Nommer l’innommable. Inceste et viol d’enfant : comment osait-on en parler il y a 20 ans ? Une émission du 4 mai 1999. PODCAST

VIOLS, INCESTE : « SI JE ME FOUS EN L’AIR, JE SUPPRIME LE VRAI PROBLÈME »

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La publication du livre de Camille Kouchner, qui révèle les abus sexuels d’un important personnage sur son beau-fils mineur, nous a remis en mémoire une émission très particulière d’il y a plus de vingt ans. Dans une longue lettre, un auditeur nous avait confié de terribles confidences. Durant des années, il avait été sexuellement abusé par son frère aîné. Malgré le temps, il restait hanté et pire encore, il redoutait de reproduire ces actes sur ses propres enfants. En outre, il savait que sa sœur, elle aussi, avait été abusée par le même frère aîné mais il n’en avait jamais parlé avec elle. Ce que voulait cet auditeur, c’est témoigner publiquement contre un tabou trop souvent enfoui dans les nœuds pourrissants des secrets de famille.

Nous avons longuement hésité. Aborder un tel sujet il y a vingt ans nous exposait à des critiques en voyeurisme et en déballage populiste. Pour la bourgeoisie culturelle de l’époque, ces sujets relevaient des émissions racoleuses de Mireille Dumas ou de Jean-Luc Delarue. Pour les progressistes éclairés, ces affaires de mœurs regardaient la justice et la psychiatrie. Pour les élites toujours avides de choses transgressives, l’écrivain violeur de collégiennes et d’enfants philippins était un rebelle qu’on aimait avoir à sa table. Mais notre auditeur n’était pas de ce monde-là. Il ne préparait pas un livre événement.

Au téléphone, il confirmait sa démarche, on ne peut oublier que ce qui existe et n’existe que ce qui est nommé. Comment faire avec la douleur ? Mettre des mots dessus. Ce fragile argument nous a décidés. Notre auditeur souhaitait parler de tout cela avec sa sœur, avec laquelle, donc, il ne s’était jamais confié. Elle avait accepté et elle avait donné son accord pour que la conversation fut enregistrée comme son frère le souhaitait. C’est notre journaliste, Thierry Scharf, qui fut chargé du reportage et Bruno Carpentier qui a assuré la belle réalisation de l’émission.

La voici, 22 ans plus tard, sans la moindre retouche :

[RADIO] Viols, inceste : « Si je me fous en l’air, je supprime le vrai problème » [4 mai 1999]
La publication du livre de Camille Kouchner, qui révèle les abus sexuels d’un important personnage sur son beau-fils mineur, nous a remis en mémoire une émission très particulière d’il y a plus de vingt ans : un reportage de Thierry Scharf du 4 mai 1999.
reporter : Thierry Scharf
journaliste : Daniel Mermet
réalisation : Bruno Carpentier

LES MESSAGES DU LENDEMAIN

Nous avons reçu beaucoup de messages à la suite de cette diffusion. Aucun ne critiquait notre démarche, au contraire, nous avons reçu beaucoup d’autres témoignages qui révélaient cet énorme tabou et toutes ces souffrances enfouies et dédaignées.


ATTENTION, FRAGILE

Un homme se cogne la tête contre les murs de son for intérieur.
Il appelle, il s’écroule, il s’enfouit, il cache, il tâche, il se shoote, il se flingue, il tente de s’étouffer avec un oreiller, il joue l’amnésique qui lui permet de se protéger contre l’horreur de la vérité.
De sa vérité.
Mais oublier sa vérité, c’est oublier son identité.
Il implore l’oubli, mais on ne peut oublier que ce que l’on sait, que ce que l’on connaît.
On ne peut oublier que ce que l’on nomme.
On ne peut oublier que ce qui existe, et n’existe que ce qui est nommé.

Comment faire avec la douleur ? demandait l’autre.
Mettre des mots dessus.
D’abord à tâtons, et c’est long.
Et ça remue, et parfois ça remonte du fond, du fin fond.
Il faut trouver des oreilles humaines.

Il nous a écrit, cet auditeur, une longue lettre, où il dit entre autres :
« Ça n’arrive pas qu’aux filles, le viol, d’ailleurs, elles non plus ne sont pas crues.
Le plus dur, c’est la solitude, je ne peux plus me taire. »
Pourquoi s’adresser à nous ?
Pourquoi devrions-nous écouter Pascal ?
Dix enfants sur cent sont victimes d’abus sexuels.
Et dans le monde entier ?

Viol, inceste, secrets de famille.
Notre société est très lente à sortir de son sommeil criminel.
Ce que les psychiatres appellent « l’ogre intérieur ».
Qu’on pourrait appeler aussi le cochon qui sommeille.
C’est cette violence, cette pulsion originelle qui est la force de la vie, mais qui parfois se retourne en force de mort et de destructions.
Ce qui vaut pour un peuple, pour toute une nation, vaut pour un individu,
Et c’est le même crime contre l’humanité.

Ce que peut le silence.
Ce que peut le mensonge.
Ce que peut le manque d’écoute.
Ce que peut le manque d’amour.
Attention, fragile.
Très.

Daniel Mermet (1999)

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