La guerre morale, c’est la guerre que mène Israël. C’est ce qu’affirme le général Yoav Gallant, l’ex-ministre israélien de la défense qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité par la cour pénale internationale depuis le 21 novembre.
Il n’est pas seul, le premier ministre Benyamin Nétanyahou et le leader du Hamas Mohammed Deif sont également poursuivis, tous les trois portant le même chapeau avec écrit en gros « criminel de guerre ».
La publication de ces mandats d’arrêts est un événement important et encourageant. « Une bombe juridique massive » selon The Times of Israël [1]. Pour la première fois, un pays occidental est mis en cause par cette juridiction.
Pour Nétanyahou bien sûr, c’est un crime antisémite et même une nouvelle affaire Dreyfus et le capitaine Dreyfus, c’est lui. Pour le Hamas, c’est une « étape importante pour la justice ». Pour Yoav Gallant, c’est « un dangereux précédent contre le droit à se défendre soi-même et à mener une guerre morale, et elle encourage le terrorisme meurtrier ».
Guerre morale ?
Dans le flot des articles et des messages, qui a remarqué ce parfait oxymore ?
Guerre morale. C’est la novlangue de George Orwell, c’est Mille neuf cent quatre-vingt-quatre :
« LA GUERRE, C’EST LA PAIX
LA LIBERTÉ, C’EST L’ESCLAVAGE
L’IGNORANCE, C’EST LA FORCE »
Remontons le temps. Le 9 octobre 2023, alors ministre de la défense, Yoav Gallant, d’un ton viril, annonçait la stratégie d’Israël sur Gaza : « j’ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé ». « Nous combattons des animaux et nous agissons en conséquence ».
Phrase de colère ? Menace en l’air ? On connaît la phrase impeccablement colonialiste d’Ehud Barak, Israël est « une villa dans la jungle ». Déshumaniser l’ennemi pour en faire un gibier est une pratique tribale traditionnelle. Dans la jungle on ne tue pas un homme, on tue une bête. Mais ici, dans l’un des pays les plus militarisés au monde, cette déshumanisation est une feuille de route qui a été appliquée à la lettre.
En effet, dans leur mandat d’arrêt contre les deux leaders israéliens, Gallant et Nétanyahou, les juges de la cour pénale internationale considèrent qu’il y a « des motifs raisonnables de croire que ces deux personnes ont, délibérément et en toute connaissance de cause, privé la population civile de Gaza de biens indispensables à sa survie, y compris de nourriture, d’eau, de médicaments et de fournitures médicales, ainsi que de carburant et d’électricité » [2].
Vous avez dit « guerre morale » ?
La cour les suspecte également du « fait d’affamer des civils comme méthode de guerre, constitutif d’un crime de guerre » et de « crimes contre l’humanité de meurtre, persécution et autres actes inhumains ». Les accusations portent aussi sur le « crime de guerre consistant à diriger intentionnellement des attaques contre la population civile ».
Dans les premières semaines qui ont suivi les massacres du 7 octobre 2023, beaucoup considéraient les représailles légitimes au nom des victimes. « Israël a le droit de se défendre ». L’armée la plus morale du monde alertait aimablement la population de Gaza avant les attaques menées contre les terroristes du Hamas, ces lâches dans leurs tunnels maltraitant leurs otages. Oui mais ce n’était pas tout à fait ça. Au bout d’une année de massacres et d’abandon des otages, le rapport de la cour pénale internationale portant sur les six premiers mois montre qu’il s’agit de la destruction planifiée d’un peuple à huis clos, les médias n’étant pas admis. Le but ? Pour les survivants, le transfert, c’est-à-dire une nouvelle Nakba. C’est le but revendiqué par des courants israéliens puissants dont Nétanyahou est entièrement dépendant.
La cour pénale internationale n’est pas seule. Les enquêtes et les alertes se multiplient. En septembre, un comité spécial de l’ONU a rendu un rapport sur « les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés » : selon le rapport, elles « présentent des éléments caractéristiques d’un génocide » [3]. Pour Human Rights Watch, les déplacements forcés à répétition constituent des crimes contre l’humanité.
Précisons que la cour pénale internationale a également émis un mandat d’arrêt contre Mohammed Deif, chef de la branche armée du Hamas, pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre présumés commis sur le territoire de l’État d’Israël et de l’État de Palestine depuis au moins le 7 octobre 2023. Selon Israël, Mohammed Deif aurait été tué lors d’un bombardement aérien en juillet 2024, ce que conteste le Hamas.
Les partisans de l’actuel pouvoir israélien sont indignés qu’un même traitement s’applique à un chef « terroriste » du Hamas autant qu’à des chefs « démocrates » israéliens. Peuvent-ils penser que la réciproque existe ? Des Palestiniens choqués que des chefs du Hamas puissent être mis au même plan que les dirigeant israéliens ?
Si ces trois responsables sont épinglés, ce n’est pas fini, il faut rappeler que la cour pénale internationale a les moyens et la possibilité juridique d’émettre des mandats secrets de façon à protéger les témoins et le sérieux de l’investigation. D’autres enquêtes sont peut-être en cours.
Les membres de la cour pénale internationale font l’objet de toutes les pressions possibles, voire même physiques. Trump et son entourage ont promis de faire taire ces empêcheurs.
Nous voici devant la plus vieille lutte du monde entre le droit de la force et la force du droit.
Mais tout ça ne nous explique pas la guerre morale…