« Quand le peuple ne trouve pas d’issue dans l’espoir révolutionnaire, il trouve une issue dans le désespoir contre-révolutionnaire. »
Voilà ce que disait un certain Léon Trotski. Et c’est ça qui est arrivé à beaucoup par ici : plus d’issue, plus d’horizon, foutu le futur. Inégalité, abandon, peur du déclin, vous connaissez tout ça.
Et le mépris surtout, ah, le mépris !
Et tu sais pourquoi tout ça ? Tu sais d’où ça vient ?
Longtemps la réponse c’était la faute des gros, des salauds de riches, de ces vaches de bourgeois, ce grand méchant capitalisme. C’est simple, c’est clair, t’as plus qu’à lutter « tous ensemble, tous ensemble ». C’est ça l’espoir révolutionnaire. Et parfois ça marche. Pas toujours, parfois ça plante. Tu te retrouves tout seul dans le dernier métro avec ton drapeau et tes poumons pleins de lacrymo. Mais parfois ça fait la sécurité sociale, l’abolition de l’esclavage, le droit à l’avortement, les droits civiques, les congés payés. Et tous nos bijoux de famille. C’est le moment de les ressortir et de les faire briller ces jours-ci. On a besoin de se prouver qu’on a pu. Ces fachos veulent nous faire croire qu’on peut pas. Mais on a pu et on pourra.
Il arrive que le vent tourne et que la réponse change. Pourquoi nos malheurs, tu demandes ?
On te répond : « c’est la faute aux ritals, aux youpins, aux bougnouls. C’est la faute aux assistés, aux drogués, aux bonnes femmes, aux pédés ». Bien sûr, on te le dit pas comme ça. On te la joue faux-cul : « c’est le problème du voile, le communautarisme, la guerre de civilisations, l’islamo-gauchisme ». Mais c’est la même haine, le même bouc émissaire qui porte les mêmes péchés du monde et qu’il faut égorger pour notre salut commun.
Et c’est qui qui répand tout ça ?
Des toutologues, des filousophes, des chargés de com’. C’est aussi des présidents, Chirac-le-bruit-et-l’odeur ou Macron avec son « immigrationisme » et son « changer de sexe en mairie ».
Et attention, on n’est pas raciste, hein.
C’est ça le désespoir contre-révolutionnaire. Pour Hannah Arendt, il y a toujours du désespoir à la base du totalitarisme.
Et à la base du désespoir ?
Il y a quarante ans de politiques néolibérales, de délocalisations, de régions entières vidées de leur vie, de services publics démolis, un vrai « sociocide » et des inégalités qui se creusent de plus en plus. Il y a aussi la résignation, l’indifférence, la désolation impuissante, le Moi-ma-gueule, le PCPE.
Et le mépris surtout, ah le mépris !
Il faut dire qu’il y a aussi de l’eau dans le gaz entre la gauche et le monde ouvrier.
C’est l’affaire Terra Nova qui remonte régulièrement à la surface depuis 2011. Le think tank Terra Nova, lié au Parti socialiste, publie en mai 2011 une note en vue des élections de 2012 : « gauche, quelle majorité électorale pour 2012 ? ».
La recommandation, c’est qu’il faut viser un nouvel électorat urbain, avec des valeurs culturelles progressistes, des jeunes, des femmes, des diplômés et les minorités des quartiers populaires.
Autrement dit, on laisse tomber cette classe ouvrière qui sent le pâté. C’est le divorce entre le bobo et le beauf avec son barbecue, son diesel, son Johnny, le genre pas trop déconstruit, qui vient grossir l’électorat « ouvrier » du RN.
« On a lâché le peuple ». C’est Ariane Mnouchkine qui dit ça, la géniale metteuse en scène du théâtre du Soleil, il y a quelques semaines dans Libération. À son âge, 85 ans, le mot « collaboration » a tout son sens et elle se demande s’il faut continuer de faire du théâtre avec un pouvoir facho. Elle se pose des questions sur la gauche culturelle, la gauche hors-sol, éloignée du monde populaire.
Le mépris ! Ah le mépris !
« On a lâché le peuple, on n’a pas voulu écouter les peurs, les angoisses. Quand les gens disaient ce qu’ils voyaient, on leur disait qu’ils se trompaient, qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils voyaient. Ce n’était qu’un sentiment trompeur, leur disait-on. Puis, comme ils insistaient, on leur a dit qu’ils étaient des imbéciles, puis, comme ils insistaient de plus belle, on les a traités de salauds. On a insulté un gros tiers de la France par manque d’imagination. L’imagination, c’est ce qui permet de se mettre à la place de l’Autre. Sans imagination, pas de compassion. (…)
Aujourd’hui, je ne suis pas certaine qu’une prise de parole collective des artistes soit utile ou productive. Une partie de nos concitoyens en ont marre de nous : marre de notre impuissance, de nos peurs, de notre narcissisme, de notre sectarisme, de nos dénis. J’en suis là. Une réflexion très sombre, incertaine et mouvante.
Heureusement, nous, nous avons le public, et moi, j’ai la troupe. Heureusement, mon dieu, que je les ai à mes côtés. Il y a de la bienveillance, de l’amour, de l’amitié, de l’estime, de la confiance. Avec ça, on résistera. [1] »
C’est peut être des troupes comme ça qu’il faut faire pour résister dans ces temps obscurs.
Cette crise a soulevé le couvercle du panier de crabes de la Nupes. C’est vrai et c’est moche, ces embrouilles, ces calculs, ce Toutalégo. Mais, dans l’urgence, des accords et un programme ont été trouvés. Et puisqu’il s’agit du Front populaire, il faut se souvenir que c’est le populo qui a gagné l’été 1936, le gouvernement a dû suivre et obtempérer. C’est le populo qui a occupé les usines et qui a mis la pression sur le pouvoir et qui est allé voir la mer à bicyclette.
C’est une troupe comme ça, informelle, à l’échelle planétaire, qui s’est battue durant des années pour la libération de Julian Assange. Et c’est pile au moment où le « taré à la tête de l’État » ouvrait tout grand la porte du pouvoir aux fascistes du RN qu’on apprenait la libération de Julian Assange au bout de 14 ans de lutte !
Fou de joie, son comité de défense envoyait partout un communiqué finissant par : « si nous avons réussi à libérer Assange, de quoi sommes-nous encore capables ? ».
Il nous faudra beaucoup moins de quatorze ans pour faire disparaître cette sale tache brune sur le cœur de la patrie.
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