Votre travail apporte-t-il quoi que ce soit d’important au monde ? 40 % ont répondu « non » à la question posée par l’anthropologue David Graeber.
Faites vous un « BULLSHIT JOB », un BOULOT À LA CON ? En 2013, dans un article provocateur de la revue STRIKE !, David GRAEBER pose la question [1]. Quarante pour cent des lecteurs répondent « oui, je fais un boulot à la con ». Étonnant succès, l’article est aussitôt traduit dans plusieurs langues. GRAEBER a fait sauter un tabou comme on débouche une canalisation obstruée depuis longtemps. Il se met à creuser le sujet. Pourquoi ce silence devant une telle évidence ? Parce que le « bullshit job » est plutôt bien rémunéré avec, en plus, un certain prestige social ? Sans doute. Communicant, publicitaire, avocat d’affaires, ça présente quand même mieux qu’aide-soignante, éboueur ou petit prof dans le 93.
Bien avant la crise sanitaire, David GRAEBER a mis en évidence le fossé entre les boulots de l’aide à la personne – le « care » – comparés aux jobs de la finance, de la communication ou de l’assurance. Des millions d’emplois qui ne servent à rien et forment une énorme bureaucratie parasitaire qu’on croyait propre aux régimes totalitaires.
Au fond, à quoi ça sert mon boulot, à quoi et à qui suis-je utile ? C’est une question grosse comme le nez au milieu de la figure, mais on n’en parle pas, c’est un tabou, une question refoulée, vieille comme l’humanité sans doute. Albert Camus l’avait formulé :
Charlie Chaplin pour l’ère industrielle, dans Les Temps modernes (1936), et Jacques Tati dans Playtime (1967), pour la révolution du tertiaire, ont montré la destruction de la ressource humaine.
Les boulots à la con, ça ne date pas d’hier, mais la terreur du chômage imposée par le néolibéralisme depuis cinquante ans nous a contraints à accepter n’importe quel boulot. Bien sûr, chacun sait si son boulot est utile et s’il a un sens. Avec un boulot à la con, vous vous prenez pour un con. C’est comme une maladie honteuse qui vous ronge même si vous l’occultez. C’est un gâchis colossal et destructeur qui entraîne la destruction de l’environnement. Ressource humaine et ressource environnementale sont évidemment liées.
David GRAEBER est mort le deux septembre dernier alors que la pandémie revenait sur le monde avec le retour des « premiers de corvée », soignants et petites mains que les zombies du « bullshit job » avait déjà relégués au fond du placard social.
À la différence de ses congénères intellectuels « engagés », David GRAEBER ne se limite pas à la moralisation du capitalisme, il utilise son érudition d’anthropologue pour montrer des alternatives fondamentales face à un système dont nous avons tous compris le caractère mortifère. Il laisse une œuvre utile et précieuse comme un trousseau de clés. C’est à nous de jouer. Il avait 59 ans.