma voix avoir fait entendre la colère légitime très présente dans le milieu universitaire et de la recherche publique en général. »

Bruno Canard

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