Agriculture paysanne, c’est possible et ça marche
Écouter le reportage :
Des fermes de plus en plus grandes et de moins en moins nombreuses. C’est l’agrobusiness qui l’emporte sur l’agroécologie. On peut le regretter mais c’est le choix qui s’est imposé, que voulez-vous, il faut vivre avec son temps.
Et voilà. L’astuce est très simple :
1. Faire croire qu’il y a un choix
2. Faire croire qu’il s’est imposé
1. Faire croire qu’il y a un choix entre les indiscutables dégâts sur la santé humaine et sur la biodiversité, d’une part, et, d’autre part, une agriculture respectueuse de la vie. Que choisir en clair : la mort ou la vie ? Question superflue puisque c’est « le choix qui s’est imposé ».
2. « Choix imposé », mais par qui et par quoi ? Lobbies, médias, scientifiques de plateaux et de réseaux, camelots politiciens... Le système est bien connu.
Alors on a perdu ? Non, bien sûr. Mais pour se donner des chances de faire dérailler la machine il faut se demander comment on en est arrivé là.
De la roue à la machine à vapeur, de l’imprimerie aux vaccins, les vraies révolutions viennent de la technologie. Aux humains d’inventer la vie qui va avec. À nous de chevaucher ces grands bouleversements. On galope jusqu’au sommet, ou bien on se fout la gueule dans le mur, ça dépend. Les plus importantes de ces révolutions ne sont pas toujours en tête dans la mémoire collective. Les engrais chimiques, par exemple. Ce fut pourtant un bouleversement planétaire dans l’agriculture mondiale dans les années d’après-guerre. Des effets incalculables, des peuples vont sortir de la famine, des fortunes vont se bâtir, l’histoire redistribue les cartes et les redessine dans le même geste. Les effets négatifs ? On ne les voit pas, on ne veut pas les voir. Devant la balance avantages/risques, on ferme les yeux car il s’agit de l’essentiel : nourrir l’humanité.
En France, le monde paysan, avec ses rites identiques depuis Virgile, disparaît en quelques années. C’est le tracteur, c’est le remembrement, c’est des rendements sans précédent. Dans une novlangue qui explose, un mot écrit au néon clignote sur le siècle : « moderne ».
Il y a plusieurs raisons à ce bouleversement, mais la cause principale c’est l’apparition de ces engrais chimiques. Adieu tous les savoirs, les manières de faire et de voir qui se transmettaient, adieu les secrets et tous les dieux des petits riens. Mais aussi quelle libération ! Adieu l’énorme tas de fumier devant la ferme, finis les tonneaux de purin pour éradiquer une touffe de chiendent. Grâce à la potion magique, en France, on est en Amérique.
Sauf que…
Vous connaissez la suite. Et vous connaissez le résultat. Les dégâts sont énormes. Santé humaine, environnement, biodiversité. La potion magique est un poison magique. D’abord quelques voix contestent, mais on s’en fout, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Mais quand même, peu à peu, il faut se rendre à l’évidence, les dégâts sont considérables et c’est les enfants qui passent à la caisse.
Et alors ?
Alors sans surprise, selon sa bonne vieille méthode, le pouvoir va tout changer afin que rien ne change. On organise des « grands débats » qui ne servent scrupuleusement à rien. À Marseille en avril 2022, Emmanuel Macron affirme : « ce quinquennat sera écologique ou ne sera pas ».
En décembre 2023, alors que plus de 80 % de l’opinion est favorable à la mobilisation des agriculteurs en colère, Macron, Attal et la FNSEA ont réussi à rendre responsable « l’écologie punitive » et à « mettre en pause » des programmes, pourtant bien modestes, mis en place par son gouvernement contre le désastre. On fustige ces écolos fanatiques et ces terroristes des Soulèvements de la Terre. « On est chez nous ! » hurle la Coordination rurale, qui verrait bien Marine à l’Élysée ou Zemmour, pas mal non plus. Partout l’extrême droite en Europe est aux avant-postes pour transformer la colère des agriculteurs en colère électorale.
Alors, tout est foutu ?
Mais non, bien sûr, car contre tous ces escrocs et ces gros méchants, nous avons notre héros : DÉDÉ POCHON !
C’est lui que nous retrouvons aujourd’hui dans ce reportage de Jean-Michel DUMAY de 2016. « Dédé » allait alors sur ses 85 ans. Aux dernières nouvelles, il se porte parfaitement bien. Son combat, le combat de toute sa vie, c’est l’AGRICULTURE PAYSANNE, une agriculture qu’il pratique et qu’il défend depuis des années de façon probante. Il n’est pas le seul, depuis longtemps des alternatives existent mais sont toujours repoussées à la marge. Sauf qu’il y a urgence.
Et la même question revient : pour nourrir l’humanité, l’agriculture sans pesticide est-elle possible ? La réponse est oui. Oui, c’est possible. Car on vous l’a dit mille fois : « c’est bien joli, mais avec ton agriculture bio, comment tu nourris la planète ? ». Les études scientifiques se multiplient à travers le monde. Et toutes rejoignent les intuitions et les expériences de gens aussi têtus que Dédé Pochon. C’est possible avec des modifications : la réduction mondiale de la consommation de viande, la réduction des pertes et des gaspillages, la réintroduction de certaines plantes, les retours à certains cycles, etc.
Une petite balade dans l’histoire suffit à nous rappeler que ce qui semblait définitif peut changer rapidement, d’un coup d’épaule.
Prenons simplement l’histoire des haies dans notre douce France.
Aujourd’hui il faut les replanter, des programmes sont en cours. Il y a urgence. À elles seules les haies racontent la destruction de ce pays par l’agrocapitalisme.
Ringard, passéiste, borné, réac. Le racisme social n’a jamais été tendre avec le paysan. Le plouc, le pécore, le cul-terreux, le pedzouille. On l’a héroïsé aussi, lui trouvant les plus profondes vertues. La terre, la nature, la frugalité, la piété, les grandes choses éternelles, simples et profondes, le bon sens surtout. Ah, le bon sens ! Et n’oublions jamais la faucille avec le marteau. Oui, la faucille. Avec ses jacqueries et ses révoltes, de Brueghel l’Ancien à Vincent van Gogh, de Le Nain à Millet, il avait ses lettres de noblesse agricole, on comptait sur lui pour le grand soir.
Mais sa chute fut brutale, sa déchéance irrésistible, son exode pathétique. Pourtant que la montagne est belle, comment peut-on imaginer... Au lendemain de la guerre il fallait retrousser ses manches, il y avait un monde à reconstruire, il fallait produire, produire, produire.
Dans la crainte que certains pays d’Europe ne glissent dans l’enfer soviétique, nos gentils grands frères américains, après nous avoir libérés, nous ont prêté des sous pour que nous puissions nous moderniser en leur achetant tout un tas de choses merveilleuses. Des tracteurs par exemple. C’était le plan Marshall. Je te prête de l’argent (avec juste un petit intérêt) et avec ça, tu m’achètes des belles choses (je te dis lesquelles) et je prends ma petite commission.
En peu de temps les tracteurs étaient partout dans les campagnes. Les chevaux, les milliers de chevaux de trait ont pris le chemin de l’abattoir et des boucheries chevalines. Le souci c’est que souvent on avait des petits champs, quelques arpents biscornus, avec trois pommiers au milieu, des talus, des mares à grenouilles et des chemins creux pour aller jusque-là. Ou jusque là-bas. Et des haies autour de tout ça. Bref, tout ce qui fait un paysage.
Et tous ces champs avaient des noms. Regardez une vielle carte d’état-major comme celle-ci vers l’Eure-et-Loir. Les Filardeaux, les Douze-Arpents, les Cormiers, la Bruyère du rendez-vous, la Manivelle, les Badelins, les Déserts…
Balayé tout ça. Rayé, arraché, aligné, agrandi, quadrillé. Il fallait moderniser, rationaliser, augmenter le rendement. Il fallait échanger des terres avec des voisins. Tout mettre au carré. Du jour au lendemain, le prof de dessin vous faisait passer de Théodore Rousseau à Mondrian.
Et malheur à celui qui rechignait, qui refusait ces mornes plaines, qui pleurait cette France défigurée et ces paysages séculaires frappés d’alignement. Tout ça encadré par l’État. Certains disaient que c’était comme l’occupation allemande. C’est pour dire. Il y eut des conflits, des suicides, des meurtres et des enrichissements fabuleux.
On mit beaucoup d’énergie pour détruire les haies et araser les talus. 70 % des haies ont disparu des bocages français, soit 1,4 million de kilomètres. Une catastrophe pour la biodiversité. Les poètes avaient raison, les rêveurs approximatifs ont vu juste. Et le plus souvent, bien sûr, les paysans eux-mêmes. Comme cette fermière qui sait bien que faute d’une haie d’arbres pour les protéger du vent, ses vaches auront froid et donneront moins de lait. Depuis plus de cinquante ans, des voix attirent l’attention sur la destruction des haies. Aujourd’hui des programmes de replantation sont lancés.
En son temps (des années 1950 aux années 1970), André Pochon, précurseur et avocat d’une agriculture saine et durable, criait déjà dans un désert. Alors que l’agriculture française versait dans l’intensif industriel, le jeune agriculteur des Côtes-d’Armor prônait une agriculture plus harmonieuse avec la nature, respectueuse d’immuables règles agronomiques. Sa trouvaille d’éleveur : placer du trèfle blanc dans les prairies, rien que de très naturel, en lieu et place des engrais azotés.
Aujourd’hui retraité dans la banlieue de Trégueux, on le retrouve à l’heure de l’apéro au coin du feu, après avoir croisé des dizaines d’ouvriers du cochon en colère aux abattoirs de Lamballe. Pourfendeur de l’élevage hors-sol (où les bêtes sont alimentées par des céréales en stabulation et non par de l’herbe en prairie), « Dédé » Pochon a fondé le Centre d’étude pour un développement agricole plus autonome (Cédapa) en 1982. Le déjeuner terminé, il nous guide auprès de Jeanne et Dominique Calvez, jeunes éleveurs, récemment installés près de Lamballe. D’heureux producteurs de lait bio, ayant choisi de vivre et travailler avec les méthodes Cédapa.
Pendant ce temps, nombres de créatures attendent impatiemment que des haies soient plantées pour venir y loger. La crise du logement ne concerne pas que les humains. Sans parler des hérissons, des lapins, des taupes et de tous les insectes possibles ou impossibles, sans parler des mûres, des baies, des aubépines impatientes de fleurir, je me limite à citer quelques oiseaux en demande de logement : le coucou gris, la grive musicienne, le merle noir, le troglodyte, le chardonneret élégant, le pinson des arbres, le verdier d’Europe, la fauvette des jardins, la mésange à longue queue…
Programmation musicale :
– Monsieur Durand : Lucien, Agriculteur
– Pascal Parisot & Charlie-Rose Parisot : Mes parents sont bios
– Jules Marquard : 20 ans à la campagne