Aude Lancelin reçoit Anselm Jappe

Le néolibéralisme a modifié les âmes Abonnés

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Il est très certainement le meilleur connaisseur vivant de la pensée de Guy Debord, auteur d’un essai sur le situationnisme dont le principal intéressé saluera lui-même en son temps la perspicacité. Né en 1962, le philosophe allemand Anselm Jappe, vivant en France et enseignant en Sardaigne, remet au goût du jour le concept marxiste de « fétichisme de la marchandise », et poursuit une réflexion extrêmement riche sur les mutations anthropologiques induites par le néolibéralisme. À commencer par les traits de caractère narcissiques que nos psychés contemporaines, tributaires puériles d’une technique sans laquelle nous ne saurions plus vivre, ont développé au fil du temps.

Le jugement dernier, peinture à l’huile sur bois de Rogier van der Weyden, XVème siècle (détail)

Aujourd’hui, Anselm Jappe publie un livre impressionnant par sa capacité à éclairer ce que nous vivons, La Société autophage. Capitalisme, démesure et autodestruction (éditions La Découverte). Sur sa couverture, on voit un homme dévorer son propre corps, métaphore d’une civilisation néolibérale devenue folle, en train de se suicider sur le dos de la nature – avec notre complicité active hélas. La transformation du travail en valeur, source même du capitalisme, est en train de s’épuiser, affirme l’auteur. Ainsi le capitalisme est-il en train de vivre une crise non pas cyclique, mais bel et bien finale à ses yeux.

Seulement voilà, au-delà du capitalisme, il n’y a pas nécessairement l’émancipation. Il peut y avoir pire encore si l’on peut dire, à savoir la barbarie totale, un esclavage d’une ampleur insoupçonnée. Ainsi Anselm Jappe évoque-t-il la création d’une humanité superflue, d’une humanité-déchet, comme nouveau fonctionnement ordinaire du système de production qui est d’ores et déjà le nôtre.

Face à cela, une critique purement morale, fondée sur la « dénonciation de l’avidité », serait nulle et non avenue. Même si une certaine gauche ne veut pas le comprendre, ce n’est pas la vertu qui sauvera le monde. Plutôt que de viser à une auto-modération du capitalisme, il faut viser la sortie totale pour Jappe. L’une n’étant nullement plus irréaliste que l’autre. On ne dépassera par exemple jamais la crise écologique dans le cadre capitaliste selon lui, le « capitalisme vert » et le « développement durable » étant de pures et simples foutaises. Alors que faire ? Se résigner ou inventer l’impossible. Un entretien d’une cruelle lucidité pour découvrir l’un des meilleurs penseurs anticapitalistes contemporains.

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journaliste : Aude Lancelin
réalisation : Jonathan Duong et Cécile Frey
son : Jérôme Chelius

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À LIRE :

- Les aventures de la marchandise : pour une critique de la valeur, un livre d’Anselm Jappe (2003, réédité aux éditions La Découverte en 2017)

-  Guy Debord, un livre d’Anselm Jappe (éditions Denoël, 2001)

À VOIR :

Wall-E, un film d’Andrew Stanton (Pixar Animation Studios, 2008)

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Dans les livres

  • La société autophage : capitalisme, démesure et autodestruction

    Un livre impressionnant par sa capacité à éclairer ce que nous vivons. Sur sa couverture, on voit un homme dévorer son propre corps, métaphore d’une civilisation néolibérale devenue folle, en train de se suicider sur le dos de la nature – avec notre complicité active hélas. La transformation du travail en valeur, source même du capitalisme, est en train de s’épuiser, affirme l’auteur. Ainsi le capitalisme est-il en train de vivre une crise non pas cyclique, mais bel et bien finale à ses yeux. Seulement voilà, au-delà du capitalisme, il n’y a pas nécessairement l’émancipation. Anselm Jappe évoque la création d’une humanité superflue, d’une humanité-déchet, comme nouveau fonctionnement ordinaire du système de production qui est d’ores et déjà le nôtre. Face à cela, plutôt que de viser à une auto-modération du capitalisme, il faut viser la sortie totale. L’une n’étant nullement plus irréaliste que… Lire la suite

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C’est le printemps !!!! Accès libreÉcouter

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On ne remerciera jamais assez le cancer et Jésus.

Oui, tout d’abord, merci au cancer. Car s’il n’avait pas eu un cancer en 1985, à 34 ans, Gerhard Haderer aurait eu la vie indigente d’un « créateur » publicitaire. Or, c’est lorsqu’il fut opéré (et guéri) qu’il a tout laissé tomber et s’est tourné à fond vers le genre de dessins que vous allez (re)découvrir, si puissants, si violents qu’ils se passent de tout commentaire, à part quelques gloussements, quelques éclats de rire et pas mal de silences dans le genre grinçant.

Ensuite, merci à Jésus. Et surtout à Monseigneur Christoph Schönborn, cardinal, archevêque de Vienne. En 2002, Gerhard Haderer publiait La Vie de Jésus, un surfeur drogué à l’encens, ce qui faisait un peu scandale dans la très catholique Autriche, si bien que le cardinal archevêque, hors de lui, crut bon de donner l’ordre à l’auteur de présenter ses excuses aux chrétiens pour avoir ridiculisé le fils de Dieu. Au passage, on le voit, l’Islam n’a pas le monopole du refus des caricatures, mais celles-ci eurent beaucoup moins d’écho chez nos défenseurs de la liberté d’expression. Et bien entendu, comme toujours, la censure assura le succès de l’album, qui atteignit 100 000 exemplaires en quelques jours.

Le capitalisme est comparable à une autruche qui avale tout, absolument tout. Mais là, quand même, il y pas mal de dessins de Gerhard Haderer qui lui restent, c’est sûr, en travers de la gorge. On peut rêver et c’est déjà beaucoup.