Situation de handicap

Avant, on avait des ailes

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Regardez vos omoplates. Pas facile, impossible même. Il faut un miroir et même deux. Voilà une situation de handicap, non ? Mais avant l’invention du miroir, comment faisait-on ? La question ne se posait pas, car nous n’avions pas d’omoplates, nous avions des ailes. Les omoplates, c’est ce qui reste de nos ailes, juste l’articulation mais plus aucune trace de ces ailes multicolores superbes qui nous portaient dans tous les sens.

De même pour nos pieds. Avec ces minables petits boudins de doigts alors qu’ils étaient jadis déliés comme ceux de nos cousins les singes, longs et utiles pour grimper, danser et jouer les Nocturnes de Chopin. Bien peu le savent mais le vernis à ongles évoque ces pouvoirs abolis comme une nostalgie. De même que les rétroviseurs, ces appareils partout présents, ces prothèses universelles depuis que nous avons perdu les yeux de la tête, ceux que nous avions en arrière et sur les côtés du crâne.

On peut aussi évoquer tous ces amplificateurs, tous ces haut-parleurs, ces mille engins pour amplifier le son depuis que nos oreilles, ces grandes oreilles de chaque côté de nos têtes, vastes comme celles des éléphants et qui, ondulant avec grâce, nous permettaient d’entendre des sons dont nous n’avons plus la moindre idée de nos jours, le son des sentiments par exemple, le froissement d’un souvenir ou d’un regard sur une épaule.

On pourrait parler de nos queues dont nous sommes orphelins, de toutes tailles, de toutes sortes, en panache, en trompette, en tire-bouchon et qui nous servaient de gouvernail dans nos ballets aériens et aquatiques, ou – pour les plus longues – de moyen pour effacer nos pas dans la neige.

On en arrive à l’essentiel, à la perte du discernement, à la fuite dans les cerveaux, à cette situation de handicap intellectuel dont nous sommes toutes et tous durement frappés, certains sans doute plus que d’autres, incapables d’accéder au deuxième degré, même avec des béquilles, incapables de refaire le monde et de mourir pour une chanson.

On peut continuer ce grand catalogue de nos manques, interminable encyclopédie puisque vivre, c’est combler des manques. Nous voilà rampant, de nos jours, nous voilà sourds, borgnes, impotents et manchots, perclus de douleurs fantômes. Le pire étant d’avoir entièrement oublié toutes ces facultés, de n’avoir plus la moindre conscience de leur existence, d’avoir tout oublié de cet âge d’or et de ce grand souffle même si, quand même, à peine, ces jours-ci, le tourbillon de la danseuse aveugle, la beauté du boxeur manchot, le plongeon de l’invalide, la foulée de la femme-tronc et l’éclat de rire de l’idiot magnifique célèbrent notre incompréhensible et insubmersible rébellion : vivre.

Daniel Mermet

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