HOMMAGE À DANIEL BENSAÏD en SEPT PODCASTS (épisodes 03 et 04)

DANIEL BENSAÏD, UNE LENTE IMPATIENCE

Le

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Suite de l’hommage à Daniel Bensaïd, disparu il y a dix ans. En 2004, dans UNE LENTE IMPATIENCE, il raconte son parcours, ses engagements, les grandes défaites et les petites victoires et la conviction inoxydable dans notre pouvoir de changer le monde en agissant « sur la partie non fatale du devenir » :

[RADIO] Daniel Bensaïd, une lente impatience (1/2) [18 mai 2004]
[RADIO] Daniel Bensaïd, une lente impatience (2/2) [19 mai 2004]

Entretiens de Daniel Mermet avec Daniel Bensaïd, diffusés la première fois sur France Inter en mai 2004.

BENSA PRÉSENT ! Dix ans. Le 12 janvier 2010, Daniel BENSAÏD a cassé sa pipe. Le dimanche 24 janvier 2010, à la Maison de la Mutualité, salle comble, hommage bouleversant. Cours camarade ! CHARB dessinait en direct sur grand écran. Il a dessiné une girafe et un mulot, voilà pourquoi.

HOMMAGE DE DANIEL MERMET À DANIEL BENSAÏD (24 janvier 2010 )

Une girafe dans un champ de mulots. Voilà comment on peut représenter Daniel Bensaïd dans le paysage intellectuel d’aujourd’hui. Ce que je dis n’est pas très aimable pour les mulots, c’est vrai. Mais déjà, parmi ces mulots, vous avez reconnu BHL ou Finkielkraut ou Cohn-Bendit… À chacun son mulot.

Moi, c’est Télérama. À la mort de Daniel Bensaïd, Télérama a titré : « une pensée s’éteint ». Le lendemain, sur leur site, ils ont rectifié, c’est devenu : « un penseur s’éteint » [1]. Mais rassurez-vous, cher Télérama, le penseur et la pensée sont restés allumés. Vous avez pris vos rêves pour des réalités. Sachez-le, la lutte continue !

Ah, bien sûr, les vieux soixante-huitards en chaise roulante continueront longtemps encore à se battre à coups de canne à propos de Kronstadt et des amours de Frida et Léon dans la maison bleue accrochée à la colline. Mais la lutte continue, elle se mobilise pour les Conti ou les Goodyear, elle lutte contre la privatisation de La Poste et contre la « pwofitasyon », elle se bat pour ce qu’il appelait « l’éco-communisme ». Bensaïd voulait assurer la suite de l’histoire, il n’était pas du genre à mettre des enclumes dans les poches des enfants.

Et pour ça, j’avoue que je me suis un peu servi de lui en l’invitant à la radio. Pour dire, voyez, notre génération, c’est pas que des renégats, pas que des publicitaires libertaires, pas que des épaves social-démocrates… Pas que ceux qui ont propagé la théologie de l’impuissance et du renoncement et qui ont installé la peur au cœur même du système social. Ceux qui nous ont persuadés que nous ne pouvons rien sur notre devenir, et – encore mieux – qui nous ont fait croire que toutes les luttes ont été vaines, quand elles n’ont pas conduit au goulag.

C’est ça, l’irrésistible dont parlait Bensaïd. Résister à l’irrésistible, c’est résister à cette résignation, c’est résister à ce détachement cynique qui justifie les inégalités, l’appropriation privée, la sauvagerie des rapports sociaux.

En fait, Bensaïd n’avait jamais perdu la boussole de sa jeunesse. Le mot « communisme » par exemple. Il s’est cassé les reins à débarrasser ce mot de toutes les casseroles pleines de gravats que l’histoire lui a accrochées dans le dos. Et Marx ? Marx revendiqué par Jacques Attali, Alain Minc et Joseph Staline… Comment débarrasser Marx de son manteau de plomb ? Bensaïd a passé sa vie à nous dire que c’est par là que se trouvent les outils, les leviers et les munitions pour tous ceux qui n’ont pas renoncé à faire le pari de l’émancipation humaine.

Pour Bensaïd, cette émancipation n’est pas un pari, c’est une évidence.
Cette émancipation vient du bas. On ne fait pas le bonheur des peuples malgré eux. Même si on est du côté de l’opprimé, et surtout si on est du côté de l’opprimé… Il revenait souvent sur « l’auto-émancipation ». Sa boussole lui venait de ce bistrot toulousain où sa mère chantait Le Temps des cerises et où son père, dans le tiroir du comptoir, rangeait son étoile jaune, souvenir de Drancy. C’est de là que lui venait ce dur désir d’égalité. Sauf que l’égalité, nous ne la désirons qu’avec nos maîtres. Évidemment, les maîtres et les dominants sont beaucoup moins enclins à l’égalité et au partage. Il faut parfois leur tirer un peu l’oreille et même leur tirer un peu dessus.

Car comme disait Zebda, « y’a pas d’arrangement ». Ou bien tu luttes contre les abus du capitalisme en disant « un autre capitalisme est possible », ou bien tu cherches les voies et les moyens pour le renverser…

Non, la pensée n’est pas éteinte et le penseur non plus. Comme disait Bensaïd, « au moins pour s’épargner la honte de ne pas avoir essayé ».

La lutte continue !

Daniel Mermet, le 24 janvier 2010.

Daniel Bensaïd, Une lente impatience (Stock, 2004)

Daniel Bensaïd a eu du mal à se laisser convaincre d’écrire un livre sur sa vie. Ça faisait vraiment trop nécro, alors même que depuis 1990, ce Sida qui le bouffait et dont il ne parlait jamais lui mordait la nuque. Ce ne fut pas une autobiographie mais une forme de réponse à la question qu’Howard Zinn aimait poser, « comment en êtes-vous arrivé à penser ce que vous pensez ? » Un retour sur le temps où ce n’était pas le Sida mais l’histoire qui mordait la nuque d’une jeunesse révoltée. Philosophe, militant trotskiste, membre de la Quatrième Internationale, il échappait aux bâillements que ces mots suggèrent. Il avait un mot pour ça : la glu. Échapper à la glu des origines, à la glu générationnelle, à la glu dogmatique. En venant dans Là-bas, il n’a jamais gâché l’occasion qui lui était offerte de parler à un grand public dans un esprit d’éducation populaire, en prenant sa part de grandes défaites et de petites victoires dans la guerre des idées.

Programmation musicale :
 Serge Pey et André Minvielle : Amarade
 Keny Arkana : Désobéissance civile

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