Chers amis,
Chers AMG !
Vous nous faites souvent part de votre bonheur de recevoir Là-bas hebdo, en nous faisant cependant parfois observer que s’il est fort opportun de vous rappeler les émissions que vous avez manquées, il serait encore plus judicieux de vous informer des émissions à venir !
Eh bien soyez comblés, chers AMG, voici ce qui vous débauchera les oreilles à partir du lundi 9 avril !
ANNEES 80, RETOUR EN ARRIERE
Là-bas si j’y suis, série spéciale du 9 au 17 avril 2007
« La mondialisation est à l’économie ce que la pomme est à la gravitation universelle »
Alain Minc (1982)
« La dénonciation systématique du profit est à ranger au magasin des accessoires »
Laurent Fabius (1983)
Beaucoup des questions et des impasses qui hantent cette période électorale ont leur origine dans le grand basculement des années 80. Si le mouvement social a fini par opposer des contrefeux à « la seule politique possible », beaucoup des idées et des acteurs apparus dans ces années là occupent toujours largement la scène. Nous vivons toujours sous la soumission à un ordre économique qui n’a rien d’inéluctable. Pour prendre aujourd’hui toute la mesure de notre marge de manœuvre, il faut revenir sur les années du grand renoncement.
Du Wonder Boy Bernard Tapie au premier Guignol de Canal Plus, de la manif pour NRJ aux Rita Mitsouko chantant « c’est comme ça », de Le Pen et ses dérapages à l’angélisme antiraciste de « Touche pas à mon pote », de la privatisation de TF1 (accordé au « mieux-disant culturel ») en passant par l’incontournable « Vive la Crise » avec Yves Montand, nous avons tous en nous quelque chose des années 80.
A partir d’une recherche d’archives et avec les analyses et les commentaires de François Cusset, Serge Halimi, Frédéric Lordon, ainsi que Pierre Rimbert et Gilles Balbastre.
François Cusset, enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris, auteur, notamment, de La décennie - le cauchemar des années 80 (La Découverte, 2006).
Serge Halimi, journaliste au Monde diplomatique, auteur, notamment, de Le Grand bond en arrière (Fayard, 2004) et de Quand la gauche essayait (Arléa, 2000).
Frédéric Lordon, économiste, chercheur au CNRS, auteur, notamment, de Et la vertu sauvera le monde (Raisons d’agir, 2003) et de Fonds de pension, piège à cons (Raisons d’agir, 2000).
Gilles Balbastre, réalisateur et journaliste au Plan B, auteur, notamment, de Journalistes précaires - Journalistes au quotidien (direction, Alain Accardo, Agone, 2007).
Pierre Rimbert, sociologue et journaliste au Plan B, auteur, notamment, de Libération - de Sartre à Rothschild (Raisons d’agir, 2005)
Dictature de l’inéluctable
Le paquet bleu ou le paquet rose ? Celui-ci lave plus blanc mais on gagne des gadgets avec celui-là. Et si on essayait le paquet jaune ? Ou le paquet noir ? La question est toujours la même : que choisir ? Pourtant c’est la même lessive dans toutes les boîtes, nul n’est dupe. Mais on se passionne pour ces différences comme lorsqu’il faut choisir entre Orange ou SFR, Mac ou PC, Nike ou Adidas. Pourtant d’autres idées sont proposées. Des systèmes de laverie collective, la lessive écolo, ou plus de linge du tout ! Mais qui écoute ces extrémistes ? Une autre lessive est possible, affirment des barbus convaincus. Des idées folles. Et pourtant c’est avec des idées folles que l’homme a inventé le meilleur de l’homme. J’ai récemment appris que c’est en Chine que fut inventée la manivelle. Vous imaginez le chinois qui trouve ça, une simple tige de fer tordue, et qui court montrer ça à ses copains. Une révolution !
Aujourd’hui la révolution c’est ringard, c’est de l’idéologie, ça mène tout droit aux barbelés et au goulag. Révolution sociale, intellectuelle, politique, finies les ruptures. Pourtant la manivelle c’était une sacrée rupture, si vous y pensez. L’invention de la manivelle ouvrait des possibles impensables jusque là ; voilà des millions d’hommes à jamais affranchis des charges et des fardeaux qui se redressent et inventent des machineries nouvelles, des écluses et des phonographes. Des catapultes aussi, des machines de guerre, c’est vrai, mais aussi la pêche à la ligne et les orgues de barbarie. Vous me direz que je fais un amalgame entre différentes révolutions et que rien n’empêche aujourd’hui quelqu’un d’inventer l’équivalent de la manivelle. Pas sûr, voyez du côté de la recherche. Rentabilité et profits immédiats colonisent connaissances et cerveaux. L’actionnaire exige des rendements immédiats. L’actionnaire est le maître. L’actionnaire emmerde le monde. Ainsi va le monde de la mondialisation.
C’est qu’une dictature s’est imposée depuis vingt cinq ans. Une chouette dictature, pas du tout le genre mirador et Kolyma, bien au contraire, une dictature sympa, et décomplexée, qui dit « faut pas se prendre la tête, faut lâcher prise, c’est comme ça, on a pas le choix ».
La dictature de l’inéluctable est désormais gravée dans le disque dur collectif, grâce à l’œuvre de ses missionnaires médiatiques, ses entrepreneurs héroïques, ses politiciens réalistes, sa culture pour table basse et ses renégats soixante-huitards.
En un quart de siècle, une minorité a imposé ses intérêts économiques au détriment de l’intérêt général. Au détriment de millions de femmes, d’hommes et d’enfants saccagés, humiliés, égarés dans un monde sans suite. ça s’est fait « naturellement » grâce à la collaboration des malins qui aujourd’hui occupent les bons trous dans le bon fromage. Ils n’ont pas rencontré d’obstacle majeur, aucun contrepoids, ou de faux contrepoids comme à la fête foraine où l’adversaire du lutteur est un compère rémunéré.
Et les perdants alors ? Le malheur, l’injustice ? Pour ça il y a les Droits de l’Homme et l’Humanitaire et toutes ces choses qui donnent au capitalisme un visage humain ; la compassion, la déploration, l’éthique, la déontologie, le Téléthon, la citoyenneté, la société civile, le moralisme de plume et les restos du cœur. Très important le cœur !
Et tout ce qui amollit, récupère, aseptise et neutralise. Très important le neutralisateur ! Drapé dans la toge vertueuse de l’objectivité, il distribue semonces et bons points puis revient se coucher au pied du maître. Et le divertisseur, très important aussi ! Lui sa tâche consiste à faire des vagues pour cacher ce qu’on pourrait apercevoir dans le fond. Un fond qui remonte à la surface lors du referendum sur le traité de constitution européenne en mai 2006, ou dans la lutte contre le Contrat Première Embauche ou dans le Réseau Education Sans frontière. Mais aussi, un fond beaucoup plus clandestin, une immense réserve de révoltes vives qui s’accumulent en silence, fermentent et guettent le jour entre les fentes. Un fond trouble par endroit, il ne faut pas se le cacher. Les humiliés ne rêvent pas tous de la prise du Palais d’Hiver et Hitler fut porté par le peuple. Mais c’est un fond profondément et majoritairement récalcitrant au grand bond en arrière néolibéral et qui fait de la France une référence dans le monde. Mais pas en France.
En cela on peut dire que ces élections sont un détournement de fond.
Et ce détournement a une histoire liée au bouleversement des années 80.
C’est l’histoire de ces années que nous allons raconter à partir du livre de François Cusset, La décennie - Le cauchemar des années 80 (La découverte, 2006) qui va nous servir de repère dans le dédale de ce grand renoncement. Histoire d’une soumission au nouvel ordre mondial imposé par ceux-là même qui prétendaient incarner les valeurs opposées à la domination de l’économie. Disparition du politique devant l’ordre économique néolibéral, renoncement à toute contestation sociale et à tout idéal mobilisateur, triomphe d’une pédagogie de la résignation et de la culture plate, proclamation de la fin des idéologies et même de l’ Histoire, triomphe de l’argent roi et de l’ambition égoïste, évanouissement de l’avenir...
Les bras en l’air beaucoup se sont rendus à l’évidence. Malheur alors à ceux qui refusèrent d’entrer dans la collaboration. Des staliniens, des sectaires, des manichéens, des archaïques, des munichois, des antisémites. Et pourtant, songeant que « rien ne nous oblige à vivre dans le monde où nous vivons » quelques-uns résistèrent.
Ils ne sont aujourd’hui plus les seuls.
Et comme dit Sally Mara ....
Là-bas, le 4 avril 2007