Mets ton plus bel entonnoir, on va chez les dingues, les barjots, les cinglés, les déjantés, les détraqués, les siphonnés, les mabouls, les marteaux, les sinocs… On peut remplir un dictionnaire avec tous les noms de ces allumés qui travaillent du chapeau. Des noms d’oiseaux, bien sûr, ils étaient dans la lune bien avant toutes ces moches fusées.
Que serions-nous sans les folles et les fous et la folie qui est en nous ? Ce monde tomberait en poussière à l’instant et d’ailleurs il n’aurait jamais existé. C’est évident, pour inventer un monde pareil il fallait que Dieu fût complètement cinglé. C’est pour ça qu’il s’est flingué, d’ailleurs. Henri Michaux avait prévenu : qui cache son fou meurt sans voix.
Insensé, c’est-à-dire à contre-sens ? Oui, mais d’abord l’insensé c’est celui qui dit qu’il n’y a pas de Dieu. Et au Moyen-Âge où le religieux c’est le pouvoir absolu, il faut être fou pour dire une chose comme ça.
Aussi l’image du fou apparaît d’abord à peine dans les marges et les ornements des livres manuscrits. Et peu à peu, de gravure en vitrail, de gargouille en tapisserie, on va le voir remettre en cause l’ordre dominant et faire basculer l’histoire du Moyen Âge à la Renaissance. La folie va être invoquée dans deux grandes remises en cause : la religion puis la Raison. Les deux plus puissants outils du pouvoir. Les graves historiens négligent le rôle capital du fou dans l’histoire en Occident. Il est pourtant partout. Des fous de Dieu, des vierges folles, des monstres édifiants et cet art de dénoncer la débauche pour mieux la montrer. Et bien sûr le fou du roi, l’idiot ou le nain comme animal de compagnie du prince ou bien le bouffon, le faux fou et son sceptre qui ressemble au micro de nos humoristes. La folie est partout, enlacée à la mort dans la danse macabre, elle devient un caillou qu’il faut extirper à vif du cerveau du dément, elle allume des bacchanales au pied du gibet puis avec un rire de catacombe s’enroule pour faire la bosse de Quasimodo.
Sans aucun doute, c’est le vieux Pieter Brueghel qui raconte le mieux mais c’est Jérôme Bosch d’abord. C’est lui vraiment le plus barré. Il intrigue encore les spécialistes de l’art flamand : « nous avons foré quelques trous dans la porte de la pièce condamnée, mais nous n’avons pas encore trouvé la clef », dit par exemple le grand historien de l’art Erwin Panofsky. La Nef des fous étonne toujours le monde.
Cornelius Castoriadis est concis : « l’homme est cet animal dont la folie a inventé la raison ». On parle là de la folie opposée à la sagesse et la rationalité. Mais on n’évoque pas la maladie, les absences, les regards, les lourdes souffrances qu’on verra dans les peintures du XIXe siècle. Pour la bourgeoisie triomphante, le fou n’est pas une victime, c’est celui qui s’obstine à ne pas utiliser convenablement sa raison. Il faut donc enfermer et punir afin de protéger la société, la religion et l’État.
On parle de la folie d’ici, de ce bout d’Europe où nous sommes et d’une époque limitée mais, dans l’exposition « Figures du Fou. Du Moyen Âge aux Romantiques », des signes et des formes, un masque surtout font parfois écho à des figures africaines et lointaines où la danse et la transe font, comme nos fous, vaciller la raison et nous enfoncer dans des jungles et des nuits où dans la lune on distingue nettement la figure hilare de la folie.
Courez voir cette superbe expo au Louvre jusqu’au 3 février avec aussi un documentaire sur Arte, Le temps des fous. De quoi devenir marteau, perché, sonné, givré, déjanté, désaxé, complètement braque.
Et fada, c’est-à-dire touché par les fées !