Nationaliser le bonheur commence par virer ces passions tristes qui nous bouffent comme des punaises de lit et rétrécissent la surface de la cage. Contre ça il faut des biscuits, il faut des provisions, il faut des armes. En voilà pour tout l’été, dont cette émission indispensable sur Édouard Manet vu par Pierre Bourdieu : une révolution symbolique ?
Édouard Manet, Olympia, 1863, huile sur toile, 130,5 × 191 cm, offert à l’État par souscription publique sur l’initiative de Claude Monet, 1890, Musée d’Orsay, Paris
Pierre Bourdieu a passé les dernières années de sa vie à étudier la peinture d’Édouard Manet. On pourrait trouver un même goût de la rupture et du défi chez l’un et l’autre. Située en pleine crise de l’Académie, la rupture inaugurée par Manet (1832-1883) a abouti à un bouleversement de l’ordre esthétique. La nouvelle vision du monde qu’elle a engendrée a imprimé sa marque jusqu’à nos jours. En abordant la genèse des tableaux de Manet comme une série de prises de position qui sont autant de défis lancés à l’académisme conservateur des peintres pompiers, au populisme des réalistes, à l’éclectisme commercial de la peinture de genre et même aux « impressionnistes », Bourdieu a montré qu’une telle révolution est indissociable des conditions d’émergence des champs de production culturelle.
Comment s’opère cette « révolution symbolique » et comment réussit-elle à s’imposer ? Aujourd’hui, en regardant Olympia ou Le Déjeuner sur l’herbe, on se demande comment ces peintures ont pu créer de si énormes scandales, autant pour les figures représentées que pour la manière de peindre. On est scandalisé qu’il y eut de tels scandales. C’est, dans tous les domaines, le propre des révolutions symboliques que d’être oubliées après qu’elles aient réussi.
À travers le cas exemplaire d’Édouard Manet, c’est à cette question que s’est confronté Pierre Bourdieu dès les années 1980 et à laquelle il a consacré les dernières années de son enseignement au Collège de France.
Un immense chantier que la mort est venue interrompre il y a vingt ans. En 2013, les textes de ses cours et les manuscrits en cours étaient publiés par Raisons d’agir et le Seuil.
Voici l’entretien de Daniel Mermet avec Christophe Charle, historien, et Patrick Champagne, sociologue, qui ont participé à l’édition du livre Manet, une révolution symbolique.

Édouard Manet, Le Déjeuner sur l’herbe, 1863, huile sur toile, 207,0 × 265,0 cm, musée d’Orsay, Paris
Pablo Picasso, Le déjeuner sur l’herbe d’après Manet, 27 février 1960, Londres, Nahmad Gallery
Édouard Manet, Olympia, 1863, huile sur toile, 130,5 × 191 cm, offert à l’État par souscription publique sur l’initiative de Claude Monet, 1890, Musée d’Orsay, Paris
Édouard Manet, Un bar aux Folies Bergère, 1882, huile sur toile, 96 × 130 cm, Institut Courtauld, Londres
Édouard Manet, L’Exécution de Maximilien, 1868, huile sur toile, 252 × 305 cm, Kunsthalle de Mannheim, Allemagne
Édouard Manet, La queue devant la boucherie, 1871, eau-forte, 240 x 160 mm, Bibliothèque nationale de France
