Le Monde Diplomatique, par Pierre Rimbert, samedi 22 novembre 2014
Le 19 novembre, l’émission promotionnelle reçoit Mathieu Gallet, président de Radio France et, le hasard faisant bien les choses, ancien cadre de la chaîne cryptée. Les sujets brûlants ne manquent pas : projet de loi gouvernemental visant à dynamiter les règles anticoncentration dans les médias, dérive élitiste de France Inter, une station toujours plus encline à célébrer le milieu parisien de l’art et de la culture aux dépens des problématiques économiques et sociales (lire « Rapprocher le micro de la fenêtre »), conditions litigieuses de la nomination de M. Gallet à la tête de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) en 2010, une entreprise placée sous la tutelle administrative du ministère de la culture et de la communication d’où sortait justement M. Gallet.
Mais Barthès choisit l’audace. Et, après avoir interrogé son invité sur son élection au titre d’homme de média le plus sexy de l’année par un magazine, il enchaîne sur un quiz consistant à reconnaître des grandes voix de la radio. Défilent alors celle de Patrick Cohen lançant la matinale de France Inter, puis celle du présentateur météo Joël Collado annonçant « un temps très ensoleillé, très agréable », aussitôt identifiées par leur patron. Mais au troisième extrait, il n’est plus question de badinages anodins. Un timbre bien connu des auditeurs de la station publique prononce les mots suivant, extraits de tout contexte : « Petit noyau d’ultra-sionistes français qui n’en finissent pas de s’exciter pour imposer, non sans succès, un véritable terrorisme intellectuel sur ce sujet. »
M. Gallet grimace à l’écoute de l’expression « ultra-sioniste » et botte en touche : « Je sèche ».
— « C’est Daniel Mermet, plastronne Barthès, voix mythique de France Inter depuis 1989 avec son émission “Là-bas si j’y suis”. Viré cet été. »
Le montage est astucieux, à l’instar des trucages et manipulations régulièrement déployés dans cette émission [1]. A entendre l’extrait qui se veut polémique, il ressort que le PDG de Radio France a écarté un animateur tenant des propos sulfureux. Plutôt que de devoir s’expliquer sur la suppression d’une des rares émissions de reportage international de la radio publique, l’ex-collègue de Barthès apparaît tout à son avantage.
— « That’s life » [« C’est la vie »], conclut M. Gallet à propos du licenciement de Mermet, comme s’il s’agissait non pas d’une décision politique mais d’un souffle divin.
— « That’s life », reprend Barthès, qui vogue déjà vers d’autres insignifiances.
Et l’on perçoit soudain dans cette communion entre les deux jeunes compères, l’un animateur de télévision privée, lui-même patron de son entreprise de production, l’autre PDG de la radio publique, nommé là comme pour monter une marche de plus sur l’escalier du succès, le précipité presque chimiquement pur du cynisme branché.
Grâces leur soient rendues : c’est à eux que l’on doit le discrédit croissant des médias dominants.
Pierre Rimbert
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