Entretien avec le sociologue François Héran (2/2), qui publie « Avec l’immigration. Mesurer, débattre, agir » (La Découverte)

Migrants, cadavres en morceaux… Abonnés

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Choquant, provoquant, mais réel. Depuis des années, les habitants de Zarzis, sur la côte tunisienne, recueillent comme ils peuvent les corps des migrants noyés en Méditerranée. 20 000 morts depuis 2014. Une forte augmentation suite au Covid. À Zarzis, il faut déjà agrandir le cimetière des 600 tombes de ces soldats inconnus de la guerre économique [1].

Ces images nous choquent, nous indignent et nous désespèrent. On accuse les passeurs, l’Europe, la corruption, l’égoïsme, le capitalisme, les discours tournent à vide, les humanitaires s’épuisent et la résignation l’emporte. L’extrême droite en fait ses choux gras. Le « grand remplacement », l’« invasion migratoire », le « séparatisme », l’« ensauvagement ». Rien n’arrête les calculs électoralistes et médiatiques. Sans surprise, on annonce que la « question migratoire » sera l’enjeu majeur des prochaines élections.

« Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé. » La phrase attribuée à Albert Einstein dit bien la difficulté de lutter contre un tel bloc de préjugés et d’ignorance, qui profitent aux profiteurs depuis si longtemps en matière de migrations, de la traite négrière aux sans-papiers de Deliveroo.

François Héran, sociologue et professeur au collège de France, fait partie des chercheurs qui contribuent à ce que Noam Chomsky appelle l’« auto-défense intellectuelle », c’est-à-dire mettre à disposition les armes du savoir et de la raison. Pour dépasser les émotions et les indignations morales, il faut replacer les migrations dans le temps long de l’histoire, mais aussi dans nos mémoires familiales et dans notre présent vivant. Comprendre que, souvent rugueuse et douloureuse, l’intégration se fait au fil du temps, qu’il ne s’agit pas d’être pour ou contre mais d’être « avec », et considérer qu’il s’agit d’une réalité durable et banale.

Également démographe, titulaire de la chaire « Migrations et sociétés » au collège de France, François Héran publie Avec l’immigration. Mesurer, débattre, agir (La Découverte, 2017). Dans cet entretien, il s’emploie à élever le débat avec un sens du discernement imparable. L’idée de « grand remplacement », colportée par Marine Le Pen, apparaît pour ce qu’elle est : une fake news. Il jette aussi une lumière crue sur la politique d’accueil « à bras fermés » de la France. Un éclairage nécessaire, et une boîte à outils pour faire barrage à la rhétorique de l’extrême droite.

Deuxième partie d’un entretien de Mathieu Dejean avec François Héran, sociologue, démographe, professeur au collège de France, directeur de l’institut Convergences Migrations, qui publie Avec l’immigration. Mesurer, débattre, agir (La Découverte, 2017).

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journaliste : Mathieu Dejean
réalisation : Cécile Frey et Jonathan Duong
son : Jules Krot

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Notes

[1Reportage de Maurine Mercier à Zarzis (Tunisie), France culture, 24 juin 2021.

Dossier : Il y a deux ans, Samuel Paty : trois articles à retrouver

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-  François Héran, Avec l’immigration. Mesurer, débattre, agir, La Découverte, 2017

- François Héran, « Migrations et sociétés », cours du collège de France disponibles en ligne gratuitement

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Je suis un bourgeois et j’en suis fier. Personne ne dit une chose pareille. Le bourgeois, c’est l’autre, le bobo, le faux-cul, le gras du bide. Et encore, ça se dit plus, bourgeois, c’est désuet. Depuis longtemps, le bourgeois a appris à se déguiser. Une casquette de pêcheur, une veste de paysan, un blue jean comme les ouvriers. Il a entonné des discours indignés et révoltés contre le mal, contre le fascisme et contre les cons. C’est un libertaire, le bourgeois. Contre l’impôt, contre le voile, contre les flux migratoires incontrôlés. Il proclame la révolution. C’est le titre du livre d’Emmanuel Macron, RÉVOLUTION. Il est progressiste aussi. Le mouvement qui soutient Macron se proclame « progressiste ».

C’est le printemps !!!! Accès libreÉcouter

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Musicale pour fêter l’arrivée des beaux jours...
avec Edith Piaf "Enfin le printemps", Jacques Prévert "Le temps perdu", Aznavour "C’est le printemps", Bourvil, Lester Young "Two to tango" et les Fabulous troubadours "Y des Garçons"

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On ne remerciera jamais assez le cancer et Jésus.

Oui, tout d’abord, merci au cancer. Car s’il n’avait pas eu un cancer en 1985, à 34 ans, Gerhard Haderer aurait eu la vie indigente d’un « créateur » publicitaire. Or, c’est lorsqu’il fut opéré (et guéri) qu’il a tout laissé tomber et s’est tourné à fond vers le genre de dessins que vous allez (re)découvrir, si puissants, si violents qu’ils se passent de tout commentaire, à part quelques gloussements, quelques éclats de rire et pas mal de silences dans le genre grinçant.

Ensuite, merci à Jésus. Et surtout à Monseigneur Christoph Schönborn, cardinal, archevêque de Vienne. En 2002, Gerhard Haderer publiait La Vie de Jésus, un surfeur drogué à l’encens, ce qui faisait un peu scandale dans la très catholique Autriche, si bien que le cardinal archevêque, hors de lui, crut bon de donner l’ordre à l’auteur de présenter ses excuses aux chrétiens pour avoir ridiculisé le fils de Dieu. Au passage, on le voit, l’Islam n’a pas le monopole du refus des caricatures, mais celles-ci eurent beaucoup moins d’écho chez nos défenseurs de la liberté d’expression. Et bien entendu, comme toujours, la censure assura le succès de l’album, qui atteignit 100 000 exemplaires en quelques jours.

Le capitalisme est comparable à une autruche qui avale tout, absolument tout. Mais là, quand même, il y pas mal de dessins de Gerhard Haderer qui lui restent, c’est sûr, en travers de la gorge. On peut rêver et c’est déjà beaucoup.