Un entretien de Studs Terkel avec Paul Tibbets, le pilote américain qui bombarda Hiroshima

Paul Tibbets, la bombe atomique et le pilote

Le

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Paul Warfield Tibbets était le pilote de l’Enola Gay, l’avion qui bombarda Hiroshima le 6 août 1945, tuant 140 000 civils. Studs Terkel l’a rencontré en 2002, un entretien originellement publié par The Guardian [1]. La revue Plus que des mots en a publié une traduction, que nous reproduisons ci-dessous [2] :

Studs Terkel — Nous voici tous deux assis chez Paul Tibbets à Columbus, dans l’Ohio. C’est ici que ce général à la retraite âgé de 89 ans vit depuis plusieurs années.

Paul Tibbets — Eh, je ne peux pas vous laisser dire une telle chose. Je n’ai que 87 ans, et pas 89.

D’accord. J’en ai moi-même 90, et suis donc votre aîné de trois ans. Nous venons de partager un excellent repas, vous, moi et votre compagne. J’ai remarqué que, tandis que nous étions assis au restaurant, les gens passaient et n’avaient aucune idée de qui vous étiez. Vous avez pourtant autrefois piloté un avion, l’Enola Gay, qui, dans la matinée du dimanche 6 août 1945, a largué une bombe sur la ville de Hiroshima, au Japon. Il s’agissait d’une bombe atomique, la toute première du genre. Cet événement a changé le monde, et c’était vous qui étiez aux commandes de cet avion.

Oui, tout à fait.

Le nom de l’avion faisait référence à…

À ma mère. Elle s’appelait Enola Gay Haggard avant de se marier avec mon père. Lui n’a jamais voulu que je devienne pilote, il détestait les avions et les motos. Lorsque je leur ai dit que j’allais quitter l’école et m’engager dans l’armée de l’air pour piloter des avions, il m’a dit : « j’ai financé tes études, tes voitures, tes sorties avec les filles mais, à partir de maintenant, ne compte plus sur mon soutien. Si tu tiens tant que ça à te tuer, vas-y, ça m’est égal. » Ma mère a alors ajouté calmement : « Paul, si c’est ce que tu veux, alors c’est le bon choix. »

Où cela se passait-il ?

Eh bien, c’était à Miami, en Floride. Mon père avait bossé dans l’immobilier dans ce coin pendant des années, mais il était à la retraite a ce moment-là. J’allais à l’école à Gainesville, mais comme l’État de la Floride n’avait pas d’école de médecine, il fallait que je déménage dans l’Ohio.

Vous pensiez devenir médecin ?

Pas moi, mais c’était ce que mon père voulait. Je me contentais de ne pas le contredire. C’était la voie dans laquelle j’étais engagé, et puis une année avant que cette discussion n’ait lieu, j’avais eu l’occasion de piloter un avion par moi-même. J’ai tout de suite su que c’était là ce que je voulais faire.

En 1944, vous voilà devenu un pilote d’essai affecté au développement du B-29. Quand avez-vous appris que vous étiez réaffecté dans un programme moins conventionnel ?

Un jour [3], j’effectue un vol d’essai sur un B-29, et un homme vient me cueillir à mon atterrissage. Il me dit qu’il vient de recevoir un coup de fil de Colorado Springs, et que le général Uzal Ent [4] veut me voir dans son bureau dès le lendemain matin 9 heures. Il ajoute que je dois prendre mon paquetage complet et que je ne reviendrai pas sur la base. Je ne savais pas de quoi il retournait, mais cela ne m’a pas tracassé. Il s’agissait juste là d’une nouvelle affectation.

Le lendemain matin, je me présentais parfaitement à l’heure au rendez-vous de Colorado Springs. Un dénommé Lansdale m’accueillit et me conduisit au bureau du général Ent, puis referma la porte derrière moi. Le général était accompagné d’un officier de l’US Navy en tenue réglementaire – il s’agissait de William Parsons qui fera partie de mon équipage lors du vol pour Hiroshima –, et de Norman Ramsey, un professeur en physique nucléaire de l’université de Columbia. Ce dernier se mit à m’expliquer l’existence du projet Manhattan, dont l’objectif était de développer une bombe atomique. Il continua en me disant qu’ils en étaient rendus à un point où ils avaient besoin de travailler avec des avions pour aller de l’avant.

Il me fit une explication détaillée qui dura environ 45-50 minutes, puis quitta le bureau. Le général Ent me dévisagea alors et me déclara : « il y a quelques jours de ça, le général Arnold [5] m’a proposé trois noms. » Les deux autres officiers avaient le grade de colonel, tandis que je n’étais que lieutenant-colonel. Il m’expliqua que, lorsque le général Arnold lui avait demandé qui pourrait convenir pour cette mission, il lui avait donné mon nom sans la moindre hésitation. Je le remerciai, il entreprit alors de m’expliquer la tâche qui m’attendait : constituer une équipe et l’entraîner à lancer des armes atomiques en Europe et dans le Pacifique.

C’est intéressant de savoir que l’Europe constituait aussi une cible à leurs yeux. Ce n’est pas une information connue du grand public.

Ma mission était on ne peut plus claire : je devais larguer simultanément une bombe sur l’Europe et une autre dans le Pacifique, il était impossible de faire autrement si nous voulions conserver l’effet de surprise. Le général Ent m’a alors déclaré :

« Il y a un escadron qui s’entraîne sur le B-29 dans le Nebraska. Leurs résultats dépassent très largement ceux de toutes nos autres unités. Je veux que vous alliez leur rendre visite, que vous les évaluiez, que vous discutiez avec eux ou quoi que ce soit d’autre que vous jugerez nécessaire. S’ils ne vous conviennent pas, nous vous en dégoterons d’autres. »

Il continua :

« Il n’y aura personne pour vous dire quoi faire, pour la simple et bonne raison que personne n’en aura la moindre idée. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, demandez-moi. »

Je le remerciai à nouveau. Il conclut en me disant :

« Paul, ne prenez pas cette responsabilité à la légère. Si vous remplissez avec succès votre mission, vous deviendrez un héros mais, dans le cas contraire, vous pourriez finir derrière les barreaux. »

Connaissiez-vous la puissance d’une bombe atomique ? Vous avait-on parlé de cela ?

Non, à ce moment-là, j’ignorais tout de ce genre de détails. Mais je savais mettre une équipe sur pied. Le général Ent m’avait dit de faire le tour des bases militaires et de lui dire celle que je souhaitais utiliser. J’avais la ferme intention de retourner à Grand Island, dans le Nebraska, car c’était là que ma femme et mes deux enfants se trouvaient. Mais je me suis dit que j’allais quand même d’abord me rendre à Wendover [6] et voir de quoi il retournait. Aussitôt sur place, j’ai pu constater qu’il s’agissait d’un endroit magnifique. C’était là que les pilotes recevaient la fin de leur entraînement. Les types que j’avais en face de moi appartenaient à des unités qui volaient sur des chasseurs P-47. L’officier qui commandait la base me dit :

« On nous a demandé d’arrêter les entraînements. Je n’ai aucune idée de ce que vous comptez faire… mais, si cela a un rapport avec cette base, je peux vous dire que vous ne trouverez pas mieux. Nos ateliers regorgent de pièces détachées, tout le monde est compétent et connaît son métier. C’est un bon endroit. »

C’est le moment où vous choisissez les membres de votre équipage…

En fait, je les avais déjà choisis dans ma tête. Je savais sans la moindre hésitation qu’il y aurait Tom Ferebee (bombardier), Théodore « Dutch » Van Kirk (navigateur) et Wyatt Duzenbury (mécanicien de vol).

C’était des gars avec qui vous aviez déjà volé en Europe ?

Oui.

L’équipage du B-29 Enola Gay : le colonel Paul W. Tibbets est au centre (photo : U.S. Air Force)

Vous voilà à présent dans la phase d’entraînement. Vous êtes en communication avec des physiciens comme Robert Oppenheimer [7].

Je crois m’être rendu à trois reprises à Los Alamos [8] et y avoir vu travailler le Dr Oppenheimer à chaque fois. Avec le recul, en y réfléchissant, c’était un brillant jeune homme. Il fumait comme un pompier et buvait des cocktails. Et il détestait les gros. Le général Leslie Groves [9] était quant à lui gros, et il détestait les fumeurs et les buveurs. C’était un vieux couple très étrange.

Ils ne s’entendaient pas ?

Non, mais ils ne le montraient pas. Ils étaient consciencieux.

Est-ce qu’Oppenheimer vous parle du pouvoir destructeur de la bombe ?

Non.

Comment en avez-vous entendu parler, alors ?

Par le biais du Dr Ramsey. La seule chose qu’il avait accepté de me dire, c’était que la bombe allait exploser avec une puissance équivalant à 20 000 tonnes de TNT. Je n’avais jamais vu ce que l’explosion de 500 g de TNT pouvait produire, et ne connaissais personne qui ait jamais assisté à l’explosion de ne serait-ce que 50 kg d’explosif. Je me disais que cela allait faire un sacré barouf.

20 000 tonnes – combien faudrait-il de bombardiers chargés de bombes pour arriver à une telle quantité ?

Eh bien, je crois que les deux bombes que nous avons larguées [10] représentaient une puissance supérieure à toutes celles que nous avons utilisées au cours de la guerre sur le front européen.

Ramsey vous avait donc renseigné sur ce qui pouvait se passer ?

Même si à ce moment-là les choses n’en étaient qu’à un stade purement théorique, tout ce dont ces gars m’ont parlé s’est révélé correct. Je me sentais prêt à aller au combat, mais j’avais besoin de demander à Oppenheimer comment me dégager après avoir largué la bombe. Je lui avais expliqué que lors des missions de bombardement en Europe et en Afrique du Nord, nous poursuivions notre route au même cap après avoir lâché les bombes, ce qui correspondait également à la trajectoire des projectiles. Je lui demandai si cette procédure pouvait s’appliquer dans ce cas. Il me répondit que non, que je me trouverais alors juste au-dessus de l’explosion et que j’allais être rayé de la carte. Selon lui, il fallait que je manœuvre afin de prendre une tangente par rapport à l’onde de choc. Je lui dis :

« D’accord, j’ai des bases en trigonométrie et en physique, mais quel devrait être l’angle de la tangente dans ce cas précis ? »

Il me répondit que, pour m’éloigner au plus vite de la zone d’impact de la bombe, il fallait que je vire rapidement à 159°, quel que soit le cap.

De combien de temps disosiez-vous pour effectuer cette manœuvre ?

J’avais largué suffisamment de bombes d’entraînement pour savoir que l’explosion se produirait à environ 500 mètres du sol. J’avais donc entre 40 et 42 secondes pour virer à 159°. Je retournai au plus vite à Wendover et me mis aux commandes de mon avion. Je m’entraînai à effectuer ce virement de cap à 8 000 mètres d’altitude, de plus en plus serré, jusqu’à ce que je réussisse la manœuvre en 40 secondes. La queue de l’avion tremblait dangereusement, et je craignais qu’elle ne se brise, mais je n’abandonnai pas pour autant. Je m’étais fixé un objectif. Je me suis entraîné sans relâche jusqu’à ce que je puisse le faire de façon automatique systématiquement entre 40 et 42 secondes. Donc, lorsque le grand jour est enfin arrivé…

Vous avez reçu l’ordre de mission le 5 août.

Oui. Nous étions à Tinian [11] au moment où nous avons reçu la confirmation. Un Norvégien avait été dépêché à la station météorologique de l’île de Guam [12], et j’avais reçu une copie de son rapport. Sur la base de ses prévisions, nous avions estimé que le jour qui conviendrait le mieux à la navigation au-dessus de Honshu [13] serait le 6 août. Nous accomplîmes les dernièrs préparatifs : chargement de l’avion, distribution des ordres à l’équipage, et tout ce qu’il convenait de vérifier avant de partir en mission au-dessus d’un territoire ennemi.

Le général Groves était en liaison par téléscripteur avec un officier à Washington, D.C. Il restait en permanence auprès de cet appareil, et transmit un message codé informant les officiels que les avions se tenaient prêts à décoller à partir du 6 à minuit. Et c’est comme ça que les choses se sont déroulées. Nous étions opérationnels depuis environ quatre heures, l’après-midi du 5, et nous reçûmes l’autorisation du président. On nous communiqua l’heure pour le largage de la bombe mais, comme il s’agissait du fuseau horaire de Tinian, qui avait une heure de plus que celui du Japon, je demandai à Dutch de s’occuper de calculer l’heure à laquelle il nous fallait décoller pour être sur notre cible à neuf heures.

Le dimanche matin, donc.

Eh bien, nous étions sur la piste à 2 heures 15 minutes précises. Nous avons décollé, rejoint notre escorte au point de rendez-vous et volé jusqu’à l’endroit que nous appelions le point de départ, et qui correspondait à un emplacement géographique qu’on ne pouvait pas louper : des rivières, un pont et une grosse chapelle. Impossible de se tromper.

Il fallait donc que le navigateur sache ce qu’il faisait pour lâcher la bombe.

L’avion était équipé d’un système de visée relié au pilote automatique, grâce auquel le bombardier pouvait entrer les informations relatives au point de largage du projectile. Nous avions dès le début imaginé la possibilité que la porte de la soute ne s’ouvre pas et nous avions prévu un système d’ouverture manuelle dans chacun des avions, il se trouvait au poste du bombardier et c’est lui qui pouvait l’actionner. Les avions qui volaient derrière nous et avaient pour mission de larguer des équipements de mesure devaient être prévenus du moment où nous allions larguer la bombe. Les ordres que nous avions reçus étaient de ne pas rompre le silence radio mais, bon Dieu, il n’y avait pas d’autre solution. Nous avions donc convenu que je réciterais un compte à rebours pour la dernière minute. Cela leur laisserait le temps de larguer leur équipement, et leur position leur indiquerait clairement la nature de la tâche qu’ils devaient accomplir. Tout s’est exactement passé comme prévu. C’était parfait.

Une fois les avions en formation, je me suis glissé hors du poste de pilotage et ai rejoint l’équipage. Je leur ai demandé s’ils avaient idée de la nature de notre mission. Ils me répondirent qu’il s’agissait d’un bombardement. J’acquiesçai, mais je leur précisai qu’il s’agissait d’une mission un peu spéciale. Bob Caron, mon mitrailleur de queue, était du genre à réfléchir vite, et il me demanda :

« Mon colonel, est-ce qu’il ne serait pas question de faire un peu mumuse avec les atomes aujourd’hui ? »

Ce que je lui confirmai. Je retournai à l’avant et mis le reste de l’équipage également au courant. « Ok, c’est une bombe atomique que nous allons larguer. » Il m’écoutèrent, mais ne semblèrent pas plus surpris que ça. Ces types n’étaient pas des idiots. On manipulait des choses avec une des formes les plus particulières que nous ayons jamais vues.

Nous descendons donc. Je finis de réciter le compte à rebours, et à peine ai-je prononcé le « un » que l’avion, soulagé de 4 500 kg, fait une brusque embardée. J’amorce ce fameux virement de cap, le plus serré possible afin de conserver mon altitude et ma vitesse. Lorsque je redresse l’avion, je découvre que le ciel a entièrement pris des teintes bleues et roses. Je n’avais jamais vu d’aussi jolies couleurs de ma vie. C’était merveilleux.

Je dis souvent aux gens que c’est comme si j’avais ressenti le goût de l’explosion, et ils me demandent ce que je veux dire par là. Quand j’étais gosse, lorsqu’on avait une carie, le dentiste rebouchait le trou avec une sorte de mixture qu’il faisait pénétrer avec un marteau. J’avais découvert que si je mangeais une cuillerée de crème glacée et que si je touchais une de ces dents abîmées, je pouvais ressentir ce frisson électrique ainsi que le goût du plombage. Et je savais tout de suite ce que c’était.

Nous prenons tous le chemin de la base. On nous avait donné l’ordre de ne pas utiliser les radios, et de nous contenter de faire demi-tour et mettre les voiles au plus vite. Je décide de rentrer en passant par la mer du Japon parce que je sais qu’ils ne pourront pas nous y trouver. Le vol de retour effectué, nous sommes à la base.

L’Enola Gay atterrit à Tinian (dans les îles Mariannes) après sa mission à Hiroshima (photo : U.S. Air Force )

Tom Ferebee doit remplir un rapport sur le largage de la bombe, et Dutch, notre navigateur, un compte rendu détaillé du vol. Tom demande :

« Dutch, à quelle heure était-on sur l’objectif ? »

Dutch répond :

« 9 heures ,15 minutes et 15 secondes. »

Ferebee conclut :

« 15 secondes de retard, quel boulot d’amateur ! »

Avez-vous entendu l’explosion ?

Oh oui. L’onde de choc nous suivait après notre virement de cap. Le mitrailleur de queue nous alerta que nous allions être rattrapés, et, l’instant d’après, l’impact nous secouait le cul. J’avais fait installer des accéléromètres dans chacun des appareils afin d’enregistrer la magnitude de l’explosion. Le choc était d’une puissance de 2,5 G. Le lendemain, lorsque les scientifiques nous mirent au courant de ce qu’ils avaient appris du largage, ils nous expliquèrent que, au moment de l’explosion, nous étions à déjà presque vingt kilomètres du point d’impact.

Vous avez vu le champignon atomique ?

Il existe différents types de champignons atomiques, en fonction des bombes utilisées. À Hiroshima, il n’y a pas eu de champignon. Il s’agissait simplement d’un nuage vertical. Il était très noir, avec de la lumière, des couleurs, du blanc et du gris à l’intérieur. Le sommet ressemblait à un arbre de Noël en pliage.

Aviez-vous la moindre idée de ce qui se passait là-dessous ?

C’était l’enfer ! Je crois que l’un des historiens du projet a parfaitement résumé la situation en déclarant qu’en une microseconde la ville d’Hiroshima avait été rayée de la carte.

Le Palais d’exposition industrielle du département de Hiroshima est le seul bâtiment situé à proximité du point d’impact à avoir résisté (photo : Stanley Troutman)

De retour au pays, vous rencontrez le président Truman.

C’était en 1948. Je rentre au Pentagone et me retrouve dans le bureau du chef d’état-major de l’armée de l’air, Cari Spaatz. Sont également présents le général Doolittle ainsi qu’un colonel du nom de Dave Shillen. Spaatz nous dit :

« Messieurs, le président vient juste de me confier qu’il souhaitait nous voir dans son bureau sur-le-champ. »

En chemin, Doolittle et Spaatz discutaient entre eux. Pour ma part, je n’avais pas grand-chose à dire. À la sortie de notre voiture, on nous a rapidement escortés jusqu’au Bureau ovale. Un Noir qui travaillait pour Truman nous expliqua comment nous présenter. Le général Spaatz se tenait à droite en face du bureau, puis Doolittle, et enfin Shillen. D’un point de vue militaire, cet ordre respectait la hiérarchie : Spaatz était l’officier supérieur, et Dootlittle devait se placer à sa gauche.

L’homme me plaça alors sur la chaise qui était à côté du bureau du président. On nous offrit une tasse de café que nous avions presque terminée lorsque Truman entra dans la pièce. Tout le monde se leva. Il nous demanda de nous rasseoir, un large sourire illuminant son visage, et dit :

« Général Spaatz, je tiens à vous féliciter pour votre nomination au poste de premier commandant de la nouvelle armée de l’air. »

Spaatz le remercia et déclara que c’était un grand honneur pour lui d’assumer cette tâche. Puis le président s’adressa à Doolittle et le complimenta pour la réussite du raid qu’il avait effectué sur le Japon. Ce fut ensuite au tour de Dave Shillen de recevoir ses félicitations, pour avoir été l’un des premiers à saisir l’importance du ravitaillement en vol.

Puis le président me dévisagea sans mot dire pendant une dizaine de secondes. Lorsqu’il se remit à parler, ce fut pour me demander si j’avais une idée de ce pourquoi j’étais là. Je lui répondis :

« Monsieur le président, je crois que j’ai obéi aux ordres. »

Il frappa son bureau de la main et dit :

« C’est exactement ce que vous avez fait, et l’homme qui vous a envoyé au casse-pipe, c’est moi. Si qui que ce soit vous blâme pour ce que vous avez fait, demandez-leur de s’adresser à moi. »

Pour Le Monde, la première bombe atomique est une « révolution scientifique » (7 août 1945)

Est-ce que vous n’avez jamais reçu des critiques ?

Non, ce n’est jamais arrivé.

Avez-vous jamais regretté d’avoir largué cette bombe ?

Regretté ? Non. Écoutez, Studs. Pour commencer, je suis rentré dans l’armée de l’air pour défendre les États-Unis du mieux que je le pouvais. C’est ce en quoi je crois et ce pourquoi je me suis entraîné. Ensuite, j’étais un pilote très expérimenté… Certaines des missions que j’avais effectuées ne demandaient pas vraiment d’implication personnelle, mais lorsqu’il s’agit de mettre sur pied le largage d’une bombe atomique, cela exige d’y avoir réfléchi et d’être en accord avec ce que cela implique.

Au cours du vol jusqu’à notre objectif, je réfléchissais aux erreurs que j’aurais pu avoir commises. Peut-être étais-je trop sûr de moi. J’avais 29 ans, et j’étais plein d’assurance. Je pensais qu’il n’y avait rien que je ne puisse faire. Et bien sûr ça s’appliquait aux avions comme aux hommes. Je n’avais donc pas le moindre état d’âme en ce qui concernait cette mission. Je savais que nous avions fait le bon choix. Lorsque j’ai su ce que nous allions faire, je me suis dit que nous allions tuer beaucoup de gens, oui, mais que, grâce à Dieu, nous allions également en sauver énormément, et que l’invasion ne serait plus nécessaire.

Pourquoi ont-ils largué une seconde bombe sur Nagasaki ?

Ce que personne ne savait à part moi, c’est qu’il y avait une troisième bombe. En fait, les Japonais n’ont pas réagi avant deux ou trois jours au lancement de la première bombe, idem avec la seconde. J’ai alors reçu un coup de fil du général Curtis LeMay [14], et il me demande si j’ai encore un de ces petit joujous sous la main. Je lui réponds que oui. Il me demande où il se trouve. « Dans l’Utah », lui dis-je. « Allez me le chercher, m’ordonne-t-il. Votre équipage et vous allez me le larguer. » J’acquiesce et donne des instructions pour que la bombe soit chargée dans un avion, afin que nous puissions aller la chercher et la ramener à Tinian. Mais la guerre s’est terminée entre-temps.

Quels étaient les plans du général LeMay avec cette troisième bombe ?

Personne ne sait.

Une question importante : depuis le 11 septembre, comment voyez-vous la situation ? Des gens parlent de nucléaire, de la bombe à hydrogène…

Pour dire la vérité, je n’en sais pas plus à propos de ces terroristes que vous. Je ne sais rien. Lorsqu’ils ont bombardé le World Trade Center, je n’arrivais pas y croire. Au cours de notre histoire, nous avons combattu beaucoup d’ennemis. Mais nous savions qui ils étaient et où ils se trouvaient. Avec ces gens-là, nous ne savons rien de tout cela. C’est ce qui m’inquiète. Car ils vont frapper de nouveau, je suis prêt à le parier, et ça va être une belle catastrophe. Ils vont faire ça selon leurs propres règles du jeu. Nous devons pouvoir être en mesure d’éliminer ces salopards. Les traîner devant un tribunal, c’est de la foutaise, je n’y crois pas une seule seconde.

Et à propos de la bombe nucléaire ? Einstein a déclaré que le monde avait changé depuis la découverte de la fission de l’atome…

C’est vrai. Le monde a changé.

Oppenheimer savait que cela serait le cas.

Oppenheimer est mort. Il a accompli quelque chose pour le monde, et les gens ne le comprennent pas. Le monde est pourtant libre grâce à lui.

Une dernière question : lorsque vous entendez tout le monde dire qu’il faudrait lancer une bombe nucléaire sur ces gens, comment réagissez-vous ?

Oh, si j’en avais le pouvoir, je n’hésiterais pas une seconde. Je les rayerais de la carte. Cela coûterait la vie à des innocents, mais nous n’avons jamais mené une guerre, où que ce soit dans le monde, sans que nos ennemis ne s’en prennent eux aussi à des innocents. Si seulement les journaux pouvaient couvrir ce genre d’événements autrement qu’en faisant état du trop grand nombre de civils que nous sacrifions. Ces gens-là sont juste au mauvais endroit, au mauvais moment.

Au fait, j’ai oublié de dire qu’Enola Gay s’appelait initialement numéro 82. Comment votre mère a-t-elle réagi en voyant son nom inscrit dessus ?

Eh bien, je peux seulement vous raconter ce que mon père m’en a dit. Ma mère n’était pas du genre à laisser transparaître ses émotions, qu’il s’agisse de quelque chose de sérieux ou de léger mais, lorsqu’on la faisait rire, son ventre se mettait à trémousser. Mon père m’a raconté que, lorsque le téléphone a sonné chez eux à Miami, ma mère était tout d’abord restée très calme. Et puis, lorsque la nouvelle a été annoncée à la radio, son ventre s’est mis à faire une de ces gigues.

Entretien publié le 6 août 2002 dans The Guardian et traduit de l’anglais par la revue Plus que des mots n°11, été 2014.

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    C’est pas tout le monde qui sait parler à tout le monde.

    Parler à quelques-uns, entre soi, entre convaincus, c’est courant, entre ceux du même parti et du même monde. Mais c’est autre chose que de parler à tout le monde, aux mômes qui se marrent, à la mère qui conduit l’auto, au maçon qui a mis la radio, au grand philosophe qui se gare et aux peuples coloniaux qui sont en train de couper les ponts avec les grands ciseaux de l’histoire. Et ça, ça ne plait pas à tout le monde.

    C’est en 1952 que Jacques Prévert et André François envoient cette lettre. Le combat anticolonialiste se développe partout et la répression n’est pas tendre. La France massacre à Madagascar et va cogner en Indochine. La majorité approuve le pouvoir. À l’époque, sous ses airs poétiques et bon enfant, cette histoire est un grinçant pamphlet anticolonialiste. Les indépendances arriveront plus tard avec cette interminable traînée de sang.

    Aujourd’hui tout va bien, Donald Trump va coloniser le Groenland et Elon Musk la planète Mars.

    Nous, il nous reste les îles Baladar.

  • The witch Le Pen is dead ! Un reportage pour donner des idées à la jeunesse (PODCAST) J’irai danser sur ta tombe ! Ding, dong, the witch Le Pen is dead ! Accès libre

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    Le matin on est Charlie. La main sur le cœur, on défend la liberté d’expression et le droit au blasphème. Le soir, on envoie les flics contre des manifestants qui fêtent joyeusement la mort d’un antisémite, tortionnaire et raciste qui a ramené l’extrême droite au premier rang en France. Bien souvent, dans l’histoire, la mort du tyran déclenche la liesse populaire. On dit que dans l’heure qui a suivi la mort de Franco le 20 novembre 1975, on avait déjà bu tout le champagne de Barcelone. À Santiago du Chili, on se souvient des énormes feux de joie pour la mort de Pinochet en décembre 2006.

  • Laurence De Cock reçoit les professeurs et un ancien élève de l’école Vitruve (Paris XXe) « Entreprendre pour apprendre » : quand une école publique expérimente la pédagogie par projets depuis plus de soixante ans Abonnés

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    Voilà plus de soixante ans que l’école dite « Vitruve » fait figure d’exception. « Dite » Vitruve, car cela fait déjà trente ans que l’école a déménagé non loin de la place de la Réunion, passage Josseaume, même si tout le monde continue de l’appeler par son ancien nom, « école Vitruve ». L’exception, c’est que Vitruve est l’une des très rares écoles primaires publiques à s’autoriser une pédagogie différente, fondée sur l’organisation de projets et la responsabilisation des élèves. Alors à quoi ressemble le quotidien à l’école Vitruve ? Quels sont les principes de la pédagogie mise en œuvre à Vitruve ? Comment ce qui n’était en 1962 qu’un « groupe expérimental » initié par un inspecteur de l’éducation nationale pour lutter contre l’échec scolaire a-t-il pu se perpétuer jusqu’à maintenant ? Laurence De Cock reçoit Anna et Fabien, deux professeurs à l’école Vitruve, et Léo, ancien élève.

  • Chants de bataille #37 : « Porcherie » LA JEUNESSE EMMERDE LE FRONT NATIONAL ! Abonnés

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    « La jeunesse emmerde le Front national, la jeunesse emmerde le Front national ! » Comment un appendice à une chanson de 1985, qui ne figurait même pas dans les paroles originales, est-il devenu un slogan antifasciste pour plusieurs générations, jusqu’à être entonné dans les rassemblements contre l’extrême droite en ce mois de juin 2024 ? Pour ce 37e numéro de ses « Chants de bataille », Olivier Besancenot revient sur la chanson des Bérurier noir : « Porcherie ».

  • Chaque mardi, Olivier Besancenot raconte les chansons de notre histoire Mac-Nab : « Le grand métingue du Métropolitain » Abonnés

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    Existerait-il des « faux » chants de bataille ? Des chansons qu’une écoute distraite attribuerait trop rapidement au mouvement ouvrier et aux luttes sociales alors qu’elles en sont en fait une caricature et une satire ? C’est peut-être le cas justement avec cette chanson notamment reprise par Marc Ogeret, Raoul de Godewarsvelde ou encore Pierre Perret. Qu’avait en tête Maurice Mac-Nab quand il écrit en 1887 les paroles du Grand métingue du métropolitain ? Olivier Besancenot a enquêté.

  • Daniel Mermet reçoit Laurence De Cock pour son livre « Histoire de France populaire » Histoire de France populaire Abonnés

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    De la Gaule à de Gaulle, l’histoire de France est un scoubidou. Des fils de différentes couleurs tressés les uns avec les autres. Des couleurs qui ne veulent surtout pas se mélanger et d’autres qui s’accordent volontiers. Des fils qui aiment se nouer et d’autres qui sont des cordes en quête de pendus. Quel sens peut bien avoir cet interminable nœud ? Les puissants en ont fait de l’eau pour leur moulin avec des racines chrétiennes, des monarques exorbitants, des victoires sans pareil et des grandeurs éternelles. Autant de « valeurs » véhiculées par la puissante diffusion de la vulgarisation de l’histoire jusqu’au moindre interstice.

  • Là-bas 2024 : douze mois, douze articles « Indépendance cha cha » : l’hymne de l’indépendance du Congo Abonnés

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    Parmi l’histoire mondiale de toutes les exploitations, celle du Congo et des Congolais par le roi des Belges est sans doute l’une des plus effroyables et des plus exemplaires. Exemplaire jusques et y compris l’« indépendance » du pays, officiellement décrétée le 30 juin 1960.

    Non contente de faire croire que l’indépendance du Congo fut l’aboutissement de la politique coloniale belge et une largesse généreusement accordée par le roi, la Belgique fit assassiner, avec l’appui de la CIA, son premier Premier ministre, Patrice Lumumba. Ses torts ? Avoir sollicité le soutien de l’URSS face aux impérialismes belge et états-unien, et s’être farouchement opposé à la mainmise de l’ancienne puissance coloniale sur la riche province minière du Katanga. La légende raconte que c’est Patrice Lumumba lui-même qui invita le chanteur Grand Kallé à venir jouer pour célébrer l’indépendance du pays. Il interpréta avec son groupe African Jazz ce qui devait devenir un tube pour les 65 années à venir : Indépendance Cha Cha.

  • Tous les mois, Là-bas offre plusieurs films gratos à ses chères abonnées et ses chers abonnés ! Le ciné Là-bas de janvier : chaque mois des beaux films pour nos abonnés adorés Abonnés

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    Fondateur avec Henri Langlois de la Cinémathèque française en 1936, George Franju fut le créateur, avec Les Yeux sans visage, d’un des mythes les plus fertiles de l’histoire du cinéma. Au-delà de ce classique, Franju ne cessa de mettre en scène la lutte des puissances anarchistes du rêve et de la nuit avec celles, aliénantes, du pouvoir.

    Le visage ciselé, idéal mais artificiel de Christiane recouvre un cauchemar : une face mutilée et crevassée de cicatrices noires. Ce masque de Colombine rêveuse est la prison des fantasmes de son père, mandarin gonflé de son pouvoir. Génessier a fait du visage de Christiane son chef-d’œuvre inconnu, sans cesse recommencé à partir de la peau qu’il arrache à d’autres jeunes filles. Le miroir obscur menant aux Yeux sans visage, Franju l’a d’abord traversé dans le documentaire. Dans le court métrage Poussières, la délicatesse et la blancheur de la porcelaine dissimulent les poumons cancéreux des ouvriers du kaolin. La belle visiteuse blonde du musée d’Hôtel des Invalides, qui se recoiffe dans un périscope, a quant à elle pour reflet les gueules cassées de 14. L’envers de la beauté, de la paix ou du confort est la maladie, la défiguration et le pouvoir qui s’exerce sur un peuple réduit à ce que Franju nommait les « métiers d’épouvante ». Ceux-ci se pratiquent sous la surface de la terre, les mines, le métro, ou dans les abattoirs des faubourgs, monde « noble et ignoble » (Cocteau, sur Le Sang des bêtes, 1949) dont le décor devient cet assemblage de peau, de viande fumante et d’os. Là réside l’épouvante pour Franju, dans un fantastique débarrassé de tout folklore mais qui touche à des angoisses profondes, et en premier lieu les siennes. Il déclarait souvent avoir tourné Le Sang des bêtes alors qu’il adorait les animaux, La Tête contre les murs alors que rien ne l’effrayait plus qu’être « contaminé par les fous », et Les Yeux sans visage alors que les lames le terrorisaient.

Une sélection :

La lettre hebdo de Daniel Mermet La résistance d’un prof israélien accusé de trahison Accès libreLire

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On tue Nasrallah, on oublie Gaza, on danse à Tel Aviv, Nétanyahou exulte, BHL est de retour. Joe Biden pleure les enfants morts et fait l’indigné tout en livrant ses bombes à Bibi. Bonne nouvelle aussi pour le RN et Marine Le Pen, ses amis d’extrême droite remportent les législatives en Autriche. Le FPÖ (Parti de la liberté d’Autriche ) – qui soutient Israël – est un parti franchement nazi. Son leader Herbert Kickl veut devenir le VOLKSKANZLER, le « chancelier du peuple », titre emprunté à un autre autrichien, Adolf Hitler.

Hommage à Catherine Ribeiro (1941-2024) Catherine Ribeiro en concert aux Bouffes du Nord Accès libreVoir

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En 1995, la chanteuse Catherine Ribeiro créait au théâtre des Bouffes du Nord le spectacle « Vivre libre ». Elle y chantait ses propres chansons mais aussi celles d’Aragon, de Barbara, Brel, Ferrat, Ferré, Lluís Llach, Colette Magny, Gérard Manset, Danielle Messia, Anne Sylvestre et même, si vous allez jusqu’à la fin, une surprise à réécouter alors que nous célébrons le 80e anniversaire de la libération de Paris. En hommage, nous vous proposons de découvrir ce concert :

L’historien Gérard Noiriel publie PRÉFÉRENCE NATIONALE (Gallimard,3.90Euros) (Vidéo et podcast | durée : 51’23) Préférence nationale : cette vieille recette facho, un sujet urgent AbonnésVoir

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« Il y a toujours un groupe qui symbolise le rejet en fonction de la conjoncture du moment », dit l’historien Gérard Noiriel. Il est urgent de démonter le système de cet apartheid dont les électeurs du RN sont souvent eux-mêmes les premières victimes.