La lettre hebdo de Daniel Mermet

Ni droite ni gauche !

Le

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« Ni droite ni gauche, ça veut dire ni gauche, ni gauche ».
Martine Aubry

Un journaliste c’est objectif, ça ne prend pas parti, c’est ni de droite ni de gauche, c’est contre les extrêmes. Telle est notre mission sacrée à nous autres journalistes. Les extrêmes c’est comme un fer à cheval. Extrême droite et extrême gauche se ressemblent et se rejoignent. Il faut les renvoyer dos à dos pour éviter le face à face. À longueur de journée on vous le répète, c’est pareil.

Vraiment ?

Mais comment cette équivalence s’est-elle imposée entre le RN, héritier du Front National, et la gauche, dans sa version France Insoumise ou Nouveau Front Populaire ? Comment un parti cofondé par des malfrats d’extrême-droite (dont un waffen SS !) et dirigé par un antisémite avéré et négateur des chambres à gaz, condamné à six reprises, a pu être assimilé à une gauche qui n’a plus le moindre couteau entre les dents, pas le plus petit canif, voire plus de dent du tout ?

Un RN dont la clé de voûte principale est « la priorité nationale » qui vise à rétablir « le droit du sang », aboli depuis des siècles. Un parti qui ne peut pas cacher son racisme obsessionnel et dont le philosémitisme est le paravent de sa haine acharnée contre les arabes et les musulmans.

Pour les législatives du 7 juillet dernier, on a vu comment les investitures contredisent la « normalisation » du RN. Au moins une centaine de profils assez problématiques : antisémites, nostalgiques de Vichy, nombreux candidats liés à la Russie, climatosceptiques, militants anti IVG, identitaires, racistes divers, etc...

Voit-on quelque chose de comparable du côté gauche de l’extrémisme ?
L’antisémitisme de Mélenchon ? Vous êtes sûrs ?
Alors dans ce cas il faut porter plainte, car c’est un grave délit. Sinon il faudrait envisager qu’il s’agit-là, encore une fois, d’une instrumentalisation de l’antisémitisme à des fins politiques. Et le délit n’est pas moins ignoble.

En attendant remettons la balle au centre.
Le centre c’est l’équilibre, c’est la sagesse, c’est la pondération en toutes choses. Et répétons le, c’est l’objectivité. Qu’est-ce que l’objectivité pour le journaliste, direz-vous ?

Voilà un exemple d’objectivité suggéré par un certain Godard Luc. Quelque chose que vous auriez pu écouter sur votre Volksempfänger, c’est à dire votre récepteur de radio, identique aux 16 millions que Goebbels fit fabriquer dans les années 30 afin que la propagande vous atteigne bien efficacement. À noter que durant la guerre en Allemagne, tenter d’écouter une radio étrangère était passible de la peine capitale.

Voici donc :

« Bonsoir chères auditrices et chers auditeurs, nous sommes ce soir en direct depuis Auschwitz-Birkenau pour notre émission « Les Juifs et le Reich » et je remercie tout nos participants. Chacun de deux groupes opposés ce soir aura un temps de parole égale, c’est-à-dire cinq minutes chacun, afin que nos auditrices et nos auditeurs puissent se faire leur opinion sur cette situation particulière en tout objectivité ».

Bien sûr, un journaliste doit rester objectif, mais peut-il risquer de compromettre l’avenir du média qui l’emploie et l’avenir de ses collègues dans le cas où, à terme, un repreneur rachèterait ce média ? Imaginons : un grand média de service public qui serait privatisé et racheté par un genre de Bolloré. L’objectivité c’est constater que c’est le vent qui fait tourner la girouette. Il faut savoir s’adapter et il vaut mieux ne pas hypothéquer l’avenir. Car qui résistera ? Objectivement ?

Déjà le patronat, avec beaucoup de réalisme et de responsabilité, a basculé du côté RN. Mais il n’est pas le seul dans ce sens la. Voyez la « Loi immigration » adoptée le 19 décembre dernier et voulue par l’exécutif (c’est-à-dire par monsieur Macron), loi qui consacre la préférence nationale et qui est une véritable rupture politique en direction de l’extrême droite.

Déjà le 5 février dernier le député RN Jean Philippe Tanguy remerciait chaleureusement le Premier ministre Gabriel Attal : « Monsieur Attal, avec vous à Matignon, nos victoires idéologiques s’accélèrent. Ce ne sont plus seulement nos constats et nos diagnostics qui s’imposent à vous mais désormais nos valeurs et nos solutions ».

Concernant la vertueuse neutralité de l’extrême centre, l’historien de la Révolution française Pierre Serna est clair : « La vie politique française n’est pas bloquée par une lutte handicapante entre droite et gauche, mais par un poison : celui d’un extrême centre, flexible, prétendu modéré mais implacable, qui vide de sa substance démocratique la République en la faisant irrémédiablement basculer vers la république autoritaire ».

Mais c’est à Bertolt Brecht qu’il faut laisser la parole pour finir :
« Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais le prolongement de la démocratie en période de crise ».

Il n’y a pas trois blocs qui s’affrontent aujourd’hui en France, il n’y en a que deux. Et une barricade n’a que deux côtés.

À chacun de choisir son camp.

En toute objectivité.

Daniel Mermet

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