Elle est née il y a cinq minutes dans ce canot de migrants qui dérive vers les îles Canaries. Elle est vivante, elle est sauvée, sa mère aussi. Les secours sont arrivés quinze minutes après l’accouchement. C’est les secours en mer qui ont diffusé cette photo [1]. Un chef-d’œuvre. Voyez le visage infini de la mère, les mains qui se tendent vers l’enfant nue, les bras qui protègent et toute cette grave grappe humaine… Tout notre monde tient dans cette image. Un infime battement de vie dans une barbarie planétaire.
Ils sont 64 à bord, dont 14 femmes et 4 enfants. Là, ils sont au large de Lanzarote aux Canaries, ils viennent de la côte marocaine à 250 kilomètres, la route la plus meurtrière au monde. 10 457 sont morts ou disparus en 2024 sur les routes migratoires vers l’Espagne, soit 30 morts par jour dont 1 538 enfants [2]. Au total, 46 843 réfugiés ont rejoint les Canaries en 2024.
On ignore le prénom de la fillette mais on peut suggérer Épiphanie puisqu’elle est née le 6 janvier, le jour où les rois mages viennent saluer le divin enfant et partager la galette. Oui c’est vrai, c’est une fille, la mère a le teint moins clair que Marie et elle est sans doute moins vierge. Mais les temps changent. La guerre s’étend, la ville brûle, le ciel noircit, le cinglé le plus riche du monde soutient le retour du nazisme en Allemagne et partout on a mis les morts à table, on prend les loups pour des chiens, tout change de pôle et d’épaule… Mais la résistance résiste. On lâchera pas l’affaire. Épiphanie n’est pas seulement la galette et les rois, c’est la renaissance de la lumière, c’est une conscience soudaine et lumineuse comme cette naissance improbable sur ce rafiot mortel.
Que vive Épiphanie !
La main et l’enfant
La main qui se tend vers l’enfant rappelle l’adoration des mages, une des scènes les plus représentées dans les mondes chrétiens. Regardez la main du roi qui bénit, qui protège ou qui rend hommage à la fois, comme sur la photo, cette main tendue vers l’enfant et la mère dans une barque aussi précaire que l’étable de l’histoire. Certes il n’y a pas autant de cadeaux et les mages sont plus modestes, mais la main tendue est la même pour dire la même grâce et la même bienvenue.

Rembrandt, Adoration des mages, huile sur papier appliquée sur toile, 54,5 × 44,5 cm, 1632

Pierre-Paul Rubens, L’Adoration des mages, 251 × 328 cm, 1617, musée des beaux-arts de Lyon

Pierre-Paul Rubens, L’Adoration des mages, 251 × 328 cm, 1617, musée des beaux-arts de Lyon (détail)

Adoration des mages, musée byzantin et chrétien, Athènes