Entretien avec Monique Pinçon-Charlot, version texte

Monique Pinçon-Charlot : « mais où est passé le monde de demain ? » Abonnés

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(photos : Jonathan Duong/LÀ-BAS SI J’Y SUIS)

C’est reparti pour un tour. Le « monde d’après », c’est pas pour tout de suite tout de suite. Depuis quelques jours, la France (comme d’autres) fait face à une nouvelle « confinerie ».

Pour Monique Pinçon-Charlot, sociologue, ancienne directrice de recherche au CNRS et amie de Là-bas de longue date, « on est entrés là dans une phase de violence terrible, mais qui est toujours ouatée, toujours minimisée, parce qu’il ne faut surtout pas que les gens comprennent la réalité de ce qui va advenir ». Alors comment faire face ? Comment hurler avec un masque ? Avant tout, analyser les échecs passés et avoir le « courage de sortir du confort moelleux et de la bonne conscience de ce marché de la contestation sociale ». Voici la version écrite de cet entretien du 6 octobre dernier à lire à oreille reposée.

Daniel Mermet — Monique, salut ! Ce Covid est vraiment une aubaine formidable pour nos adversaires !

Monique Pinçon-Charlot — L’aubaine, ils la pressurent. Ils l’utilisent. Ils l’instrumentalisent. Ils iront jusqu’au bout du bout !

Daniel Mermet — Nous avons fait un entretien ensemble fin mars où tu étais très radicale – « il faut penser un monde nouveau » – et tu espérais qu’on allait vers une bifurcation. Quelques mois plus tard, quel bilan fais-tu, dans quel état d’esprit te trouves-tu ?

Monique Pinçon-Charlot — Je dirais que c’est le livre noir du capitalisme qui continue à s’écrire. Toujours plus noir. Toujours plus sombre. Toujours plus violent. De sorte qu’il n’y a pas non plus vraiment de surprise.

Dans cet entretien, il me semble qu’on avait parlé du livre de Naomi Klein, La Stratégie du choc. Montée d’un capitalisme du désastre, pour aller toujours plus loin. Là on n’est pas déçus, c’est exactement ce qui se passe. Au fond, si on a été nombreux à se laisser prendre à ce « monde d’après », à tout d’un coup se dire : « ça y est, les gens vont comprendre la gravité de la situation et tout le monde va se secouer et il va y avoir une énergie positive pour construire un monde nouveau », c’est parce qu’on est un peu dans le déni.

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  • Le président des ultra-riches. Chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel Macron

    Cette « chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel Macron » est un délice concocté par les Pinçon&Charlot, infatigables sociologues de la grande bourgeoisie. Non pas qu’ils relèvent des données fracassantes – ils ne sont pas avares de leurs découvertes - mais parce qu’ils en font l’analyse et la synthèse. Ces infos mises bout à bout dressent un portrait glaçant de l’oligarchie du pouvoir en France, du mépris social dont témoigne le président des ultra-riches pour « ceux qui ne sont rien », des faveurs qu’accorde ce même président pour la caste des privilégiés qui coûtent « un pognon de dingue ». Ce livre est une chronique édifiante d’une guerre de classe menée dans le cœur de ce qui s’apparente à une monarchie présidentielle. On le sait, mais cela fait du bien de l’entendre encore et encore. Pour ne pas s’habituer. Pour ne pas supporter l’insupportable.

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La sociologue publie « Les riches contre la planète. Violence oligarchique et chaos climatique ». Entretien Monique Pinçon-Charlot : « Dans tous les domaines de l’activité économique et sociale, les capitalistes ont toujours, toujours, toujours des longueurs d’avance sur nous » AbonnésVoir

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La sociologue Monique Pinçon-Charlot, qui a longtemps analysé avec son mari Michel Pinçon les mécanismes de la domination oligarchique, publie un nouveau livre sur le chaos climatique et elle n’y va pas avec le dos de la cuiller en bambou. Entretien.

Les riches détruisent la planète, comme l’écrivait le journaliste Hervé Kempf. On le sait. Ils le savent. Ils le savent même depuis bien longtemps ! Le nouveau livre de Monique Pinçon-Charlot risque de ne pas plaire à tout le monde. Dans Les riches contre la planète, elle raconte comment une poignée de milliardaires est en train d’accumuler des profits pharaoniques en détruisant la nature, les animaux, les êtres humains et finalement toute la planète, menacée par les émissions de gaz à effet de serre.

Mais surtout, la sociologue analyse comment l’oligarchie, qui a toujours eu une longueur d’avance, organise, encadre et finance sa propre critique et ses contestataires. Histoire que l’écologie ne soit pas un frein au business, mais au contraire l’opportunité de développer de nouveaux marchés selon une « stratégie du choc » décrite par la canadienne Naomi Klein. Le capitalisme fossile est mort ? Vive le capitalisme vert !

Alors que faire ? Arrêter de parler d’« anthropocène », ce n’est pas l’humanité tout entière qui est responsable du dérèglement climatique, mais de « capitalocène », la prédation du vivant étant consciemment exercée par quelques capitalistes des pays les plus riches. Ensuite comprendre ce que masquent les expressions « transition écologique  », « neutralité carbone » ou encore « développement durable » forgées par le capitalisme vert. Et surtout lire d’urgence le livre de Monique Pinçon-Charlot pour prendre conscience que les mécanismes de la domination oligarchique s’immiscent partout, y compris là où on ne les attendait pas…

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« Par milliers, les Algériennes et les Algériens furent humiliés, spoliés, déplacés, enfumés, massacrés, décapités... » Il faut connaître cette époque pour comprendre la suite de la colonisation et son dénouement tragique. Dénouement que certains n’acceptent pas et qui le ravivent comme une amputation. Pourtant recherches, témoignages et reportages au cours des dernières années semblaient avoir apporté les moyens d’un apaisement des mémoires. Mais une extrême droite revancharde et négationiste, dotée de forts moyens médiatiques, gagne du terrain. Face à la concurrence des rentes mémorielles, il est donc nécessaire de mieux connaître cette sombre sanglante histoire. Aussi ROSA MOUSSAOUI interroge ALAIN RUSCIO, un des meilleurs historiens du fait colonial qui publie une somme passionnante à La Découverte.

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