Seconde partie d’un entretien de Mathieu Dejean avec François Héran, sociologue, démographe, professeur au collège de France, directeur de l’institut Convergences Migrations, qui publie Avec l’immigration. Mesurer, débattre, agir (La Découverte, 2017). Première partie à revoir en cliquant ici.
Choquant, provoquant, mais réel. Depuis des années, les habitants de Zarzis, sur la côte tunisienne, recueillent comme ils peuvent les corps des migrants noyés en Méditerranée. 20 000 morts depuis 2014. Une forte augmentation suite au Covid. À Zarzis, il faut déjà agrandir le cimetière des 600 tombes de ces soldats inconnus de la guerre économique [1].
Ces images nous choquent, nous indignent et nous désespèrent. On accuse les passeurs, l’Europe, la corruption, l’égoïsme, le capitalisme, les discours tournent à vide, les humanitaires s’épuisent et la résignation l’emporte. L’extrême droite en fait ses choux gras. Le « grand remplacement », l’« invasion migratoire », le « séparatisme », l’« ensauvagement ». Rien n’arrête les calculs électoralistes et médiatiques. Sans surprise, on annonce que la « question migratoire » sera l’enjeu majeur des prochaines élections.
« Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé. » La phrase attribuée à Albert Einstein dit bien la difficulté de lutter contre un tel bloc de préjugés et d’ignorance, qui profitent aux profiteurs depuis si longtemps en matière de migrations, de la traite négrière aux sans-papiers de Deliveroo.
François Héran, sociologue et professeur au collège de France, fait partie des chercheurs qui contribuent à ce que Noam Chomsky appelle l’« auto-défense intellectuelle », c’est-à-dire mettre à disposition les armes du savoir et de la raison. Pour dépasser les émotions et les indignations morales, il faut replacer les migrations dans le temps long de l’histoire, mais aussi dans nos mémoires familiales et dans notre présent vivant. Comprendre que, souvent rugueuse et douloureuse, l’intégration se fait au fil du temps, qu’il ne s’agit pas d’être pour ou contre mais d’être « avec », et considérer qu’il s’agit d’une réalité durable et banale.
Également démographe, titulaire de la chaire « Migrations et sociétés » au collège de France, François Héran publie Avec l’immigration. Mesurer, débattre, agir (La Découverte, 2017). Dans cet entretien, il s’emploie à élever le débat avec un sens du discernement imparable. L’idée de « grand remplacement », colportée par Marine Le Pen, apparaît pour ce qu’elle est : une fake news. Il jette aussi une lumière crue sur la politique d’accueil « à bras fermés » de la France. Un éclairage nécessaire, et une boîte à outils pour faire barrage à la rhétorique de l’extrême droite.