Début de notre série « Paroles de Gilets jaunes ». Un texte de Daniel Mermet

SE METTRE EN LUTTE EST UNE VICTOIRE

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Les médias c’est une gomme, une grosse gomme qui efface alors qu’elle prétend montrer, c’est la fabrique de l’oubli, c’est l’ardoise magique, on efface tout et on recommence et au suivant et au suivant.

Une diarrhée permanente et on tire la chaîne, première chaîne, deuxième, troisième et ainsi de suite. Parfois c’est tant mieux, parfois c’est bien dommage. Des trésors disparaissent ainsi, des bijoux, des boussoles, des lumières, des plans d’évacuation, des équations mirobolantes, des brins de bruyère et des traits de génie. Mais non, tout doit disparaître, le monstre avale tout. Surtout les paroles, c’est en premier ce qui s’envole et croyez que ça nous fait pas plaisir à nous autres, les rémouleurs du micro. Prenez les Gilets jaunes. Dès le début en novembre on a couru de manifs en ronds-points, Gaylord, Dillah, Sophie et toute l’équipe pour vous faire partager ce qui se vivait là, ce qui se disait là, de profond, de sincère, de violent, d’irréversible et d’inattendu dans un monde de plus en plus maussade et dégonflé. Un genre de miracle social en somme, qui bien sûr n’allait pas durer. Sauf que ça a duré, sauf que ça dure et que ça dure durement. Mais vers où ? Émancipation ou réaction ? Et comment ? Quelle violence face à la violence dominante ? D’où l’envie pour préparer la rentrée de revenir sur ces paroles envolées, en radio bien sûr, mais aussi en noir sur blanc, fidèlement transcrites, à lire et à relire, au moins pour la saveur fraternelle de la lutte.

Se mettre en lutte est une victoire, peu importe l’issue. Rompre les rangs, relever la tête, affronter le maître, ne plus se laisser intimider par les fanfarons médiatiques, sortir de la solitude et de la honte d’avoir honte, découvrir que d’autres, beaucoup d’autres en ont ras-le-cul, se retrouver, parler, gueuler, se faire cuire des saucisses et boire au même goulot. Même si c’est quelques heures, quelques jours, c’est déjà ça que Macron n’aura pas, ni les siens, ni leurs chiens. Et voila que ça dure depuis des mois, et depuis des mois ça décline, et depuis des mois c’est fini, les experts le répètent en boucle.

Sauf que ça dure, ça dure durement.

Si on faisait deux tas, un tas avec les paroles des Gilets jaunes et un tas avec les commentaires sur les Gilets jaunes, on verrait que la masse des commentaires est cent fois plus haute, mille fois plus lourde. Depuis des mois on a une parfaite illustration de ce que répétait Pierre Bourdieu au sujet de ceux de la classe populaire : ils sont plus parlés qu’ils ne parlent et lorsqu’ils parlent, ils parlent comme ceux qui parlent d’eux [1]. Sauf cette fois, surtout au début, surtout sur les ronds-points un peu partout dans le pays, un autre langage soudain s’est fait entendre.

L’insoumission commence par les mots. Par oser les mots. Cette langue que le beau monde disait morte c’est le très ancien cri du peuple quand l’injustice vous écrase la poitrine et vous arrache les dents. Il faut l’écouter cette parole, la faire entendre, la partager sur les petits ruisseaux jusqu’à atteindre un beau jour les grandes rivières sous la lune.

Daniel MERMET


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La sociologue publie « Les riches contre la planète. Violence oligarchique et chaos climatique ». Entretien Monique Pinçon-Charlot : « Dans tous les domaines de l’activité économique et sociale, les capitalistes ont toujours, toujours, toujours des longueurs d’avance sur nous » AbonnésVoir

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La sociologue Monique Pinçon-Charlot, qui a longtemps analysé avec son mari Michel Pinçon les mécanismes de la domination oligarchique, publie un nouveau livre sur le chaos climatique et elle n’y va pas avec le dos de la cuiller en bambou. Entretien.

Les riches détruisent la planète, comme l’écrivait le journaliste Hervé Kempf. On le sait. Ils le savent. Ils le savent même depuis bien longtemps ! Le nouveau livre de Monique Pinçon-Charlot risque de ne pas plaire à tout le monde. Dans Les riches contre la planète, elle raconte comment une poignée de milliardaires est en train d’accumuler des profits pharaoniques en détruisant la nature, les animaux, les êtres humains et finalement toute la planète, menacée par les émissions de gaz à effet de serre.

Mais surtout, la sociologue analyse comment l’oligarchie, qui a toujours eu une longueur d’avance, organise, encadre et finance sa propre critique et ses contestataires. Histoire que l’écologie ne soit pas un frein au business, mais au contraire l’opportunité de développer de nouveaux marchés selon une « stratégie du choc » décrite par la canadienne Naomi Klein. Le capitalisme fossile est mort ? Vive le capitalisme vert !

Alors que faire ? Arrêter de parler d’« anthropocène », ce n’est pas l’humanité tout entière qui est responsable du dérèglement climatique, mais de « capitalocène », la prédation du vivant étant consciemment exercée par quelques capitalistes des pays les plus riches. Ensuite comprendre ce que masquent les expressions « transition écologique  », « neutralité carbone » ou encore « développement durable » forgées par le capitalisme vert. Et surtout lire d’urgence le livre de Monique Pinçon-Charlot pour prendre conscience que les mécanismes de la domination oligarchique s’immiscent partout, y compris là où on ne les attendait pas…

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« Par milliers, les Algériennes et les Algériens furent humiliés, spoliés, déplacés, enfumés, massacrés, décapités... » Il faut connaître cette époque pour comprendre la suite de la colonisation et son dénouement tragique. Dénouement que certains n’acceptent pas et qui le ravivent comme une amputation. Pourtant recherches, témoignages et reportages au cours des dernières années semblaient avoir apporté les moyens d’un apaisement des mémoires. Mais une extrême droite revancharde et négationiste, dotée de forts moyens médiatiques, gagne du terrain. Face à la concurrence des rentes mémorielles, il est donc nécessaire de mieux connaître cette sombre sanglante histoire. Aussi ROSA MOUSSAOUI interroge ALAIN RUSCIO, un des meilleurs historiens du fait colonial qui publie une somme passionnante à La Découverte.

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Depuis longtemps on se répète : « on sait pas ce qu’on veut, mais on sait ce qu’on veut pas ». Si Lordon reprend la formule, c’est tout d’abord pour dire que ce qu’on ne veut pas, c’est le capitalisme. Nous n’avons plus le choix, c’est lui ou nous, il n’y a plus d’arrangement possible. Comme dit un AMG, « repeindre le capitalisme en noir ne suffit plus ». Oui, c’est vrai, déplorer, dénoncer, condamner, s’indigner à longueur d’année nous conduit à l’impuissance et à la résignation, c’est-à-dire là où nous sommes aujourd’hui.