Frédéric LORDON : soutenir Mélenchon ?

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Voici la transcription de notre vidéo « Frédéric LORDON : soutenir Mélenchon ? ». Ce texte est tiré de l’entretien de Daniel MERMET avec Frédéric LORDON à l’occasion de notre émission spéciale AN 02, enregistrée le 21 janvier dernier au Lieu-Dit.

01. L’enjeu « Mélenchon »


Frédéric LORDON : Les prochaines élections… c’est une drôle d’affaire. Ça m’inspire des sentiments tout à fait mêlés, cette perspective électorale. Des sentiments très contradictoires.

Les années passant, et ça fait un moment que j’ai arrêté de voter pour ce qui me concerne, j’en suis venu vraiment à considérer que la pantomime électorale dans le cadre des institutions de la 5ème République était une affaire nulle et non avenue.

Et d’un certain point de vue, ce qui s’est passé avec Nuit Debout était l’expression de cette disposition d’esprit. Jouer le jeu dans ces institutions est une affaire soit perdue d’avance, soit entièrement privée de sens, mais la seule question politique vraiment pertinente à poser, c’est la transformation des institutions politiques en cessant immédiatement de les cautionner par notre participation.

Et puis contradictoirement, je pense que c’est une élection à nulle autre pareille. Je pense que cette élection soulève des enjeux politiques d’une intensité qu’on n’a pas vue depuis 1981 (et peut-être même supérieure), et que par là d’ailleurs, elle s’annonce d’une redoutable violence. Alors, où sont localisés ces enjeux qui font la singularité, peut-être, de cette élection ? Pour l’instant, je vais essayer de rester aussi analytique que possible. Là où un enjeu surgit, c’est autour de la candidature de Mélenchon.

On peut avoir toutes les réserves du monde vis-à-vis de Mélenchon, ou de sa personnalité, ou de ses orientations politiques, mais il y a au moins une chose — si on regarde le paysage avec un tant soit peu de distance — qu’on ne peut pas ne pas reconnaître, c’est qu’il est porteur, pour la première fois depuis très longtemps, d’une différence significative de gauche dans le paysage de l’offre politique. Et ce n’est pas rien.

Qu’il y ait une différence significative installée dans le paysage politique, ça on le sait depuis longtemps, c’est le FN. Mais c’était la seule, qui prospérait évidemment sur l’indifférenciation générale, ça va sans dire.

Mais là pour une fois, il y a une différence qui peut retenir notre attention et retenir l’attention de tous les gens qui se reconnaissent authentiquement de gauche. On voit bien que nous vivons une conjoncture très particulière, dans laquelle précisément l’arrivée de cette différence peut peut-être produire des effets. Cette conjoncture très particulière, elle se signale par un symptôme caractéristique qui est la confusion générale.

La confusion générale, on peut en donner plein de signes : des électeurs de gauche se mettent le cervelet au court-bouillon pour savoir s’ils vont aller voter à la primaire de droite. Là, c’est qu’il y a un truc qui ne va pas. Les médias eux-mêmes sont sujets à cette très grande confusion. Parce qu’à force de prendre baffe sur baffe, le niveau de contestation monte et ils ne peuvent pas ne pas l’intégrer d’une certaine manière. Ils se rendent compte que tout ce qu’ils disent est voué au démenti, que tous les candidats qu’ils portent sont menacés de finir dans le talus, que les vainqueurs des sondages finiront comme les perdants, etc. Les médias eux-mêmes commencent à tenir un discours sur les médias : « oh là là, on n’arrête pas de se tromper ».


02. Le paradoxe d’Épiménide


Frédéric LORDON : Je voudrais que tu m’accordes une minute d’universitaire, très rapidement. Je vais faire un petit tour par un paradoxe qui est connu depuis la philosophie antique, qui a traversé les siècles, et qui est une grande question pour la logique. C’est le paradoxe d’Épiménide.

Épiménide est un bon gars, c’est un Crétois. C’est important qu’il soit Crétois. Les Crétois sont des bons gars. Épiménide se pointe et dit ceci : « moi Épiménide, Crétois, je dis : "tous les Crétois sont des menteurs". » Et puis il se taille.

Alors les gens qui voudraient savoir si les Crétois mentent ou disent la vérité commencent à se mettre les méninges en surchauffe. Et alors ils vont de mal en pis. Parce que, si Épiménide n’a pas menti, alors tous les Crétois sont des menteurs, c’est vrai, donc tous les Crétois mentent. Donc Épiménide qui est Crétois ment aussi. Donc, s’il n’a pas menti, il a menti.

Mais s’il a menti, alors la proposition « tous les Crétois sont des menteurs » est un mensonge. Donc tous les Crétois disent la vérité. Et Épiménide, qui est Crétois, dit la vérité aussi. Donc s’il a menti, il a dit la vérité.

Alors là, on peut rester comme une poule devant un couteau cent sept ans devant ce truc-là. On ne s’en sortira pas. La logique a fini par trancher, elle a dit : voilà un type d’énoncé dont la propriété très caractéristique est d’être auto-référentiel. C’est un dire qui prend pour objet ce qu’il dit.

Ce type d’énoncé auto-référentiel livre des propositions qui sont indécidables. On ne peut ni dire si elles sont vraies, ni dire si elles sont fausses (ce qui est embêtant pour les fact checkers). Et bien voilà, les médias sont dans un devenir « Épiménide ». Parce que les médias viennent et ils disent : « nous nous trompons ». Donc, s’ils ne se trompent pas, c’est qu’ils se trompent. Et s’ils se trompent, c’est qu’ils ne se trompent pas !

Alors évidemment là, le paradoxe n’est pas formulé avec ce degré de clarté dans les têtes médiatiques, mais ça les travaille souterrainement. Et ça les laisse tout neuneus : « bon, si on soutient Valls, il va perdre, puisque nous nous trompons. Mais si jamais nous disons que nous nous trompons, est-ce que ça peut le faire remonter, déjà ? » Dans ces têtes, c’est un merdier à n’en plus finir.


03. Le PS, un astre mort

Frédéric LORDON : Là-dessus passe Macron. Un autre signe de confusion : le gars qui se dit anti-système, qui a toutes les étiquettes du système, qui écrit un livre qui s’appelle Révolution, et qui se présente comme le chantre du progressisme ! Le filet est garni ! Et donc, dans cette situation-là, avec des degrés de liberté qui se rouvrent de partout, des idées qui sombrent, d’autres qui se mettent en torche, il peut peut-être se passer quelque chose.

Daniel MERMET : C’est-à-dire ?

Frédéric LORDON : Je ne sais pas, parce que je n’ai pas de boule de cristal. Je ne vais pas prendre le risque de me tromper dans ces conditions. Je ne suis pas totalement idiot !

On ne va pas parler du Parti socialiste, parce que virtuellement ça n’existe plus. Là ça s’agite à la télé, mais moi ça me fait vraiment penser aux astronomes qui nous disent qu’on reçoit de la lumière qui a voyagé si longtemps qu’elle a été émise par un astre qui est déjà mort, quand on l’observe. Je pense qu’on est typiquement dans ce genre d’observations.

Daniel MERMET : Y’a encore de la lumière qui arrive !

Frédéric LORDON : Ça fait un petit peu scintiller nos écrans, mais je t’annonce la mire pour bientôt. Et puis la neige. C’est cuit et c’est quand même la bonne nouvelle de la période.

Daniel MERMET : Benoît Hamon n’a eu aucune grâce à tes yeux ? Moi je l’ai trouvé pas mal, avec ses petits objets : un petit pot en grès, un petit abat-jour en macramé… Ça t’a pas ému un peu ? On a des petits objets politiques, qui n’ont pas tellement de liens entre eux, mais il y a plein de bonne volonté.

Frédéric LORDON : Il est ému comme un petit animal qui va disparaître lui aussi. Non mais moi, je n’ai pas de limite à la compassion… Je suis peut-être un peu vache, mais à peine.

Ça fait très longtemps que je pense que l’un des grands enjeux pour la gauche, c’est de parvenir à opérer cette conversion symbolique qui réussisse à priver enfin le Parti socialiste de l’étiquette « gauche ». Et il me semble que nous avons vécu un quinquennat Hollande qui, à défaut d’être « révolutionnaire », aura été réellement historique. Je pense réellement que ce quinquennat-là est historique. Il est historique parce que précisément, il aura réussi cette performance de convaincre un nombre de plus en plus important de personnes que qualifier ce personnel politique-là de « gauche » était une erreur majeure et que maintenant il faut travailler, presque psychologiquement pour ceux qui y ont cru, à s’en débarrasser.

Sur cette histoire de Hollande et du hollandisme, j’ai toujours pensé que le lexique de la « trahison » était inadéquat. On a beaucoup dit : « Hollande a trahi. Il a trahi, il a trahi le discours du Bourget ! » Mais je ne pense pas qu’ils aient trahi en fait. Ma thèse, c’est plutôt qu’ils sont fidèles à eux-mêmes. Je complète la thèse : évidemment quand on remonte le fil des ans, il leur arrivait jadis de faire un petit truc de gauche, une verroterie par-ci par-là, mais en réalité depuis toujours, c’était des hommes de droite ; mais c’était des hommes de droite contrariés.

Ils étaient contrariés par une histoire, éventuellement quelques médias qui continuaient de les taquiner, mais ça fait très longtemps qu’ils sont de droite. Et simplement ce qui s’est passé, c’est que, les années s’écoulant, de plus en plus ils se sont déboutonnés et ils ont fini par envoyer toute contention à la rivière et sous Hollande, enfin, ils ont pu être eux-mêmes. Alors ça tu vois, il y a un effet de révélation très puissant.

Je voudrais lire une petite chose que j’ai dégotée dans un bouquin que je recommande, qui s’appelle Le Concert des puissants [1]. C’est la dernière production de Raisons d’agir, la collection Bourdieu, et ça a été fait par François DENORD et Paul LAGNEAU-YMONET. Il y a un encadré sur des documents que publiait le Parti socialiste, et notamment ceux du Parti socialiste qu’on appelait les « transcourants », dont Hollande était un représentant notoire. Ça décoiffe, ça annonce tout. Quand tu as lu ça, tu as tout compris aux trente années qui suivent parce que ça date de 1985. Alors accrochez-vous, voilà ce qu’écrivent les fameux transcourants :

« Le toujours plus et le besoin d’assistance ne sont pas l’apanage d’un groupe social mais semblent faire l’objet d’un certain consensus. L’excès de réglementation et de bureaucratisation ne sont pas toujours le symptôme d’un socialisme rampant, mais correspond le plus souvent à des demandes catégorielles, un souci de protection des rentes et des privilèges. Bureaucratisation et corporatisme : même combat. Dans un tel contexte, la déréglementation change de camp. La généralisation des pratiques concurrentielles devient une exigence pour la gauche, afin d’assurer une plus grande mobilité sociale. »

Donc là, dès le milieu des années 1980, la matrice idéologique est formée. Évidemment, crier des choses comme ça sur les toits en 1985, c’est un peu compliqué, donc ce sont des documents internes au PS, un peu publiés mais pas trop lus. Trente ans plus tard, nous avons la loi Macron. Et nous avons le gouvernement Valls-Hollande. Donc le grand cycle est accompli, et il est temps de le refermer.

Daniel MERMET : Je crois entendre les sifflets qui accompagnaient l’arrivée de François Mitterrand à Charléty en juin 1968. Ils ont toujours trahi, ces gens-là ont toujours trahi, c’est une coutume chez eux, et là ils viennent de le faire à nouveau.

Frédéric LORDON : Oui.


04. Prendre le pouvoir pour nous le rendre


Daniel MERMET : Alors, tu as confiance en Mélenchon ? Lui, c’est la gauche ? Parce que je me souviens d’un Lordon qui disait : « on ne peut rien faire dans ce cadre-là, il faut changer le cadre, il faut renverser la table, etc. ». Tout à coup, tu dis que peut-être, dans ce cadre-là, on peut faire quelque chose ? Et après, parce que j’ai entendu ça aussi en 2012 de la part de certains de nos amis qui disaient : « aujourd’hui dans les urnes, demain dans la rue ! Hollande, on va lui mettre la pression après. Votons Hollande contre Sarkozy, et puis après on va lui mettre la pression ». Même certains amis parlaient de « hollandisme révolutionnaire », c’était du deuxième degré mais ça a quand même été dit. Un Lordon un petit peu moins radical que d’habitude ?

Frédéric LORDON : Non non, ne t’en fais pas. Je suis toujours aussi méfiant et cependant, je maintiens ce que j’ai dit tout à l’heure. Je pense que pour la première fois, nous avons une différence significative qui est émise, qui a pris sa place dans l’offre politique et qu’on ne peut pas complètement faire l’impasse dessus. Ne pas faire l’impasse, ça ne veut pas dire se rendre avec armes et bagages. Je n’ai pas le goût du ralliement inconditionnel, tu comprends, alors particulièrement en l’occurrence…

Dans le programme de Mélenchon, il y a « prendre le pouvoir pour nous le rendre ». C’est le genre de promesses avec laquelle il y a lieu d’être méthodologiquement précautionneux. Un petit plaisantin sur Internet a dégoté une affiche de Mitterrand lors de la campagne de 1981 dont c’était exactement les mots : « Je veux vous rendre le pouvoir ». On attend toujours au bureau des objets trouvés.

Daniel MERMET : C’est ce que Trump a dit.

Frédéric LORDON : Voilà, exactement : « Je veux vous rendre le pouvoir » . J’ai toujours une très grande méfiance vis-à-vis des stratégies qui se proposent de passer par les institutions pour changer les institutions. Donc, regardons, mais regardons précautionneusement, et ceci d’autant plus que — comment le dire sans être inutilement blessant — les institutions de la Vème République correspondent bien à la personnalité de Mélenchon. Je pense qu’il ne s’y trouverait pas mal, et puis voilà, après, on sait comment ça se passe : on arrive au pouvoir, on a un agenda — dont j’admets qu’il comporte des choses intéressantes —et puis on commence à le mettre en œuvre, et puis après on dit : « ah oui mais attendez, oui la Constituante bien sûr, on va refaire les institutions, oui bien sûr mais c’est pas la priorité, il y a des grosses réformes à faire, il faut nous donner le temps », et puis après qu’on lui ait donné le temps de faire les réformes, il faut le temps que ça paie et puis…

Daniel MERMET : …et puis les temps changent…

Frédéric LORDON : …et puis les temps changent, et puis cinq ans sont passés. Alors ça c’est un problème. Alors comment on fait pour sortir de ce genre de contradiction ? Mais tu l’as dit d’une manière un peu plaisante et moqueuse, et pourtant je crois qu’il n’y en a pas d’autre. C’est qu’en effet, je ne vois pas d’autre solution à ce genre de difficultés que de reconnaître que, contrairement à ce qui se passerait pour n’importe quel autre président élu, une élection de Mélenchon ne serait pas la fin du processus mais le début, et le début d’un processus qui passerait nécessairement par des mobilisations de rues extrêmement intenses.

Tu disais : « on vote Hollande et puis après on lui mettra la pression dans la rue », mais il fallait avoir un moral d’acier pour descendre dans la rue avec Hollande président. Parce qu’il n’y avait rien à défendre en réalité, il y avait juste à essayer de ne pas se laisser dépouiller d’un certain nombre de choses qui nous restent.

Je vais faire mon autocritique, lorsque tu avais fait ta soirée aux Métallos, il y a trois ans, j’avais dit : « Hollande, c’est pire que Sarkozy, parce que c’est la même politique que Sarkozy, mais avec l’anesthésie en plus », et tu vois, on a vaincu la malédiction du penthotal ce printemps. Et ça aussi c’est un signe d’un quinquennat historique. C’est la première fois qu’on a un mouvement social de cette ampleur sous un gouvernement de « gauche », qui d’habitude tue radicalement toutes les mobilisations autres que sectorielles.

Mais je pense que le camarade Mélenchon, s’il se retrouve au pouvoir et qu’il a vraiment l’intention de joindre le geste à la parole, va se retrouver confronté à une adversité formidable, c’est que le capital en trente ans a pris ses aises et qu’il n’a pas du tout l’intention de se laisser barboter toutes les libertés qu’il a conquises et toutes les aises qu’il a prises. Il faut se rendre compte de ce que c’est que de rentrer en confrontation avec le capital, ce sont des batailles politiques...

Daniel MERMET : … et tu as bossé sur Syriza, et tu as bossé sur Podemos, et tu as bossé sur l’Europe…

Frédéric LORDON : Oui, oui, mais il faut imaginer le ministre des Finances de Mélenchon qui se tape la direction du Trésor et les inspecteurs des Finances, c’est-à-dire toute une technostructure hostile, c’est vraiment quelque chose, et ça tout seul, et on le sait bien d’ailleurs, les institutions sont souvent beaucoup plus fortes que les individus, elles les absorbent par phagocytose et elles les re-normalisent, en deux années c’est fait !

Alors, aussi bien pour le protéger que pour le surveiller, il faudra que l’élection ne soit que le début d’un processus politique d’une toute autre ampleur qui passera nécessairement par des mobilisations populaires. Alors est-ce qu’il s’agit de réveiller les vieux souvenirs du Front populaire ou je ne sais quoi ?

Daniel MERMET : Ça a marché !

Frédéric LORDON : Et ça a marché. C’est une configuration qui a fait ses preuves. Mais mon espoir serait que nous y soyons d’autant plus incités que nous pourrions avoir le sentiment que là, il se passe quelque chose et qu’il nous appartient aussi de le défendre pour qu’il soit accompli.


05. Mélenchon et l’Europe


Daniel MERMET : Parle-moi un peu de l’Europe et de Mélenchon. Tu as vu son projet sur l’Europe ? C’est quand-même un domaine où tu as bossé, sur l’euro, etc. Il a l’air de dire « on va renégocier les traités », et puis éventuellement.…

Frédéric LORDON : Écoute, après avoir énormément tergiversé, avoir multiplié les refus d’obstacles, j’ai l’impression… mais là c’est toujours pareil, c’est des impressions, après comme on dit, c’est un saut de la foi. On fait crédit ou on ne fait pas crédit.

Daniel MERMET : Ça s’appelle prendre parti.

Frédéric LORDON : Oui, peut-être. Alors, depuis cette réunion qui s’était tenue il y a à peine un an à Paris, et qui s’appelait le Sommet internationaliste pour le plan B, il semble que, après tant de circonlocutions, Mélenchon finisse par se stabiliser sur une séquence dite « plan A / plan B », dans laquelle le plan A consiste à annoncer la couleur à l’Allemagne, avec derrière un plan B qui sera actionné immédiatement si l’Allemagne n’achète pas.

Bon, si on reste à ce niveau-là de généralités, et quitte à faire le naïf, je trouve que c’est une séquence qui n’a rien que d’excellent aloi. En effet, la moindre des choses — me semble-t-il —, c’est presque une exigence politique, c’est de dire aux Allemands et aux autres États membres de l’Union Européenne : « il est impossible de continuer dans ces conditions et voilà les transformations que nous voulons, faute de quoi nous partirons. » Et peut-être que nous ne partirons pas tout seuls d’ailleurs.

Mon sentiment, c’est que, s’il faut parcourir la séquence du plan A, c’est simplement par acquis de conscience, parce que les résultats, à mon avis, sont joués d’avance. L’Allemagne refusera. Alors évidemment, le gros codicille dans ce raisonnement, c’est de savoir ce que seront les transformations qu’on va demander à l’Allemagne. Ce qui me semble tout à fait problématique dans la position de quelqu’un comme Varoufakis, c’est que je le sens capable de se contenter de petites choses comme un rabais sur la dette, une petite tolérance de plus pour faire du déficit budgétaire, trois petits tours et puis s’en vont.

Or ce qu’il y a lieu d’exiger — et d’exiger sine qua non—, c’est une refonte complète, c’est-à-dire un abandon complet des traités, et le rapatriement intégral — je dis bien intégral — de toutes les dispositions relatives aux politiques économiques dans une assemblée authentiquement démocratique, soit un parlement de l’euro à créer par exemple.

Mais je reste sur la ligne de mon argument, ce parlement de l’euro, on peut bien le faire surgir au milieu de la cambrousse, il ne fonctionnera pas pour une raison extrêmement simple, c’est qu’un certain nombre de pays — Allemagne en tête — refusera qu’il existe avec les prérogatives que je viens de dire. C’est-à-dire que soient remises en discussion démocratique parlementaire des dispositions que les Allemands précisément ont tenu comme à la prunelle de leurs yeux de sanctuariser dans les traités, précisément pour qu’elles ne soient jamais discutées. Donc déjà la première haie, ils ne la sauteront pas.

Et à supposer qu’ils la sautent quand même, je pense qu’ils refuseraient d’être mis en minorité, ce qui est la loi de la démocratie, sur l’une de leurs dispositions fétiche. Imagine les Allemands mis en minorité sur la question du rapatriement de la Banque centrale dans les institutions de la souveraineté politique. Fin de la Banque centrale indépendante. Qui peut imaginer faire avaler une chose pareille aux Allemands en l’état actuel des choses ?

Or on voit bien notamment que c’est autour de cet enjeu que s’était nouée toute la critique de gauche autour du traité de Maastricht, autour du Traité établissant une Constitution pour l’Europe en 2005, autour de la question de la Banque centrale. Pas seulement celle-là, bien sûr, mais notamment celle-là comme anomalie démocratique patentée sur laquelle soit on revient, soit il n’y a plus rien à faire. Parcourons la séquence mais à mon avis, la course est jouée d’avance.

Donc après il faut savoir si un Mélenchon président serait capable d’assumer, et alors là pour le coup ce serait une rupture historique. C’est un sacré pas à accomplir.

Daniel MERMET : On se donne rendez-vous dans un an. Imaginez — l’année dernière on était là — tout ce qui s’est passé en un an. Qui avait prévu Trump le 21 janvier dernier ? Ni Trump, ni la Loi Travail, ni Nuit Debout…

Frédéric LORDON : Ça, c’est le propre des conjonctures de crise. C’est que tout redevient extrêmement fluide et que des transformations peuvent s’accomplir à des vitesses foudroyantes et de manière complètement imprévisibles. Donc attendons d’être surpris, peut-être ?


Pauline BOULET attend vos messages sur le répondeur de Là-bas si j’y suis au 01 85 08 37 37.

journaliste : Daniel MERMET
photos : Jeanne LORRAIN et Jonathan DUONG

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