Irak

J’ai perdu mon fils dans une guerre à laquelle je m’oppose.

Le

Nous faisions tous deux notre devoir (par Andrew J. Bacevich)
Nous avons rencontré Andrew J. Bacevich lors de notre récent voyage aux Etats-Unis. Deux jours avant la diffusion de notre entretien avec lui, dans lequel il condamnait la guerre en Irak, son fils y mourrait, victime d’un attentat suicide. Il était soldat."
Le 27 mai 2007, il publiait cet article dans The Washington Post. Traduction de Renaud Lambert.
Pour réécouter l’émission avec Andrew J. Bacevich, cliquer ici

Les parents qui perdent un enfant, que ce soit dans un accident ou d’une maladie, se demandent, inévitablement, ce qu’ils auraient pu faire pour éviter cela. Quand mon fils a été tué en Irak, au début du mois, à l’âge de 27 ans, je me suis posé la question de ma responsabilité.

Au milieu des centaines de messages que ma femme et moi avons reçus, deux touchaient directement à cette question. Tous deux me tenaient pour responsable de sa mort, insistant sur le fait que mon opposition publique à la guerre en Irak avait apporté un soutien à l’ennemi. Tous deux expliquaient que la mort de mon fils était une conséquence directe de mes écrits contre la guerre.

On pourrait penser que d’accuser ainsi un père en deuil est un comportement des plus bas. Mais, dans les faits, elle constitue le tout-venant du discours politique américain, répétée à l’envie par ceux qui souhaitent permettre au Président Bush de garder sa liberté d’action pour mener sa guerre. En encourageant « les terroristes », ceux qui s’opposent au conflit en Irak accroissent les risques auxquels font face les troupes américaines. Bien que le Premier amendement protège ceux qui critiquent la guerre de toute poursuite judiciaire pour trahison, il n’offre aucune protection contre l’accusation à peine moins grave de ne pas soutenir les troupes, l’équivalent civique du « manquement au devoir » aujourd’hui.

Mais quel est le devoir d’un père quand on envoie son fils au devant d’un tel danger ?

Des nombreuses façons de répondre à cette question, la mienne est la suivante : alors que mon fils faisait tout son possible pour être un bon soldat, je m’efforçais d’être un bon citoyen.

En tant que citoyen, j’ai essayé depuis le 11 septembre 2001 de promouvoir un point de vue critique sur la politique étrangère des Etats-Unis. Je sais qu’aujourd’hui encore, des gens de bonne volonté trouvent la réponse de Bush aux évènements de cette terrible journée admirable à bien des égards. Ils applaudissent sa doctrine de guerre préventive. Ils ont fait leur sa croisade pour disséminer la démocratie à travers le monde musulman et pour éliminer la tyrannie de la face du globe. Ils insistent non seulement sur le fait que sa décision d’envahir l’Irak en 2003 était une bonne décision, mais que la guerre peut toujours y être gagnée. Certains - membres d’une école de pensée estimant que « la déferlante est déjà à l’œuvre » - expliquent même que la victoire se profile à l’horizon.

Mon avis est que tout ceci est totalement faux et que cette guerre est destinée à échouer. Dans des livres, des articles, des éditoriaux, au cours de conférences devant des publics nombreux ou limités, je l’ai dit. « Cette longue guerre ne peut être gagnée », écrivais-je, ici-même, dans le Washington Post en août 2005. « Les Etats-Unis doivent mettre un terme à leur présence en Irak, laisser les Irakiens décider de leur sort et créer un espace pour que d’autres pouvoirs, régionaux, aident à parvenir à une solution politique. Nous, nous avons fait tout ce que nous pouvions faire. »

A aucun moment, je ne me suis attendu à ce que mes efforts ne changent quoi que ce soit. Mais j’ai tout de même caressé l’espoir que ma voix se joigne à celles d’autres - enseignants, écrivains, activistes et gens ordinaires -, pour éclairer le public sur la folie du projet dans lequel la nation s’est lancée. J’espérais que ces efforts pourraient produire un climat politique favorable au changement. Je pensais sincèrement que si le peuple parlait, nos dirigeants à Washington écouteraient et répondraient.

Je m’en rends compte aujourd’hui : c’était une illusion.

Le peuple a parlé et, en substance, rien n’a changé. Les élections de mi-mandat de novembre 2006 ont montré un rejet sans ambigüité des politiques qui nous ont menés dans la situation actuelle. Mais, six mois plus tard, la guerre continue, sans qu’on n’en voie la fin. Bien sûr, en envoyant plus de troupes en Irak (et en allongeant la période de service de ceux qui, comme c’était le cas de mon fils, sont déjà sur place), Bush a indiqué qu’il n’attache pas la moindre importance à ce à quoi on se référait autrefois comme « la volonté du peuple », un concept qui semble bien désuet aujourd’hui.

A vrai dire, les Démocrates qui contrôlent le Congrès ne sont désormais pas moins responsables de la poursuite de la guerre que le Président et son parti. Après la mort de mon fils, les sénateurs de mon Etat, Edward M. Kennedy et John F. Kerry, m’ont téléphoné pour me faire part de leurs condoléances. Stephen F. Lynch, notre représentant au Congrès, a assisté à la veillée mortuaire de mon fils. Kerry était présent à la messe funéraire. Ma famille et moi avons beaucoup apprécié de telles attentions. Mais quand je leur ai, à tous deux, parlé de la nécessité de mettre fin à cette guerre, je me suis fait rembarré. Plus exactement, après avoir fait mine d’écouter un très bref instant, ils m’offrirent tous deux de longues explications qu’on pourrait résumer à ces quelques mots : ce n’est pas ma faute à moi.

Qui écoutent-ils donc, les Kennedy, Kerry et Lynch ? La réponse est connue : les mêmes personnes que ceux qui ont déjà l’oreille de George W. Bush et Karl Rove, c’est-à-dire les individus les plus riches et les institutions.

L’argent donne de l’influence. L’argent huile les rouages du mécanisme qui va produire notre prochain président en 2008. En ce qui concerne l’Irak, l’argent permet aux préoccupations des grandes entreprises, des intérêts pétroliers, des évangélistes belliqueux et de nos alliés au Moyen-Orient d’être entendues. En comparaison, les considérations concernant la vie des soldats américains ne viennent que plus tard.

Les orateurs du Memorial Day [1] nous disent que la vie d’un GI n’a aucun prix. Ne les croyez pas. Je connais la valeur qu’attribue le gouvernement américain à la vie d’un soldat : on m’a remis le chèque. C’est, en gros, le prix que vont payer les Yankees à Roger Clemens par match quand il commencera à jouer le mois prochain.

L’argent perpétue le duopole Républicains / Démocrates et leur politique au rabais. Il cantonne le débat politique américain à des limites bien définies. Il maintient intact les clichés de 1933-45 concernant l’isolationnisme, l’apaisement et la vocation de la nation au « leadership mondial ». Il inhibe tout compte-rendu sérieux du coût exact ne notre mésaventure en Irak. Il ignore totalement la question de savoir qui, au bout du compte, paie le prix. Il nie le principe même de démocratie en réduisant la liberté d’expression à une chambre d’enregistrement des désaccords, tout au mieux.

Il ne s’agit pas là d’un grand complot. C’est simplement comme ça que fonctionne le système.

En s’engageant dans l’armée, mon fils suivait les traces de son père. Avant sa naissance, j’avais servi au Viêtnam. En tant qu’officiers militaires, nous partagions une certaine proximité non dénuée d’ironie, ayant tous deux fait la démonstration de notre capacité à choisir la mauvaise guerre au mauvais moment. Toutefois, c’était lui le meilleur soldat des deux, brave, loyal et débordant d’énergie.

Je sais que mon fils a fait de son mieux pour servir notre pays. A travers mon opposition à une guerre dont j’estime qu’elle constitue une grave erreur, je pensais en faire autant. En fait, alors qu’il se donnait corps et âme, je ne faisais rien. En ce sens, je l’ai trahi.

Andrew J. Bacevich enseigne l’histoire et les relations internationales à l’Université de Boston. Son fils est décédé le 13 mai lors de l’explosion d’une bombe au cours d’un attentat suicide dans la province de Salah al-Din.

Notes

[1Memorial Day : aux Etats-Unis, le jour des morts au champ d’honneur

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