Chère, très chère évasion fiscale Abonnés

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Le , par jean-michel dumay


« Pour parler franchement, votre argent m’intéresse » (BNP, 1973)

L’évasion fiscale ? Une plaie due à la délocalisation des bénéfices des multinationales pour échapper à l’impôt. Des montages juridiques complexes entre filiales d’un même groupe qui permettent d’optimiser les profits. Une ingénierie financière souvent aux frontières de la légalité, qui privent les États où se font ces bénéfices de ressources pour le bien commun et accroissent les inégalités. Les sommes en jeu sont considérables : de 50 à 70 milliards d’euros de manque à gagner en France (le budget de l’enseignement scolaire), 1 000 milliards dans l’Union européenne, 20 000 milliards au niveau mondial, selon l’ONG Tax Justice Network.
Reportage auprès des « faucheurs de chaises », qui ont saisi l’occasion du procès Cahuzac, finalement reporté, pour le rappeler. Et retour sur la nuit où le député PS frondeur Pascal Cherki eut le sentiment, en décembre, d’être « pris pour un con » par « son » gouvernement.

Un reportage de Jean-Michel DUMAY, à écouter en intégralité ici [35’19] :

Lundi 8 février s’ouvrait le procès de Jérôme Cahuzac, ancien ministre délégué au budget, poursuivi pour « fraude fiscale », « blanchiment » et pour avoir minimisé sa déclaration de patrimoine – une obligation faite aux membres du gouvernement. Une affaire symbole, où celui qui aurait dû être l’artisan en chef de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales était pris en flagrant délit de mensonges, notamment envers ses collègues députés : la représentation nationale. Au printemps 2013, sous la pression des révélations de Mediapart, Jérôme Cahuzac reconnaissait finalement avoir fait transité 687 000 euros d’avoirs dissimulés (2,5 millions pour son ex-épouse elle aussi poursuivie) sur un compte en Suisse, transférés ultérieurement à Singapour.

À l’occasion de ce procès – repoussé finalement à septembre pour une question de procédure –, des citoyens, des militants et responsables d’ONG, des personnalités, telles l’économiste Pierre Larrouturou et le philosophe Patrick Viveret, se sont réunis place du Châtelet, à Paris, pour dénoncer le scandale de l’évasion fiscale, d’une toute autre ampleur financière. Symboliquement, ils ont remis à la justice 196 chaises « réquisitionnées » dans des agences bancaires, une par pays membres de l’ONU. Les banques étant, selon eux, les complices de cette évasion. Certains de leurs « faucheurs » ont, depuis, été placés en garde-à-vue ou convoqués par la police pour interrogatoire.

Première partie du reportage : les faucheurs rendent les chaises [15’55]

(photo : Charlotte RIVIÈRE)

Un facteur clé de l’augmentation des inégalités

Facilitée par la globalisation de l’économie, l’évasion fiscale porte, au niveau international, sur des milliers de milliards d’euros, devenant ainsi « un facteur clé dans l’augmentation rapide des inégalités extrêmes », constate un rapport de novembre 2015 d’ONG internationales, parmi lesquelles Tax Justice Network et Oxfam. « La population finit par payer les conséquences du manque à gagner fiscal : restrictions budgétaires qui affectent les écoles et les hôpitaux et amputation plus large de services publics essentiels ». L’essentiel des bénéfices des multinationales se retrouve dans une poignée de pays, parfois au cœur de l’Union européenne : les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Irlande, les Bermudes et la Suisse.

Selon ce rapport, les seules multinationales américaines ont transféré, en 2012, entre 500 et 700 milliards de dollars de bénéfices (450 à 630 milliards d’euros) vers des pays où les taux d’imposition sur ceux-ci sont très bas, voire nuls – soit un quart de leurs bénéfices. Elles ont, par exemple, déclaré 80 milliards de dollars aux Bermudes, où elles ont été totalement exonérées, soit plus que leurs bénéfices déclarés au Japon, en Chine, en Allemagne et en France réunis…

Téléchargez le rapport « Le hold-up fiscal continue »

Ces bénéfices des multinationales américaines seraient, en France, de 2,5 fois inférieurs « à ce que leur activité économique (mesurée par les chiffres d’affaires, les bénéfices, le nombre de salariés, les coûts salariaux versés) laisse supposer », soit un manque à gagner pour la France (relatif aux seules multinationales américaines) de 4,5 milliards de dollars de recettes fiscales (4 milliards d’euros), davantage que les 3 milliards d’économies prévues pour les hôpitaux d’ici à 2017. S’y ajoutent les autres multinationales…

La transparence, arme de base de la lutte

Seconde partie du reportage : la nuit où le député Cherki fut « pris pour un con » [19’24]

En 2013, poussé par le G20, l’OCDE promettait de mettre fin au fléau. Un train de mesures a été adopté en novembre 2015. Insuffisant, disent les ONG, pour qui « les fondamentaux du système » défaillant sont maintenus. Elles poussent donc à plus de transparence – l’arme de base essentielle pour initier la lutte contre l’évasion.

En France, en relais de la Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires (CCFD, Oxfam, One, Peuples solidaires, etc.), des parlementaires socialistes et écologistes, parmi lesquels le député PS de Paris, frondeur, Pascal Cherki, ont ainsi tenté, fin 2015, de faire passer un amendement au projet de loi de finances rectificative visant à obliger les entreprises les plus importantes (plus de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires ou plus de 250 salariés) à rendre publiques, pays par pays, des informations sommaires permettant d’observer d’éventuelles délocalisations de bénéfices. La mesure dite de « reporting public » a déjà été adoptée au niveau européen pour les banques, ainsi que pour les industries extractives, minières et forestières. Elle devait l’être pour les grandes entreprises, selon une promesse de François Hollande après l’affaire Cahuzac.

Et ils ont réussi ! Dans la nuit du 15 au 16 décembre 2015. Las ! C’était sans compter la frilosité du gouvernement qui, mis en minorité, n’a pas hésité par le truchement du secrétaire d’État au budget, Christian Eckert, à faire revoter l’Assemblée, le temps de retourner quelques députés…


Merci à Pierre LARROUTUROU, Patrick VIVERET et Pascal CHERKI.

Programmation musicale :
 Ya Basta, par la Compagnie Jolie Môme
 La Crise, par L’homme parle

Reportage : Jean-Michel DUMAY
Réalisation : Jérôme CHELIUS

(Vous pouvez podcaster ce reportage en vous rendant dans la rubrique "Mon compte", en haut à droite de cette page.)

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