Auteur d’une centaine de livres, de milliers d’interventions et d’articles, qui font de lui l’auteur le plus cité dans le monde, « l’intellectuel planétaire le plus populaire » comme l’affirme Alain Finkielkraut, est beaucoup moins connu en France. En consultant par exemple les archives de Radio France depuis 40 ans, le nom de Chomsky n’apparaît que cinq fois pour de brèves interventions sur France Culture dans les années 70. Jamais il n’a été entendu sur France Inter.
À quoi tient ce passage sous silence ?
Même si depuis quelques années ses ouvrages sont passionnément suivis par un jeune public français, une série de penseurs médiatiques s’acharne à entretenir le soupçon. Chomsky aurait eu des complaisances avec l’historien négationniste Robert Faurisson, tout comme envers Pol Pot et les génocidaires cambodgiens. Dans ses analyses des structures de l’information comme de la politique étrangère américaine, Chomsky ne serait qu’un paranoïaque archaïque inventant une fantasmatique « théorie du complot ».
Malgré les inlassables réponses de Chomsky à ses « détracteurs parisiens » depuis presque trente ans, rien n’y fait. La toute récente publication d’une étude très complète et très condensée sur Chomsky par les cahiers de l’Herne (*), avec des documents complets et précis qui démontent toutes les accusations, n’a eu pratiquement aucun écho dans les médias français.
Mais si nos penseurs se contentent de le disqualifier et de l’occulter sans argumenter, après tout rien d’étonnant. C’est précisément les mécanismes idéologiques qui structurent l’ordre du monde présent que Noam Chomsky ne cesse de mettre à nu en décryptant les non-dits et les manipulations du discours ambiant. Car c’est le contrôle de la pensée dans les sociétés démocratiques, qu’il s’attache à dévoiler. Ainsi à l’issue d’une conférence une étudiante interpelle Chomsky :
« J’aimerais savoir comment l’élite contrôle les médias ?
– Comment contrôle-t-elle General Motors ? L’élite n’a pas à contrôler Général Motors. Ça lui appartient »
« Par le pouvoir, l’étendue, l’originalité et l’influence de sa pensée, Noam Chomsky est peut-être l’intellectuel vivant le plus important » Cette phrase extraite d’un article du New York Times, figurait sur la couverture d’un de ses livres. « Mais attention, dit Chomsky, dans le texte original elle est suivi de ceci : « Si tel est le cas, comment peut-il écrire des choses aussi terribles sur la politique étrangère américaine ». On ne cite jamais cette partie. Alors qu’en fait, s’il n’y avait pas cette deuxième phrase, je commencerais à penser sérieusement que je fais fausse route. »
À 80 ans passés, il travaille une centaine d’heures par semaine, entre livres, articles, interventions publiques et échanges avec des centaines de correspondants à travers le monde. S’il répond à toutes les sollicitations, son emploi du temps est minuté plusieurs mois à l’avance. Il accueille les visiteurs dans son bureau du MIT. Au mur, un grand portait de Bertrand Russel et une poupée de chiffon du Chiapas figurant le Sous Commandant Marcos.
« Je n’essaie pas de convaincre mais d’informer. Je ne veux pas amener les gens à me croire, pas plus que je ne voudrais qu’ils suivent la ligne du parti, ce que je dénonce - autorités universitaires, médias, propagandistes avoués de l’Etat, ou autres. Par la parole comme par l’écrit, j’essaie de montrer ce que je crois être vrai, que si l’on veut y mettre un peu du sien et se servir de son intelligence, l’on peut en apprendre beaucoup sur ce que nous cache le monde politique et social. J’ai le sentiment d’avoir accompli quelque chose si les gens ont envie de relever ce défi et d’apprendre par eux-mêmes »
Là-bas, mai 2007