Tuez-les tous !
Gaza, situation apocalyptique. Quinze responsables des agences de l’ONU lancent un appel au monde. C’est un peuple qui meurt de violence, de maladie et de famine.
Le même jour, il y a 70 ans, un autre peuple colonisé, l’Algérie, lançait sa lutte pour son indépendance, la « Toussaint rouge ».
En France, dans un communiqué ce jour-là aussi, Emmanuel Macron reconnaît l’assassinat par des militaires français, le 3 mars 1957, de Larbi Ben M’hidi, héros de l’indépendance algérienne. Geste opportuniste de Macron certes, mais voilà enfin une reconnaissance officielle qui confirme les aveux du général Paul Aussaresses qui, en 2001, reconnaissait avoir pendu ce jeune chef du FLN en précisant qu’il avait fallu s’y reprendre à deux fois car la corde avait cassé la première fois.
Héros populaire en Algérie, surnommé le « Jean Moulin algérien », tout le monde connaît l’ image de Larbi Ben M’hidi lors de son arrestation à 34 ans, et son sourire désarmant devant les armes.
Nous revoilà replongés dans ce passé, revoilà les ressentiments encore et encore, revoilà les massacres, revoilà la torture et le pourquoi de la torture. À Alger, il y avait des attentats, comprenez-vous, il fallait trouver les coupables qui se cachaient dans la population qui les protégeait. Alors on contrôlait, on fouillait, on raflait, on triait, on interrogeait, de façon de plus en plus musclée, jusqu’à la gégène, jusqu’à la torture, jusqu’à la « corvée de bois », c’est-à-dire une balle dans la tête, comprenez-vous ? Le but ? Trouver les terroristes, remonter jusqu’aux chefs, les arrêter, les faire parler, la baignoire, l’électricité, le bâton dans le cul, violer leur femme devant eux ou les buter ou les jeter du haut d’un hélicoptère ou les pendre comme celui-là, comme Larbi. Comprenez-vous ?
Pas mal dans l’immonde.
Mais…
Mais ce qui se passe à Gaza n’est pas mal non plus.
Connaissez-vous Dahiya ?
Doux prénom féminin ? Non, c’est un quartier de la banlieue sud de Beyrouth, un bastion du Hezbollah qui a été rasé par les bombardements israéliens en 2006. Et le nom Dahiya est alors devenu le nom d’une doctrine militaire israélienne basée sur un « usage de la force disproportionné ». Oui, « disproportionné ». On ne fait plus de distinction entre cibles civiles et militaires. C’est un viol du principe fondamental du droit de la guerre, mais on s’en fout.
Pas mal, non ?
Plus fort que les tortionnaires français ; on ne cherche même pas à faire le tri entre les combattants et le peuple, tuez-les tous, hommes, femmes, enfants ! Dieu reconnaîtra les chiens…
« Nous allons réagir de façon disproportionnée et provoquer d’importants dégâts. De notre point de vue, il n’y a pas de villages civils, ce sont des bases militaires ».
Voilà ce que disait celui à qui on doit cette doctrine, le chef d’état-major Gadi Eizenkot. Il s’en est expliqué en octobre 2008 à l’agence Reuters : « ce qui est arrivé au quartier Dahiya de Beyrouth en 2006 arrivera à tous les villages qui servent de base à des tirs contre Israël. […] Nous ferons un usage de la force disproportionné [sur ces zones] et y causerons de grands dommages et destructions. […] Il ne s’agit pas d’une recommandation, mais d’un plan, et il a été approuvé. »
En clair, si un combattant palestinien est supposé se trouver parmi des civils, ce ne sont plus des civils mais des cibles. Pas des dommages collatéraux, ni de fâcheuses bévues, ni même un crime de guerre mais l’application assumée d’une doctrine militaire.
Donc, pas de quartier.
On ne fait pas la différence entre tuer des ennemis pour ce qu’ils font et tuer des ennemis pour ce qu’ils sont. Dans le deuxième cas – tuer pour ce qu’ils sont –, n’est-on pas dans la logique génocidaire ?
Après le massacre terroriste du 7 octobre 2023, le général Gadi Eizenkot a été nommé dans le conseil de guerre et l’armée israélienne a mis en application la doctrine Dahiya qu’il avait formulée.
Par malheur, deux mois plus tard, le 7 décembre 2023, l’un de ses fils (25 ans) était tué à la suite d’une explosion à l’entrée d’un tunnel à Jabaliya.
Le but de la doctrine Dahiya, c’est évidemment de terroriser la population et de favoriser le retournement de l’opinion publique contre le Hamas. Ce but a-t-il été atteint ? La propagande israélienne ne manque pas de l’affirmer en permanence mais il est bien difficile de mesurer cette contestation, Gaza est interdit à la presse internationale. Au 26 septembre 2024, selon Reporters sans frontières, 130 journalistes ont été tués [1]. Monsieur Nétanyahou préfère massacrer sans témoins.
Pour en revenir à l’Algérie et ce 70e anniversaire de la Toussaint rouge, voilà une idée pour célébrer cet évènement. Si vous avez un pot de peinture en trop et si vous passez par Toul, allez donc honorer la superbe et virile statue du général Bigeard qui vient tout juste d’être inaugurée malgré toutes les protestations possibles, faites comme vous le sentez et faites une petite vidéo, on se fera un plaisir de la diffuser.
Un beau rouge sang serait parfait mais un gros pot de noir ne serait pas mal non plus, ou arc-en-ciel couleur Gay Pride ou goudron et plumes, c’est comme vous le sentez. Pensez à nos voisins bruxellois qui, à plusieurs reprises, ont joliment repeint la fière statue équestre de Léopold II, le colonisateur du Congo.
Pour ce qui concerne Bigeard, rappelons sa spécialité maison : les « crevettes Bigeard ». Depuis un hélicoptère au large d’Alger, les pieds coulés dans une cuvette de ciment, les gars étaient jetés à la mer. Des corps mal arrimés étaient retrouvés échoués jusque sur les plages. Le préfet de police d’Alger, Paul Teitgen, a témoigné sur cette pratique qui a été exportée en Argentine dans le cadre de la « DGR », la doctrine de la guerre révolutionnaire. Les colonels argentins ont suivi les méthodes de l’armée française, forte de son expérience en Algérie. C’est par centaines qu’eurent lieu les vols de la mort, « vuelos de la muerte »…
Voila un très beau thème pour nos sculpteurs et nos étudiants en sculpture : la « crevette Bigeard ». Lançons un grand concours, le premier prix sera installé à Toul ou à Buenos Aires !
Ou à Gaza dans une version gonflable pour les enfants quand la paix sera venue dans un siècle ou deux.
Ou demain matin, si vous voulez.