La lettre hebdo de Daniel Mermet

Plus vite, plus haut, plus fort dans le mur

Le

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« Surperformance » des athlètes français ! Mais ils ne sont pas les seuls, les réacs surperforment aussi ! Plus vite, plus haut, plus fort… sauf que eux, c’est dans le mur.

C’est la scène de la Cène sur la Seine qui ne passe pas.

Tout le monde a fait ce jeu de mot, tout le monde connaît ces images lors de l’inauguration des JO à Paris. « FESTIVITÉ » : la scène vue dans le monde entier par deux milliards de paires d’yeux et d’oreilles, avec un Bacchus tout bleu et tout nu ou presque, entouré des personnages traditionnels des bacchanales version Fellini, version parade foraine, version bal des Quat’z’Arts d’autrefois. Rien de bien outrancier.

Mais pourtant la fachosphère a foncé dans le mur au quart de tour.

Un régal. Rien que pour ça, cette ouverture des JO est une réussite : orgie de mauvais goût, propagande wokiste infecte, saccage français pour la culture, plébiscité par les ennemis de la France, de ses racines, de son identité… Tous les influenceurs de Facholand se sont lâchés. Une mise en scène « obscène », dit Alain Finkielkraut. Une « laideur générale » pour Marion Maréchal. Unanimité à l’extrême droite, de Matteo Salvini à Donald Trump qui l’a répété en boucle : « c’est une honte ».

En Allemagne, Beatrix von Storch, vice-présidente du groupe AfD (extrême droite) au Bundestag et petite-fille du ministre des finances d’Hitler, a ainsi réagi sur X : « Quelle cérémonie d’ouverture ? À juste titre, la tendance sur X est : #disgusting. D’abord une bande de transsexuels, ensuite le christianisme tourné en ridicule. Qui sont ces gens qui mettent en scène des choses comme ça ? »

C’est en effet surtout du côté chrétien qu’on a crié au scandale. La Conférence des évêques de France a déploré « des scènes de dérision et de moquerie du christianisme ». L’évêque de Nîmes a célébré une messe de « réparation ». Le haut clergé l’a répété partout : « une véritable offense a été faite au Seigneur à Paris lors de la cérémonie d’ouverture des JO par la représentation d’une parodie de la Dernière Cène ». Oui, partout et en même temps, la même réaction réactionnaire parfaitement synchronisée, comme si on s’était donné le mot…

Et les malins n’ont pas manqué un étonnant rapprochement entre Elon Musk qui dénonce un « extrême manque de respect envers les chrétiens » et Jean-Luc Mélenchon qui demande : « à quoi bon risquer de blesser les croyants ? »

Sauf que tout ça ne repose sur rien. C’est un emballement médiatique qui a piégé tous ces indignés, telle la mouche sur le papier tue-mouches. Plus vite, plus haut, plus loin, une bonne façon de se faire piéger.

Car pourquoi cette vague d’indignation ?

Léonard de Vinci, L’Ultima Cena, tempera sur gesso, 460 × 880 cm, 1495-1498 (détail)

Parce que la fameuse scène « FESTIVITÉ » serait une parodie blasphématoire d’un tableau de Léonard de Vinci (1452-1519), La Dernière Cène, c’est-à-dire le dernier repas de Jésus avec les apôtres, à la veille de sa mort. D’où cette levée de boucliers et de crucifix brandis sur toute la planète contre le diable queer et autres drag-queens qui offensent gravement les braves croyants sans autre défense que leur foi.

Au passage, ceux qui fustigeaient hier ces musulmans arriérés qui ne supportaient pas les caricatures de Mahomet fustigent cette fois les wokistes dégénérés caricaturant notre Seigneur Jésus-Christ.

Sauf que c’est d’une tout autre peinture que le metteur en scène Thomas Jolly s’est inspiré pour cette « festivité ». C’est Le Festin des dieux de Jan van Bijlert, peint entre 1635 et 1640 et exposé depuis 1938 au musée Magnin à Dijon. Thomas Jolly s’en est expliqué longuement partout. Il ne souhaitait nullement offenser la foi de quiconque mais célébrer la vie, l’amour et le vin avec ces divinités de l’Olympe, puisqu’il s’agit d’olympisme.

Jan van Bijlert, Le Festin des dieux, huile sur toile, 110 × 104 cm, vers 1635-1640

Tout penauds en apprenant ça, mais mauvais joueurs, certains adeptes du blasphème se sont entêtés en accusant le metteur en scène de duplicité. Et même plus, puisqu’il a reçu des menaces de mort prises au sérieux.

Cette indignation devant cet improbable détournement de la Cène est soit malhonnête, soit inculte. Car même si La Cène de Léonard avait inspiré « Festivité », il n’y aurait guère de matière à scandale sauf avec une mauvaise foi intéressée.

En effet, l’immense peinture de Léonard est depuis longtemps l’objet d’innombrables détournements sacrilèges ou en hommage, depuis Salvador Dali (1955) ou Andy Warhol (1986) jusqu’à la publicité pour Volkswagen (1998) sans oublier la scène dans Viridiana de Luis Buñuel (1961). On ne compte plus ces parodies qui ne posent aucun problème. S’en indigner aujourd’hui procède de l’intention de porter préjudice. On ne dira jamais assez que s’il y a sacrilège, c’est qu’il y a sacré, ce dont tout bon croyant devrait se réjouir.

Les Simpson, saison 16, épisode 19, 2005

Enivré par son succès électoral, le RN fait dans la grosse propagande en montrant son mépris profond pour son électorat. Il faut aider les électeurs du RN à comprendre que le RN les prend pour des cons. En plus, on a là un aperçu de sa conception de la culture. Il y a un rapprochement à faire avec l’exposition de « l’art dégénéré » organisé au temps du IIIe Reich : « Entartete Kunst ». On y montrait des horreurs telles que des peintures de ce cinglé de Picasso ou de ce juif de Chagall et autres peintres modernes tels Otto Dix, Oskar Kokoschka ou Max Beckmann. Un succès. L’exposition de 1937 reçut plus de 2 millions de visiteurs.

Il n’est pas abusif de revenir au mot « dégénéré ». Il y a « genre » dans « dégénéré ». Or le genre pose un problème à l’extrême droite. Et c’est les artistes drag-queens présentes dans cette scène qui offusquent le très réactionnaire RN. Un rejet raciste qui s’ajoute à son racisme fondamental.

Sauf que là, ça ne passe pas. C’est le gros flop. L’extrême droite a pris une claque. Il faudra trouver du nouveau. Plus vite, plus haut, plus fort.

Ces JO ont le mérite de réveiller tout un tas de polémiques. Sous l’enthousiasme pour les épreuves et les médailles, l’engouement pour Teddy Riner ou Léon Marchand, on sait bien que les problèmes courent toujours. Mais cette gaieté passagère est bonne à partager, même si elle contrarie les militants des passions tristes et les gourous de l’anxiogène. La joie ne rend pas dupe, au contraire. L’amer désabusé, aigri et gris, est l’ami de nos ennemis. Macron a beau se démener pour se faire bien voir avec les championnes et les champions et leur voler une part de leur gloire, il est attendu au tournant.

Mais là, excusez-moi, ma petite-fille m’appelle pour regarder la finale de natation…

Daniel Mermet

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