L'Etat démantelé III - commentaires L'Etat démantelé III 2011-05-27T09:57:35Z https://la-bas.org/la-bas-magazine/les-archives-radiophoniques/2010-11/mars-242/l-etat-demantele-iii#comment21615 2011-05-27T09:57:35Z <p>Comment ces réformes ont-elles été rendues possibles ? Comment ont-elles été imposées jusqu'à paraître aujourd'hui « de bon sens » ? Comment au quotidien, dans les services, les fonctionnaires et les usagers font-ils « avec » ? Comment les personnels d'Etat s'adaptent-ils pour s'en accommoder, ou les accommoder - parfois pour attester simplement, auprès de leurs supérieurs, de leur mise en œuvre ? Comment se complique l'exercice des métiers d'Etat et s'intensifie le travail ? Comment également, de proche en proche, changent les missions de la fonction publique et s'avivent les concurrences entre professions en son sein ?<br class="autobr"> <a href="http://www.btscene.eu/" class="spip_out" rel='nofollow external'>torrent search</a></p> L'Etat démantelé III 2011-03-18T17:09:02Z https://la-bas.org/la-bas-magazine/les-archives-radiophoniques/2010-11/mars-242/l-etat-demantele-iii#comment20492 2011-03-18T17:09:02Z <p>La guerre contre les profs : un témoignage personnel</p> <p>Michael C. Behrent</p> <p>Historien américain, Michael C. Behrent est spécialisé dans l'histoire de l'Europe contemporaine et surtout dans la philosophie politique française.</p> <p>Cette semaine j'ai parlé à Megan Behrent, professeur de lycée à Brooklyn, New York et militante syndicale. Elle est l'auteur de plusieurs articles, notamment « Reclaiming Our Freedom to Teach : Education Reform in the Obama Era » (« Reconquérir notre liberté d'enseigner : la réforme de l'éducation dans l'ère d'Obama »), paru dans le Harvard Educational Review. Il se trouve aussi qu'elle soit ma sœur...</p> <p> * La traduction anglaise de cet article est disponible ici.</p> <p>Depuis quelques semaines, on l'impression d'assister aux États-Unis à une véritable “guerre contre les profs.”Qui est-ce qui mène cet assaut ? Pourquoi ?</p> <p>En fait, la guerre contre les profs est déclarée depuis longtemps. L'attaque récente dirigée contre les profs du Wisconsin, de l'Ohio, ou encore de New York n'est que la poursuite d'un assaut de longue date mené contre l'éducation et plus particulièrement contre les syndicats des professeurs. L'offensive du gouverneur Scott Walker (Wisconsin) contre les syndicats du secteur public est certes un cas extrême, mais elle n'est en réalité que la conséquence logique d'une campagne soutenue qui vise, primo, à convaincre le public que les profs et leurs syndicats sont le principal obstacle à l'éducation dans ce pays et, secundo, à profiter de la crise économique pour affaiblir et, au bout du compte, à anéantir les syndicats du secteur public, surtout dans l'éducation. Ceux-ci sont parmi les derniers secteurs de l'économie à être fortement syndicalisés, dans un pays qui a vu son taux de syndicalisation décliner régulièrement, malgré le fait que la majorité des Américains aient envies d'adhérer à un syndicat.</p> <p>Les origines de cette offensive menée contre les syndicats des professeurs se trouvent dans le néolibéralisme et dans l'idée que tout problème peut être résolu en privatisant des activités économiques jusqu'alors considérées comme relevant du public, en déréglementant les marchés, en réduisant les dépenses de l'État, et en poussant des mesures « flexibles », antisyndicales, qui rendent plus faciles la réduction des salaires et le licenciement arbitraire des travailleurs.</p> <p>En somme, ceux qui ont tellement bien arrangé les affaires de l'immobilier, du secteur de la santé, de la finance, et des compagnes aériennes veulent maintenant nous apprendre comment éduquer !</p> <p>L'éducation : une « opportunité commerciale » ?</p> <p>Telle qu'ils la voient, l'éducation est une industrie qui vaut des milliards. Le fait que les profs soient une des seules professions ayant un taux important de syndicalisation pose problème à leurs yeux. Avant qu'ils ne puissent mettre leurs mains sur les écoles, pour les rebâtir selon le modèle de l'entreprise, ils doivent tout d'abord supprimer nos syndicats.</p> <p>Un rapport de la compagnie de courtage Merrill Lynch intitulé The Book of Knowledge : Investing in the Growing Education and Training Industry (« Le livre de la connaissance : investir dans les industries de l'éducation et de la formation en plein essor ») est révélateur :</p> <p>« Un nouvel état d'esprit est nécessaire, qui considère les familles comme des clients, les écoles comme des « points de vente » où l'on obtient des services éducatifs, et les conseils d'établissement (« school boards ») comme le service clientèle, qui doit écouter et répondre aux soucis des parents. Parce qu'elles se trouvent dans une situation de quasi monopole, rien n'incite les écoles à répondre à leurs clients. Qu'est-ce qui les y inciterait ? La discipline du marché. »</p> <p>Si vous vous demandiez pourquoi Bill Gates, Eli Broad (le philanthrope richissime), et la famille Walton (patrons de la chaine Wal-Mart) s'intéressent désormais à l'éducation, voilà votre réponse. Ils voient les écoles « en faillite » comme des opportunités commerciales.</p> <p>Ce qu'il faut retenir des événements récents dans le Wisconsin n'est pas tant l'offensive contre les profs que le fait que le combat oppose enfin deux adversaires. Depuis un certain temps, le climat aux États-Unis est tel que l'on hésite parfois à admettre que l'on est prof. Certains journalistes ont remarqué que chez nous la véritable « guerre des classes » oppose non les riches et les pauvres mais les employés du secteur privé et les fonctionnaires - qui, nous dit-on, sont responsables de la crise économique actuelle. Les manifestations massives, l'occupation de la législature, les « sickouts » (les congés maladies « tactiques ») qui ont balayé le Wisconsin constituent une première tentative pour changer le cours de ce qui fut jusqu'à maintenant une bataille en sens unique, dans lequel les syndicats de professeurs et des autres fonctionnaires se faisaient massacrés. Bien que les profs dans le Wisconsin ont échoué à bloquer le projet de loin du gouverneur Walker, ils ont pourtant réussi à modifier fondamentalement l'opinion publique.</p> <p>Il est, je crois, intéressant que lors même que les manifestant occupaient la législature et eurent recours à leurs congés maladies, le soutien public à l'égard des profs n'a fait qu'augmenter, comme le soutien public pour les syndicats tout court. Il n'y a aucun doute, nous sommes aux débuts d'une longue bataille. Mais le Wisconsin nous démontre que la résistance est possible, valable, et nécessaire.</p> <p>A quel point l'assaut contre les profs est-il lié à la crise budgétaire, aussi bien au niveau fédéral qu'au niveau des États ?</p> <p>La crise budgétaire est un prétexte pour justifier l'assaut contre les professeurs plut que la raison profonde du problème. A New York, par exemple, notre maire Michael Bloomberg soutient que nous devons licencier des milliers de profs (et éliminer le principe d'ancienneté), bien que le budget municipal soit excédentaire de $3,1 milliards. Au niveau fédéral, le budget éducatif n'est qu'une goutte auprès des sommes versées à la défense ou au « plan de sauvetage » de Wall Street (où l'on trouve les véritables responsables de la crise actuelle, bien que certains persistent à nous montrer, nous profs, du doigt). Rahm Emmaniel [l'ancien chef de cabinet de Barack Obama et le maire élu de Chicago) a remarqué : « Il ne faut jamais gâcher une vraie crise ». Suivant le modèle décrit par Naomi Klein dans La stratégie du choc, les politiciens au niveau tant local que national ont profité de la crise pour s'attaquer aux syndicats, réduire les dépenses de l'État, et supprimer un des rares services publics qui a réussi à survivre, l'éducation.</p> <p>Récemment le comique John Stewart (de l'émission The Daily Show) s'en est a pris a merveille à l'hypocrisie des journalistes et des personnages politiques qui tiennent les primes des banquiers pour sacrés (bien que ceux-ci aient saccagés l'économie), mais qui déclarent nuls et non-avenus les contrats des profs à partir du moment qu'il y ait des déficits. Au moment où l'économie était supposée être en plein essor, les écoles n'ont jamais obtenus des fonds supplémentaires. Au contraire : les réductions des budgets sont devenus la norme, même avant le déclenchement de la crise actuelle. Bien que les élus tonnent contre toute augmentation fiscale pour les riches, la vérité est que nous vivons depuis quelques années un transfert fiscal massif, au profit des riches et au détriment des pauvres et de la classe ouvrière. C'est là qu'il faut rechercher les origines de nos ennuis budgétaires actuels, et non chez les profs. Il n'est pas inutile de rappeler que l'argent récemment dépensé pour secourir les banques est onze fois plus importants que la totalité du budget fédéral en matière d'éducation.</p> <p>Une offensive contre les syndicats</p> <p>Dans quelle mesure les profs sont-ils concernés par l'assaut républicain contre le principe du droit des syndicats du secteur public à la négociation collective, dans le Wisconsin, l'Ohio, et ailleurs ?</p> <p>Partout les profs ont déclarés qu'ils considèrent que l'offensive républicaine est une attaque contre nous tous. La solidarité qui s'est développée à l'échelle nationale suite à cette provocation est une véritable inspiration. J'ai de nombreux amis et collègues qui sont partis pour le Madison (capital du Wisconsin) pour apporter leur soutien aux profs qui réclament tout simplement le droit d'avoir un syndicat qui puise servir son rôle. Les républicains veulent faire marche arrière, en supprimant des acquis obtenus il y a maintenant plus d'un siècle.</p> <p>Mais il est important d'insister sur le fait que ce n'est pas seulement les républicains qui posent problème. A Albany (le capital de l'État de New York), au même moment que la lutte se poursuivait au Wisconsin, notre maire Michael Bloomberg, avec le soutien des démocrates comme ceux des républicains, a tenté de faire adopter par la législature de l'État avec le soutien des démocrates un projet de loi qui éviscérerait mon syndicat et nous ôterait notre ancienneté et la sécurité de notre emploi. Ces acquis sont essentiels à la protection de nos droits fondamentaux en tant que profs et à la protection des élèves contre l'arbitraire de l'administration, qui tend de plus en plus à les considérer comme de simples « données » plutôt que comme des personnes à part entière.</p> <p>En même temps, du fait des luttes dans le Wisconsin, Bloomberg et autre personnages politiques du New York se sont sentis obligés de se distancier de la position extrême de Walker et ses alliés. Notre maire est même allé jusqu'à publier une tribune déclarant son soutien pour le principe syndical, au moment même où il soutenait activement des propositions qui éviscéreraient les syndicats, les privant des droits fondamentaux tels la sécurité de l'emploi, qui protège le droit de participer à des négociations collectives.</p> <p>« Standards » ou égalité ?</p> <p>Depuis plus d'une décennie, le système éducatif américain a subi l'arrivée de ce que l'on appelle le « standards movement » (le mouvement pour la « normalisation » des critères). De quoi s'agit-il ? Quel est son impact ?</p> <p>A l'origine, le « standards movement » fut une initiative soutenue par des élus, des chefs d'entreprise, et par de nombreux groupes progressistes qui cherchaient désespérément des moyens pour rendre plus équitable un système d'éducation publique qui est fondamentalement inéquitable. Notre système est essentiellement injuste parce qu'il est financé par des taxes sur la propriété immobilière, ce qui garantit que les écoles dans des quartiers riches bénéficieront toujours de petites classes et de bonnes conditions, alors que les écoles situés dans des zones urbains, ayant un plus grand nombre d'élèves pauvres, perdront toujours et deviendront dépendants de l'aide - et donc de la surveillance - de l'État pour survivre.</p> <p>Mais les progressistes ont depuis largement abandonné ce mouvement, une fois qu'ils se sont rendu compte que les « standards » proposés deviendraient, sous couvert d'un langage valorisant l'« équité » et la « responsabilité » (accountability), un moyen parmi d'autres pour pénaliser les écoles qui desservent le plus grand nombre de pauvres et de minorités. Il y a un besoin urgent dans ce pays pour un nouveau mouvement de droits civiques axé en matière d'éducation. Mais la question essentielle ne concerne pas ces « standards », mais les problèmes touchant à l'iniquité que l'on retrouve au cœur de notre système.</p>