« Courage, estropiés, salut, que vos affaires s’améliorent »
C’est la phrase étonnante écrite au dos de ce tableau de Peter Brueghel, peint en 1568, un an avant sa mort. Une fraternité pas si fréquente dans des temps où l’infirmité était une punition divine qui frappait celui qui avait commis de lourds péchés et qui devait expier de cette manière. À moins qu’il ne soit qu’un faux-mendiant qui retrouve toute sa validité en rentrant le soir dans sa cour des miracles, et qui donc ne mérite pas plus d’égards, bien au contraire. D’ailleurs la femme qui s’éloigne au deuxième plan avec une sébile leur a sans doute pris leur recette à ces cinq-là, la mendicité étant alors interdite.
Le titre du tableau, exposé au Louvre, met sur le même plan handicap et misère : « Les mendiants (ou les culs-de-jatte) ». Depuis longtemps des études savantes cherchent des significations à cette peinture. On y a vu souvent des liens avec la « révolte des Gueux » des Calvinistes contre la domination espagnole.
Mais c’est d’abord les puissants de tous acabits qui sont férocement moqués sous l’alibi carnavalesque : ceux qui ne manquent ni d’un toit, ni d’une jambe, ni d’un œil, ni d’un quignon de pain. Peter Brueghel peint la revanche des éclopés, à la fois physiques et sociaux, et qui narguent les importants dans leur danse bancale avec ces queues de renard épinglées à leurs frusques entre les murs obtus de cet hospice humide.
Celui-là avec sa couronne de carton, c’est la pédante monarchie, l’autre avec sa coiffe en fourrure représente ces vaches de bourgeois, l’ecclésiastique est coiffé d’une mitre excessive et celui qui arbore cette coiffe en papier c’est l’armée qui est ridiculisée.
Malgré les siècles, la puissance du grotesque pathétique du vieux Brueghel nous saisit toujours aujourd’hui. En peinture, tout chef-d’oeuvre est un miroir ou chacun peut se voir, un être, une époque ou même une actualité. Ces jours-ci, en regardant bien ce tableau au Louvre, on peut voir filer les reflets des athlètes paralympiques et leurs prothèses modernes dans la même lutte contre le Normal et le Puissant, vieux tigres de papier qui attendent l’allumette.