Il y a 80 ans, libération de Paris, libération des ondes

Paris libéré par lui-même

Le

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Voilà le bel Alain dans le rôle d’un jeune cadre de la Résistance, un certain Jacques Chaban-Delmas, dans Paris brûle-t-il ?, sorti en 1966 et qui raconte la libération de Paris en août 1944, il y a 80 ans.

Après quatre ans d’occupation, d’humiliations et de souffrances, Paris allait se libérer en quelques journées héroïques, mille fois racontées, mille fois oubliées.

Chaque anniversaire tâche de souffler sur les braises et on rejoue la belle chanson du film :

« Que l’on touche à la liberté
Et Paris se met en colère
Et Paris commence à gronder
Et le lendemain, c’est la guerre

Paris se réveille
Et il ouvre ses prisons
Paris a la fièvre
Il la soigne à sa façon

Il faut voir les pavés sauter
Quand Paris se met en colère
Faut les voir, ces fusils rouillés
Qui clignent de l’œil aux fenêtres

Sur les barricades
Qui jaillissent dans les rues
Chacun sa grenade
Son couteau ou ses mains nues

La vie, la mort ne comptent plus
On a gagné, on a perdu
Mais on pourra se présenter là-haut
Une fleur au chapeau

On veut être libre
À n’importe quel prix
On veut vivre, vivre, vivre
Vivre libre à Paris »

Une chanson qui va sur ses soixante ans mais qui est sans doute à l’origine de ce slogan actuel dans les manifs : « PARIS, DEBOUT, SOULÈVE-TOI ! »

Mais la libération de Paris, c’est aussi la libération des ondes. Des journalistes, des poètes, des résistants ont alors donné naissance à la radio nationale qui deviendra Radio France. Que reste-t-il de ce génial esprit de résistance dans ce que la maison ronde envoie aujourd’hui aux oreilles du monde ?

Il faut revenir à ces journées du mois d’août 1944 qui ont précédé la libération de Paris. Au bout de cinquante mois de honte et d’humiliation, quartier par quartier, Paris va se libérer « par lui-même ».

Derrière les volets, les cris de joie attendent encore dans les poitrines. On tire, on tue, on fusille, on prend la pose aussi, on retourne sa veste, on meurt vraiment, on arrache les écriteaux en allemand, les drapeaux vont jaillir.

Ceux qui condamnent toujours toute forme de lutte armée oublient ce qu’ils doivent aux anonymes de cette guérilla populaire, à commencer par l’honneur. On connaît les images, le gamin sur la barricade, la jeune femme à la mitraillette, les francs-tireurs dans la Citroën rue de Rivoli, le G.I. au sourire Hollywood, la balle qui traverse le crâne du milicien fuyant par les toits, l’Allemand et sa dernière cigarette, le lynchage d’une blonde de bordel et les faux résistants de la vingt-cinquième heure qui seront les plus zélés des épurateurs. Et qui s’en sortiront.

Comme la presse, la radio s’est vautrée pendant quatre ans dans la collaboration. À cette époque, la radio est le média le plus puissant au monde. En France, dans les quinze années qui ont précédé la guerre, plus de six millions de poste de TSF ont été vendus, plus de la moitié du pays peut écouter la radio. Les marchands de réclame se sont vite emparés des ondes, les politiciens aussi. Pour Goebbels, la radio est aussi efficace que les chars. C’est la guerre des ondes mais finalement, cet été 1944, la TSF sera de la Libération.

À la fin des années 1930, on compte une trentaine de stations, moitié publiques, moitié privées. Le Poste parisien passe sous contrôle de l’occupant et devient Radio-Paris, la radio de la collaboration qui va employer jusqu’à 1 000 salariés. Radio-Paris ment, Radio-Paris ment…

En août 1944, la libération de Paris est en marche.

Le 17 août 1944, Radio-Paris cesse d’émettre. Au 116 avenue des Champs-Élysées, les bien nommés collaborateurs quittent fiévreusement le navire en mettant le feu aux archives. Il leur reste peu de temps pour passer dans la résistance…

Pendant ce temps, au 37 de la rue de l’Université, ils sont quelques-uns qui attendent depuis longtemps cet instant-là. Quelques jeunes résistants planqués dans un studio de radio. C’est le Studio d’essai de la radio nationale de Vichy. Oui, de Vichy ! Destiné en principe aux idées de la France du Maréchal, il sera un lieu secret de la Résistance.

Entre les deux guerres, le développement fulgurant de la TSF a entraîné toutes sortes de débats et de projets. Le pouvoir politique comme le monde marchand exploitent ce puissant moyen de propagande. Mais pas seulement. Intellos, poètes, militants, ingénieurs, bricoleurs se passionnent pour ces ondes immatérielles.

Ainsi naîtra ce Studio d’essai où va donc se constituer clandestinement un groupe de résistance en 1943, à l’initiative de Jean Guignebert, le Comité de libération de la radio, dont fait partie un certain Pierre Schaeffer, en liaison avec la Résistance intérieure. Dans le ventre même de l’ennemi, ils résistent. Leur but est d’assurer la relève le moment venu.

Le 18 août, profitant de la débandade, ils ont pris possession des locaux et ils ont tout mis au point, micros, antenne, matériel. L’ennemi est encore là autour, dans la rue, sous les fenêtres, des tirs résonnent, des chars au loin, des sirènes.

Le samedi 19 août, tout le monde est en place, techniquement tout est prêt.

Le dimanche 20 août sera le grand jour. Grâce à un émetteur clandestin mis en place par le réseau de résistance des PTT, ils vont diffuser pour la première fois.

À 22h10, Jean Guignebert, « secrétaire général provisoire à l’information », donne l’ordre de commencer.

À 22h30, alors que les Allemands sont encore dans toutes les rues de Paris, la France libre reprend la parole sur les ondes.

Voici La Marseillaise, la première entendue à la radio depuis l’armistice de 1940, quatre ans.

Une voix annonce : « ICI… LA RADIODIFFUSION DE LA NATION FRANÇAISE. »

Ce sera ce soir-là la seule phrase prononcée à la fin de cette Marseillaise.

Il est 22 h 31, ce 20 août 1944, c’est l’heure exacte de la naissance de ce qui deviendra Radio France, le 20 août 1944, un dimanche.

La voix, c’est celle Pierre Crénesse, journaliste et reporter de radio. La Radiodiffusion de la nation française, la RNF, deviendra la RDF, puis la RTF, puis l’ORTF, puis Radio France. Radio France est donc issue tout droit de la Résistance, voilà son ADN, voilà son souffle initial basé sur le programme du Conseil national de la Résistance qui imposait « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères ».

De quelles influences étrangères parlent le CNR ? Celle de l’occupant nazi en déroute ? Celle de l’URSS ? Ou bien plutôt celle du sauveur américain ?

Curieusement, l’histoire n’a pas souligné le plan AMGOT (Allied Military Government of Occupied Territories), heureusement écarté le 28 août 1944, mais qui avait pour but de faire de la France un pays occupé par l’administration américaine. Ce qui est arrivé à l’Allemagne risquait fort d’arriver à la France.

Pour ce qui est de l’indépendance de la radio publique à l’égard de l’État, l’histoire montrera que le cordon ombilical n’a jamais été vraiment tranché. En revanche, même si le pouvoir exécutif a toujours gardé le contrôle du budget, l’indépendance à l’égard des puissances d’argent a tenu jusque-là, mais pour combien de temps encore ?

Après la suppression de la redevance, c’est l’extrême droite qui veut privatiser l’audiovisuel public. C’est le projet de Marine Le Pen depuis 2017, vendre l’audiovisuel public rapporterait des milliards selon le RN. Voilà de beaux cadeaux en perspective pour Bolloré et ses semblables.

Il faut vite s’inspirer de l’esprit de résistance des pionniers de 1944 pour combattre les héritiers de Radio Paris !

Mais la Radiodiffusion de la nation française a mis au point des formes radiophoniques, à commencer par le reportage qui est ce que la radio peut apporter de plus vivant. Dans ces journées de combats et de liesse, ils étaient partout dans la foule et ils nous laissent des documents bouleversants. Le 21 août 1944, en direct de la place de la République, au milieu des tirs et des barricades, il faut se mettre à l’abri pour faire entendre la voix de Georges Bidault parlant au nom du Conseil national de la Résistance, entrecoupé par des rafales toutes proches. D’emblée, cette radio est dans la vie, dans le battement de l’histoire, avant les discours et les commentaires, elle dit l’inouï, ce qui n’a pas encore été entendu. Mais comment savoir si l’on est entendu ? Qui nous écoute ? L’équipe imagine un stratagème. Au micro, le speaker annonce que « par ordre du Gouvernement provisoire de la République, Messieurs les curés sont requis de faire sonner les cloches de leurs églises pour annoncer l’entrée des troupes françaises et alliées dans Paris ».

Et aussitôt, en effet, les cloches se mettent à sonner. Au loin d’abord, puis plus proche, puis dans tout le ciel de Paris jusqu’au bourdon de Notre-Dame de Paris.

Au micro, la voix inquiète et joyeuse résume en une seule phrase ce qui est notre génial et modeste métier : « il faut approcher le micro de la fenêtre ! »

Daniel Mermet

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