Depuis des années, Inès Léraud enquête sur les horreurs de l’agroalimentaire en Bretagne. Pas facile. Ce beau monde est très malin pour s’entourer de silences et de connivences. Il faut de l’entêtement et du temps.
Pour être têtue, elle est têtue, Inès. On la connaît, c’est une ancienne modeste et géniale de Là-bas. Et pour avoir le temps, elle s’est installée pendant quatre ans dans un village au cœur de la Bretagne. Pas évident au début, mais la confiance est venue, et elle a commencé à diffuser des reportages qui ont dévoilé les méthodes de l’agroalimentaire et ses dégâts, autant sur la santé du petit personnel que sur la verdoyante nature bretonne. Verdoyante, c’est surtout les algues qui l’ont intéressée au point d’en faire un album de BD qui lui vaut un gros succès et aussi de gros ennuis [1].
La voilà qui subit des pressions, elle et son éditeur, la voilà poursuivie en justice par un gros patron ombrageux. Le procès aura lieu les 20 et 21 janvier au TGI à Paris. Mais du coup, c’est toute une élite locale de patrons, d’élus et de notables qui apparaît dans une lumière pas vraiment à leur avantage. Et c’est aussi toute une mobilisation pour défendre la liberté d’informer sur le secteur agroalimentaire. Et c’est aussi des journalistes en Bretagne qui refusent la docilité à laquelle la précarité les contraint, et qui s’organisent au sein d’un collectif, Kelaouiñ, qui veut dire « informer » en breton. Tout ça à cause d’UNE journaliste. Il y a 35 000 cartes de presse en France, vous imaginez, même 10 %, mettons 3 500 journalistes, aussi têtus dans le pays ? Les méchants ne dormiraient plus jamais. Mais heureusement que tous les journalistes ne font pas comme Inès Léraud.
Un entretien de Daniel Mermet avec Inès Léraud, journaliste, autrice de la bande dessinée Algues vertes, l’histoire interdite (Delcourt et La Revue dessinée, 2019) et Kristen Falc’hon, membre du collectif Kelaouiñ.