La lettre hebdo de Daniel Mermet

Si je ne peux pas danser, ce n’est pas ma révolution

Le

Cet article est en accès libre grâce aux abonnés modestes et géniaux, mais…

…sans publicité ni actionnaires, Là-bas si j’y suis est uniquement financé par les abonnements. Sans les abonnés, il ne nous serait pas possible de réaliser des émissions et des reportages de qualité. C’est le prix de notre indépendance  : rejoignez-nous  !

Je m'abonne J'offre un abonnement

Voilà, dit-on, ce que disait la grande rebelle Emma Goldman (1869-1940). On dit même qu’elle l’a dit à Lénine en personne, c’est dire.

Danser ! Voilà un programme de rentrée.

Oui la révolution, mais danser !

Et même chanter !

Rentrer pour replonger dans les intestins des luttes intestines, ça vous tente ? Revoir tourner les mêmes bobines, le pompeux filousophe, le camelot de plateau, le caniche faux-cul, la marchande de haine, tous les rabâcheurs du pas possible, ça vous va ?

Renfiler le vieux paletot de l’impuissance et de la déprime, encore un coup ?

Nous déprimer est l’idée fixe des pouvoirs établis, économique, politique comme médiatique. Nous angoisser, nous persuader de notre impuissance, nous déposséder de notre histoire, nous voler nos victoires, c’est leur guerre la plus obstinée, leur propagande la plus insidieuse et la plus puissante, c’est notre dressage le plus réussi.

Ils n’ont pas besoin de nous réprimer, il leur suffit de nous déprimer. C’est la grande idée du philosophe Gilles Deleuze.

« Les pouvoirs établis ont besoin de nos tristesses pour faire de nous des esclaves. Le tyran, le prêtre, les preneurs d’âmes ont besoin de nous persuader que la vie est dure et lourde. [1] »

Et même, il leur suffit « d’administrer et d’organiser nos petites terreurs intimes », ajoutait Paul Virilio.

Et Deleuze continue : « nous vivons dans un monde plutôt désagréable, où non seulement les gens, mais les pouvoirs établis ont intérêt à nous communiquer des affects tristes. La tristesse, les affects tristes sont tous ceux qui diminuent notre puissance d’agir. (…) Les malades, de l’âme autant que du corps, ne nous lâcheront pas, vampires, tant qu’ils ne nous auront pas communiqué leur névrose et leur angoisse, leur castration bien-aimée, le ressentiment contre la vie, l’immonde contagion. »

Oui, bien joli, mais est-ce que tout ça ne fait pas de vous un ravi de la crèche mou du genou, un « indignez-vous » qui tend l’autre joue ?

Pas du tout, au contraire, dit Tonton Deleuze : « tout est affaire de sang. Ce n’est pas facile d’être un homme libre : fuir la peste, organiser les rencontres, augmenter la puissance d’agir, s’affecter de joie, multiplier les affects qui expriment un maximum d’affirmation. Faire du corps une puissance qui ne se réduit pas à l’organisme, faire de la pensée une puissance qui ne se réduit pas à la conscience. »

Et Deleuze dit aussi : « on a beau dire "dansons", on est pas bien gai. On a beau dire "quel malheur la mort ", il aurait fallu vivre pour avoir quelque chose à perdre. »

Voilà le programme de rentrée : augmenter la puissance d’agir et s’affecter de joie !

Daniel Mermet (et tonton Deleuze)

P.-S. S’il faut des figures pour dire tout ça, en voilà une, en voilà deux, en voilà trois. Trois femmes comme par hasard.

Valerie Tarazi, nageuse palestino-américaine, était porte-drapeau de la délégation de Palestine aux Jeux olympiques d’été de 2024 à Paris

Catherine Ribeiro, 1941-2024 (Jean-Pierre Leloir/GAMMA-RAPHO)

Lucie Castets, présidente de la République en 2027

Notes

[1Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Flammarion, 1977, Paris.

C'est vous qui le dites…Vos messages choisis par l'équipe

Les bouquins de LÀ-BASLire délivre

  • Voir

    La bibliothèque de LÀ-BAS. Des perles, des classiques, des découvertes, des outils, des bombes, des raretés, des bouquins soigneusement choisis par l’équipe. Lire délivre...

    Vos avis et conseils sont bienvenus !

Dernières publis

Une sélection :

SI J’AURAIS SU ! Un nouveau rendez-vous LÀ-BAS avec LAURENCE DE COCK CONTRE LA DESTRUCTION DE L’ÉCOLE PUBLIQUE DANS LE 93 ! AbonnésVoir

Le

Laurence de Cock reçoit trois enseignantes du 93, Servanne, Louise et Amandine qui n’ont pas envie de laisser le pouvoir aux destructeurs de l’école publique. Leur but est clair : lutter à fond contre cette destruction, montrer les dégâts, et appeler toutes et tous à la castagne. Oui, entre privé et public c’est la vraie lutte des classes.

Gérard Mordillat : « Vive l’école publique ! » AbonnésVoir

Le

C’est un séparatisme qui ne dit pas son nom, mais qui est déjà à l’œuvre de manière éclatante dans la capitale : à Paris, 40 % des lycéens sont scolarisés dans un établissement privé. À l’échelle nationale, la proportion d’élèves scolarisés dans le privé est moindre, mais elle ne cesse de croître. Tout ça est la lointaine conséquence de la loi Debré, adoptée le 29 décembre 1959, qui institutionnalisa le financement public de l’enseignement privé. Durant l’année 1959 déjà, de nombreuses manifestations avaient eu lieu pour s’opposer à ce détournement de fonds publics au profit de l’enseignement privé. Et devinez : qui se trouvait parmi les manifestants ? Gérard Mordillat, bien sûr.

Bifurquer. Claquer la porte et aller planter vos choux bio, vous en rêvez ? Un ancien de Là-bas raconte sa bifurcation heureuse. Reportage radio. PODCAST Rompre les rangs : la nouvelle vie de Grégory Salomonovitch AbonnésÉcouter

Le

« BIFURQUER ». C’est le mot de l’été chez les bobos toujours futés. Bifurquer, démissionner, déserter. Une mode passagère ou une vague de fond ? Le discours rebelle d’une poignée de jeunes diplômés d’AgroParisTech contre l’ordre néolibéral, lors de la remise de leur diplôme le 10 mai 2022, a été vu des millions de fois sur les réseaux. Il s’agit en somme de rompre les rangs. Rompre avec le capitalisme ou, tout au contraire, montrer qu’un autre capitalisme est possible ? Et puis bifurquer, mais dans quelle direction ? L’alternative est souvent le retour à la terre.