Quelques jours après les attentats du 13 novembre 2015, le philosophe Alain BADIOU donnait une conférence devant une salle comble pour, disait-il, « aider à ce que les meurtres de masse du vendredi 13 novembre, à Paris et à Saint-Denis, soient pensés au-delà des indispensables affects : horreur, barbarie, stupéfaction ».
Il est rare que des intellectuels se risquent à analyser à chaud de tels évènements au moment même pourtant où le choc de l’émotion offre une opportunité à l’autoritarisme. Devant les victimes, devant tout un pays en état de choc, le pouvoir politique de l’époque répondait par « la guerre » et l’état d’urgence. Le 19 novembre à l’Assemblée nationale, Manuel Valls déclarait : « le terrorisme frappe la France non pas pour ce qu’elle fait en Irak, en Syrie ou au Sahel, mais pour ce qu’elle est ».
Huit ans après, alors que nous sommes sous le choc des affrontements au Proche-orient, nous vous proposons de revoir (ou de relire) l’intervention d’Alain Badiou pour « penser les meurtres de masse », au théâtre de la Commune à Aubervilliers, le 23 novembre 2015.
Cette conférence dure près de deux heures. Prenez votre temps. À côté des penseurs à la sauvette et des médias consensuels (et sans suite), nous vous en proposons une version intégrale.
Voici les intentions de cette conférence :
Pour aider à ce que les meurtres de masse du vendredi 13 novembre, à Paris et à Saint-Denis, soient pensés au-delà des indispensables affects : horreur, barbarie, stupéfaction.
Pour qu’aucune propagande ne puisse s’y opposer fictivement pour s’en servir réellement.
Pour évaluer l’imposture et le péril de ceux qui visiblement se réjouissent, en France ou ailleurs, qu’on puisse enfin crier : « la guerre ! C’est la guerre ! Tous en guerre ».
Pour que d’abjects meurtres de masse ne puissent se glorifier d’avoir à eux seuls plus d’importance et de valeur médiatique et étatique que toutes les recherches rationnelles d’une politique neuve, toutes les expériences de la pensée et de la pratique en direction des vérités à venir.
Pour que les peuples du monde, et singulièrement leur jeunesse, ne soient pas acculés au choix accablant entre un fascisme racialo-religieux et le vide agressif de la domination occidentale, du capitalisme mondialisé et des États qui en sont les serviteurs.
Pour en somme que soit surmontée la fausse et meurtrière contradiction apparente du monde qui est le nôtre : entre la modernité monétaire et marchande d’une part et les différentes variantes du gangstérisme traditionaliste de l’autre.
Pour que soit sortie de l’ombre et changée en force la vraie contradiction, qui oppose deux termes dont l’identification est l’entrée obligée pour toute pensée qui s’applique à changer le monde :
1) le couple guerrier des États dominants et des bandits fascisants, qui ont un intérêt commun à diffuser dans le monde entier une subjectivité de guerre.
2) les porteurs, par leur alliance à construire, du communisme qui vient : prolétariat international et nomade, intellectuels libres, jeunesse à la recherche d’une vie qui soit grande et vraie.
théâtre de la Commune, 23 novembre 2015