Mais qui est ce Chomsky ?

Le , par L’équipe de Là-bas

Théoricien du langage, né à Philadelphie en 1928, Noam Chomsky a révolutionné la linguistique avec la « grammaire générative ». Il est aussi un analyste politique engagé dans toutes les luttes politiques depuis des décennies. Ses analyses claires et rationnelles des mécanismes idéologiques de nos sociétés constituent une ressource fondamentale pour la pensée critique actuelle.

Auteur d’une centaine de livres, de milliers d’interventions et d’articles, qui font de lui l’auteur le plus cité dans le monde, « l’intellectuel planétaire le plus populaire » comme l’affirme Alain Finkielkraut, est beaucoup moins connu en France. En consultant par exemple les archives de Radio France depuis 40 ans, le nom de Chomsky n’apparaît que cinq fois pour de brèves interventions sur France Culture dans les années 70. Jamais il n’a été entendu sur France Inter.

À quoi tient ce passage sous silence ?
Même si depuis quelques années ses ouvrages sont passionnément suivis par un jeune public français, une série de penseurs médiatiques s’acharne à entretenir le soupçon. Chomsky aurait eu des complaisances avec l’historien négationniste Robert Faurisson, tout comme envers Pol Pot et les génocidaires cambodgiens. Dans ses analyses des structures de l’information comme de la politique étrangère américaine, Chomsky ne serait qu’un paranoïaque archaïque inventant une fantasmatique « théorie du complot ».

Malgré les inlassables réponses de Chomsky à ses « détracteurs parisiens » depuis presque trente ans, rien n’y fait. La toute récente publication d’une étude très complète et très condensée sur Chomsky par les cahiers de l’Herne (*), avec des documents complets et précis qui démontent toutes les accusations, n’a eu pratiquement aucun écho dans les médias français.

Mais si nos penseurs se contentent de le disqualifier et de l’occulter sans argumenter, après tout rien d’étonnant. C’est précisément les mécanismes idéologiques qui structurent l’ordre du monde présent que Noam Chomsky ne cesse de mettre à nu en décryptant les non-dits et les manipulations du discours ambiant. Car c’est le contrôle de la pensée dans les sociétés démocratiques, qu’il s’attache à dévoiler. Ainsi à l’issue d’une conférence une étudiante interpelle Chomsky :
« J’aimerais savoir comment l’élite contrôle les médias ?
 Comment contrôle-t-elle General Motors ? L’élite n’a pas à contrôler Général Motors. Ça lui appartient
 »

« Par le pouvoir, l’étendue, l’originalité et l’influence de sa pensée, Noam Chomsky est peut-être l’intellectuel vivant le plus important » Cette phrase extraite d’un article du New York Times, figurait sur la couverture d’un de ses livres. « Mais attention, dit Chomsky, dans le texte original elle est suivi de ceci : « Si tel est le cas, comment peut-il écrire des choses aussi terribles sur la politique étrangère américaine ». On ne cite jamais cette partie. Alors qu’en fait, s’il n’y avait pas cette deuxième phrase, je commencerais à penser sérieusement que je fais fausse route. »

À 80 ans passés, il travaille une centaine d’heures par semaine, entre livres, articles, interventions publiques et échanges avec des centaines de correspondants à travers le monde. S’il répond à toutes les sollicitations, son emploi du temps est minuté plusieurs mois à l’avance. Il accueille les visiteurs dans son bureau du MIT. Au mur, un grand portait de Bertrand Russel et une poupée de chiffon du Chiapas figurant le Sous Commandant Marcos.

« Je n’essaie pas de convaincre mais d’informer. Je ne veux pas amener les gens à me croire, pas plus que je ne voudrais qu’ils suivent la ligne du parti, ce que je dénonce - autorités universitaires, médias, propagandistes avoués de l’Etat, ou autres. Par la parole comme par l’écrit, j’essaie de montrer ce que je crois être vrai, que si l’on veut y mettre un peu du sien et se servir de son intelligence, l’on peut en apprendre beaucoup sur ce que nous cache le monde politique et social. J’ai le sentiment d’avoir accompli quelque chose si les gens ont envie de relever ce défi et d’apprendre par eux-mêmes »

Là-bas, mai 2007

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La sociologue publie « Les riches contre la planète. Violence oligarchique et chaos climatique ». Entretien Monique Pinçon-Charlot : « Dans tous les domaines de l’activité économique et sociale, les capitalistes ont toujours, toujours, toujours des longueurs d’avance sur nous » AbonnésVoir

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La sociologue Monique Pinçon-Charlot, qui a longtemps analysé avec son mari Michel Pinçon les mécanismes de la domination oligarchique, publie un nouveau livre sur le chaos climatique et elle n’y va pas avec le dos de la cuiller en bambou. Entretien.

Les riches détruisent la planète, comme l’écrivait le journaliste Hervé Kempf. On le sait. Ils le savent. Ils le savent même depuis bien longtemps ! Le nouveau livre de Monique Pinçon-Charlot risque de ne pas plaire à tout le monde. Dans Les riches contre la planète, elle raconte comment une poignée de milliardaires est en train d’accumuler des profits pharaoniques en détruisant la nature, les animaux, les êtres humains et finalement toute la planète, menacée par les émissions de gaz à effet de serre.

Mais surtout, la sociologue analyse comment l’oligarchie, qui a toujours eu une longueur d’avance, organise, encadre et finance sa propre critique et ses contestataires. Histoire que l’écologie ne soit pas un frein au business, mais au contraire l’opportunité de développer de nouveaux marchés selon une « stratégie du choc » décrite par la canadienne Naomi Klein. Le capitalisme fossile est mort ? Vive le capitalisme vert !

Alors que faire ? Arrêter de parler d’« anthropocène », ce n’est pas l’humanité tout entière qui est responsable du dérèglement climatique, mais de « capitalocène », la prédation du vivant étant consciemment exercée par quelques capitalistes des pays les plus riches. Ensuite comprendre ce que masquent les expressions « transition écologique  », « neutralité carbone » ou encore « développement durable » forgées par le capitalisme vert. Et surtout lire d’urgence le livre de Monique Pinçon-Charlot pour prendre conscience que les mécanismes de la domination oligarchique s’immiscent partout, y compris là où on ne les attendait pas…

Alain Ruscio publie « La première guerre d’Algérie. Une histoire de conquête et de résistance, 1830-1852 » aux éditions La Découverte La première guerre d’Algérie (1830-1852) AbonnésVoir

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« Par milliers, les Algériennes et les Algériens furent humiliés, spoliés, déplacés, enfumés, massacrés, décapités... » Il faut connaître cette époque pour comprendre la suite de la colonisation et son dénouement tragique. Dénouement que certains n’acceptent pas et qui le ravivent comme une amputation. Pourtant recherches, témoignages et reportages au cours des dernières années semblaient avoir apporté les moyens d’un apaisement des mémoires. Mais une extrême droite revancharde et négationiste, dotée de forts moyens médiatiques, gagne du terrain. Face à la concurrence des rentes mémorielles, il est donc nécessaire de mieux connaître cette sombre sanglante histoire. Aussi ROSA MOUSSAOUI interroge ALAIN RUSCIO, un des meilleurs historiens du fait colonial qui publie une somme passionnante à La Découverte.

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Depuis longtemps on se répète : « on sait pas ce qu’on veut, mais on sait ce qu’on veut pas ». Si Lordon reprend la formule, c’est tout d’abord pour dire que ce qu’on ne veut pas, c’est le capitalisme. Nous n’avons plus le choix, c’est lui ou nous, il n’y a plus d’arrangement possible. Comme dit un AMG, « repeindre le capitalisme en noir ne suffit plus ». Oui, c’est vrai, déplorer, dénoncer, condamner, s’indigner à longueur d’année nous conduit à l’impuissance et à la résignation, c’est-à-dire là où nous sommes aujourd’hui.