À rebours du mythe, Michèle Audin refait les contes et les comptes de la Semaine sanglante. Un entretien avec Mathieu Dejean

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« Le mort est encore intact dans son cercueil, et sa mémoire tombe déjà en pourriture. » Cent cinquante ans après la Commune de Paris, les mots de Jules Vallès dans L’Insurgé, décrivant les derniers jours de la Semaine sanglante en mai 1871, résonnent encore tragiquement.

Condamner la Commune, effacer sa mémoire, voilà cent cinquante ans que le camp des Versaillais s’y emploie obstinément. Encore ces jours derniers, Pierre Nora, vénérable historien officiel et influent, se prononçait contre cette commémoration car la Commune « n’a pas apporté grand-chose à la construction de la République » [1]. Il préfère que la France commémore Napoléon dont il vante les mérites, oubliant le désastre imbécile de l’impérialisme napoléonien qui fit entre trois et six millions de victimes. Aujourd’hui, les 150 ans de la Commune ont le mérite de rappeler l’antagonisme fondamental de notre histoire. Une barricade comporte deux côtés, on est de l’un ou de l’autre, les brouilleurs de piste n’y peuvent rien. La Commune est une tragédie fertile, dont le temps n’a pas épuisé le sens du formidable élan populaire pour l’émancipation humaine et qui a montré la violence impitoyable dont la bourgeoisie est capable dans sa haine raciale du peuple. Pierre Nora nous montre que cette bourgeoisie est toujours là et domine toujours.

C’est pour ne pas laisser la mémoire de cette insurrection populaire aux mains des vainqueurs que la mathématicienne Michèle Audin, une des plus grandes connaisseuses de la Commune de Paris, a publié La Semaine sanglante. Mai 1871. Légendes et comptes (Libertalia). Les révisionnistes ne manquent jamais d’opposer les crimes des deux camps en commençant par relativiser le nombre de Communards assassinés. " Nous ne savons pas exactement, mais il y a eu des crimes des deux côtés". Manière de renvoyer dos à dos -ou face à face- les révoltés et leurs bourreaux. Après l’historien britannique Robert Tombs, qui a revu à la baisse le nombre des morts de la répression versaillaise, Michèle Audin a consulté minutieusement toutes les archives à disposition – un travail qui n’avait encore jamais été fait – pour rétablir ce qui pouvait l’être sur le nombre d’inhumations. Elle met ainsi au jour les falsifications versaillaises pour masquer le massacre des insurgés, et dissipe des légendes abondamment relayées.

Un entretien de Mathieu Dejean avec Michèle Audin, autrice du livre La Semaine sanglante. Mai 1871. Légendes et comptes (Libertalia, 2021).

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journaliste : Mathieu Dejean
réalisation : Jonathan Duong et Cécile Frey
son : Jules Krot et Alexandre Lambert

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Notes

[1France Inter, 4 mars 2021.

Dossier : [VIDÉO] Célébration de la Commune : enfin au bout de 150 ans, les Communards font reculer les versaillais !

1 minute 35 de bonheur ! Ça dure 1 minute 35, regardez : « CASSEZ-VOUS ! CASSEZ-VOUS, VERSAILLAIS ! » Et en effet, les flics s’en vont ! Place de la République, samedi 29 mai, on célèbre les 150 ans de la Commune de Paris. Alors que tout est prévu, convenu, autorisé, alors que tout est calme, les flics de Darmanin s’apprêtent à cogner et à gazer sans la moindre raison. « LIBERTÉ, À BAS LES VERSAILLAIS ! » Et finalement, ils reculent assez piteux, images bien rares dans Paris. Une petite scène symbolique bien sûr, et qui donne raison à un certain Marx (Karl) qui affirmait : « les grands évènements se répètent deux fois, la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ». Oui mais, par cette magnifique journée de retrouvailles de République au mur des Fédérés, on a vu là le signe annonciateur du grand rebondissement !

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Voir aussi

-  Michèle Audin, La Semaine sanglante. Mai 1871. Légendes et comptes, Libertalia, 2021, Paris

- Eugène Varlin, ouvrier relieur (1839-1971), écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia, 2019, Paris

- Alix Payen, C’est la nuit surtout que le combat devient furieux. Une ambulancière de la Commune, 1871, écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia, 2020, Paris

- Jean Vautrin et Jacques Tardi, Le Cri du peuple, 2001-2004, Paris, Casterman

- Raphaël Meyssan, Les Damnés de la commune, France, 2019, 1h30min :

https://www.youtube.com/watch?v=rtK76S0_tHE

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C’est le printemps !!!! Accès libreÉcouter

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Musicale pour fêter l’arrivée des beaux jours...
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On ne remerciera jamais assez le cancer et Jésus.

Oui, tout d’abord, merci au cancer. Car s’il n’avait pas eu un cancer en 1985, à 34 ans, Gerhard Haderer aurait eu la vie indigente d’un « créateur » publicitaire. Or, c’est lorsqu’il fut opéré (et guéri) qu’il a tout laissé tomber et s’est tourné à fond vers le genre de dessins que vous allez (re)découvrir, si puissants, si violents qu’ils se passent de tout commentaire, à part quelques gloussements, quelques éclats de rire et pas mal de silences dans le genre grinçant.

Ensuite, merci à Jésus. Et surtout à Monseigneur Christoph Schönborn, cardinal, archevêque de Vienne. En 2002, Gerhard Haderer publiait La Vie de Jésus, un surfeur drogué à l’encens, ce qui faisait un peu scandale dans la très catholique Autriche, si bien que le cardinal archevêque, hors de lui, crut bon de donner l’ordre à l’auteur de présenter ses excuses aux chrétiens pour avoir ridiculisé le fils de Dieu. Au passage, on le voit, l’Islam n’a pas le monopole du refus des caricatures, mais celles-ci eurent beaucoup moins d’écho chez nos défenseurs de la liberté d’expression. Et bien entendu, comme toujours, la censure assura le succès de l’album, qui atteignit 100 000 exemplaires en quelques jours.

Le capitalisme est comparable à une autruche qui avale tout, absolument tout. Mais là, quand même, il y pas mal de dessins de Gerhard Haderer qui lui restent, c’est sûr, en travers de la gorge. On peut rêver et c’est déjà beaucoup.