« Nous combattons des animaux humains »

6 octobre 2023, beau temps sur Gaza

Le

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La veille du 7 octobre, à quoi ressemblait Gaza ?

La question palestinienne n’était plus une question. La Palestine n’était plus dans la course, vaincue, occultée par Israël, éclipsée par d’autres questions brûlantes, la page Palestine était tournée. Les accords d’Abraham allaient sceller le rapprochement entre Israël et plusieurs pays arabes, les experts le confirmaient, le temps des idéologies est dépassé, la cause palestinienne aussi.

Et soudain, ce bloc d’abîme.

Attaque impensable du Hamas contre des militaires israéliens et surtout des civils, massacres, viols, tortures. 1 200 morts et 250 pris en otages. Énorme choc pour Israël et pour le monde, traumatisme sans précédent, condamnation unanime. On l’a dit et répété, Gaza est la plus grande prison à ciel ouvert du monde, cette attaque ressemble donc à une mutinerie sauvage de détenus qui attaquent leurs gardiens et se vengent sur la foule.

Et aussitôt, la Palestine devient le premier sujet au monde et réveille toutes les douleurs, déchaîne toutes les haines mais attire aussi tous les soutiens de la majorité des habitants de cette planète.

Pogrom et terrorisme. Pour beaucoup, tout tient dans ces deux mots. C’est le mal absolu, le « plus grand massacre antisémite de notre siècle » dit Emmanuel Macron. C’est la destruction des juifs, leur existence est à nouveau menacée. Aussi, ils n’ont pas seulement le droit de se défendre mais ils doivent se défendre. Et donc nous défendre aussi car nous sommes tous menacés par le même péril islamiste. Le moindre écart à cette manière de voir vous expose à l’accusation d’antisémitisme. On peut parler d’un nouveau maccarthysme. Essayez de suggérer qu’il s’agit d’une guerre de décolonisation, vous risquez une condamnation en antisémitisme. Ne faites pas cette erreur. Ce n’est pas une affaire de décolonisation mais une guerre de civilisation. BHL nous met en garde sur tous les plateaux, toujours suivi de son coiffeur, lui qui a fait tant de reportages de guerre depuis tant d’années et qui fut tant entarté.

Oui mais pourquoi cette attaque ? Quelle explication ? Aucune. Là-dessus Manuel Valls a toujours eu des idées très claires : « il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser ». Donc, face au terrorisme antisémite, il n’y a pas de pourquoi. C’est la légitime défense. C’est la guerre. Pas de cause historique, politique ou sociale. Donc pas de compte à rendre ni au droit international, ni aux médias. Aucune limite. Aucune excuse.

Mais l’ennemi à abattre ne se limite pas aux combattants du Hamas, c’est toute la population. Le 12 octobre 2023, le président israélien affirme : « c’est toute une nation qui est responsable ».

C’est toute la population qui est ciblée : hommes, femmes, enfants. C’est clair dès le départ. Pas de victime collatérale. Deux jours après, Yoav Gallant, le ministre de la défense, est encore plus précis. C’est une extermination totale qui s’impose : « pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé (…) Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence ».

En effet, un an après, on sait que ces déclarations n’étaient pas dictées par l’émotion, c’était une feuille de route, un programme qui a été réalisé et qui se poursuit.

Des quartiers entiers ont été rasés dans le nord de Gaza (photo : bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies)

Mais quand même d’autres voix se sont faites entendre. Jean-Louis Bourlanges, le peu wokiste président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, jugeait la violence du Hamas « sans excuses, mais pas sans causes ».

Des causes ? On peut en citer quelques-unes parmi beaucoup d’autres.

Gaza a subi pas moins de quinze guerres depuis la création de l’État d’Israël.

En septembre 2005, Israël se retire de Gaza, les colons partent à regret mais c’est le blocus hermétique qui s’installe. Israël fait tout pour installer le Hamas et ne s’en cache pas. Il faut tout faire pour séparer Gaza de la Cisjordanie et opposer le Hamas à l’Autorité palestinienne. Amos Yadlin, le chef du renseignement militaire israélien, disait en 2007 qu’Israël serait heureux si le Hamas s’emparait de Gaza parce que l’armée pourrait alors traiter Gaza comme un État hostile.

Et en effet, après l’arrivée du Hamas en 2007, à maintes reprises, les chasseurs bombardiers attaquent Gaza en réponse aux tirs de roquettes du Hamas. Pas moins de quatre guerres qui entraînent la mort de milliers de Palestiniens : 2008-2009, 2012, 2014, 2021.

Sans parler des « marches du retour » organisées en 2018 et 2019 à l’initiative de la société civile palestinienne. Répression brutale. Les snipers israéliens tirent : 200 morts et 7 100 blessés, surtout des jeunes mutilés à vie.

Aed Abu Amro, un Palestinien de 20 ans, manifeste à Gaza contre le blocus imposé par Israël, le 22 octobre 2018 (photo : Mustafa Hassona/ANADOLU AGENCY)

Oui, il y a des causes à l’attaque du 7 octobre.

Néthanyahou a le mérite d’être clair concernant le Hamas, c’est sa grande idée pour rendre impossible un quelconque État palestinien, il ne s’en cache pas, il a fait du Hamas le gardien et le gestionnaire du camp. Son côté islamiste le rend peu fréquentable pour les Occidentaux.

En mars 2019, il dit clairement devant des membres du Likoud que « quiconque est opposé à un État palestinien devrait être favorable » à leur politique de renforcement du Hamas et de transfert d’argent au Hamas. Cela participe de leur stratégie : isoler les Palestiniens de Gaza de ceux de Cisjordanie.

(illustration : @netanyahu/x.com)

Oui, il existe des causes à cette tragédie. Un an après, on n’a pas oublié l’article du génial Gideon Levy publié deux jours plus tard dans le Haaretz. Non, tout n’a pas commençé le 7 octobre 2023 :

« Derrière tout cela, il y a l’arrogance israélienne ; l’idée qu’on peut faire ce que l’on veut, sans jamais en payer le prix ni être sanctionné. On peut continuer sans être dérangé.

On peut continuer à faire des arrestations, à tuer, maltraiter, voler et à protéger les colons occupés à leurs pogroms. On peut continuer à visiter le tombeau de Joseph, le tombeau d’Othniel et l’autel de Josué qui se trouvent dans les territoires palestiniens, et bien sûr on peut continuer à visiter le mont du Temple – plus de 5 000 juifs rien qu’à Souccot.

On peut continuer à tirer sur des innocents, à crever des yeux et à pulvériser des visages, à expulser, à confisquer, à voler, à tirer les gens de leur lit, à faire du nettoyage ethnique et à poursuivre bien évidemment l’incroyable siège de la bande de Gaza, et tout va bien se passer.

On peut continuer à construire un obstacle terrifiant autour de Gaza – rien que sa structure souterraine a coûté 765 millions de dollars – et on continuera à être en sécurité. (…)

On pensait pouvoir continuer à aller à Gaza, à leur laisser quelques dizaines de milliers de miettes sous la forme de permis de travailler en Israël – toujours conditionnés à une bonne conduite – et à les maintenir quand même dans leur prison. On peut continuer à faire la paix avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, et on continuera à oublier les Palestiniens jusqu’à ce qu’ils soient effacés, comme le souhaitent certains Israéliens.

On peut continuer à détenir des milliers de prisonniers palestiniens, parfois sans procès, pour la plupart pour des motifs politiques. Et on peut continuer à refuser systématiquement leur libération, même s’ils sont détenus depuis plusieurs décennies.

On leur expliquera que seule la force permettra de libérer leurs prisonniers. On pensait pouvoir continuer à rejeter avec arrogance toute tentative de solution diplomatique, juste parce qu’on ne veut pas régler tout ça en se disant que tout peut continuer éternellement ainsi.

Une fois de plus on a eu la preuve que ce n’est pas comme ça que ça marche. Quelques centaines de Palestiniens armés ont franchi la barrière de sécurité et envahi Israël comme aucun Israélien ne l’aurait jamais imaginé. Quelques centaines de personnes ont prouvé qu’il est impossible d’emprisonner 2 millions de personnes éternellement sans en payer le cruel prix.

Samedi, le vieux bulldozer palestinien qui crachait de la fumée a démoli la barrière de sécurité la plus intelligente, et il a aussi démoli l’arrogance et la complaisance d’Israël. C’est aussi comme ça qu’a été anéantie l’idée qu’il suffit de quelques attaques épisodiques sur Gaza avec des drones kamikazes – qu’on vendra ensuite à la moitié du monde – pour garantir sa sécurité.

Samedi, Israël a découvert des images qu’il n’avait vues avant. Des véhicules palestiniens qui patrouillaient dans ses villes, des motos qui franchissaient les portes de Gaza. Ces images ont déchiré notre arrogance. Les Palestiniens de Gaza ont décidé qu’ils étaient prêts à payer n’importe quel prix pour un moment de liberté. Est-ce que ça donne de l’espoir ? Non. Est-ce qu’Israël va retenir la leçon ? Non.

Samedi, il était déjà question de raser des quartiers entiers de Gaza, d’occuper la bande de Gaza et de punir Gaza « comme jamais auparavant ». Mais Israël n’a jamais cessé de punir Gaza depuis 1948.

Après 75 ans d’abus, le pire scénario attend Gaza. Les menaces d’« écraser Gaza » prouvent une seule chose : nous n’avons rien appris. L’arrogance va rester, même si Israël en paie une fois de plus le prix fort.

Le premier ministre Benjamin Nétanyahou porte une très grande responsabilité dans ce qui s’est passé, et il doit en payer le prix, mais ça n’a pas commencé avec lui et ça ne se terminera pas avec son départ. Nous devons désormais pleurer amèrement pour les victimes israéliennes, mais nous devrions aussi pleurer pour Gaza.

Gaza, dont la plupart des résidents sont des réfugiés créés par Israël. Gaza, qui n’a jamais connu un seul jour de liberté. »

Daniel Mermet

Une fresque murale représente Yasser Arafat et Marwan Barghouti au poste-frontière de Qalandia, le 5 juillet 2012 (photo : Yonatan Sindel/FLASH90)

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Une sélection :

17 octobre 1961. Nos reportages de 1991 avec Jean-Luc Einaudi. Radio. PODCAST 17 octobre 1961 (1) : « Si c’était vrai, ça se saurait » Accès libreÉcouter

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Soixantième anniversaire du 17 octobre 1961. Mais c’est aussi le trentième anniversaire de la fin d’un silence de trente ans. De 1961 à 1991, ce pogrom qui eut lieu en plein Paris, au vu et au su de tous, fut passé sous silence malgré quelques courageuses publications. Oui, trente ans d’omerta. Quiconque interrogeait ou voulait témoigner s’entendait répondre : « si c’était vrai, ça se saurait ». En 1991, enfin, La Bataille de Paris, le livre de Jean-Luc Einaudi, a été un évènement important dans la prise de conscience de ce massacre. Films, articles, débats ont marqué alors la fin de ce silence. Sur France Inter, fin 1991, Là-bas si j’y suis diffusait une suite de reportages qui ont contribué à révéler ce crime d’État au grand public.

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J’avais 18 ans le 17 octobre 1961. J’étais avec mon copain Paulo au coin du pont Saint-Michel, à la sortie du métro, près de la pendule. On savait qu’il y aurait une manif des Algériens contre le couvre-feu que Papon leur avait imposé. Paulo devait faire des photos. Nous étions étudiants aux arts appliqués, rue Dupetit-Thouars, et comme toute cette génération, nous avions la trouille de partir pour l’Algérie. C’était un sujet quotidien de discussion et d’engueulade entre ces dégonflés de partisans de « la paix en Algérie » et nous autres qui soutenions le FLN et souhaitions l’indépendance. Des terroristes en somme.

17 octobre 1961. Nos émissions de 1997 (radio). PODCAST 17 octobre 1961 (3) : entendre sans broncher l’écho des fusillades Accès libreÉcouter

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En reprenant son vélo, Paul s’est aperçu qu’il n’avait plus de câbles de frein. Quelqu’un lui aurait piqué ? Mais qui ? Et pour quoi faire ? Paul Rousseau était flic, il a tenu à témoigner sur la nuit du 17 octobre 1961. Il avait fini par comprendre que des collègues avaient utilisé des câbles de frein pour étrangler des Algériens et les balancer dans le bois de Vincennes. Cette histoire le hantait toujours des années après.

17 Octobre 1961 (4) Macron et son clientélisme mémoriel. Des documents, des archives et vos messages sur le répondeur dans les années 90 (Vidéo | Radio | Texte) 17 octobre 1961 (4) : Macron se refuse à reconnaître ce massacre d’Etat Accès libreÉcouter

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Déception pour celles et ceux qui depuis tant d’années se battent pour que la tragédie du 17 Octobre 1961 soit reconnue par la France comme un massacre d’État. Rappelons-le, entre 100 et 200 algériens sans armes furent abattus, torturés et noyés par la police française cette nuit-là. Si Emmanuel Macron est venu ce samedi déposer une gerbe sous le pont de Bezons, c’est par un simple communiqué que l’Élysée s’est limité à dénoncer « ces crimes inexcusables », comme s’il existait des crimes excusables : « Les crimes commis cette nuit-là, sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République ».