Ramón Chao était un homme hors-série, plusieurs mondes à lui tout seul. En 1998, avec l’ami Giv Anquetil, il nous a fait découvrir sa terre d’origine, la Galice, entre le Cap Finisterre, la fin du monde connu, et Compostelle et son fameux « Lavacolla »… En hommage, nous invitons vos oreilles à déguster cette balade jubilatoire en six étapes imprévues entre réalisme et magie, dans cette « société matriarcale et bovine » :
Salut Ramón !
Une journaliste de notre équipe affirmait que Ramón Chao était le seul de toute l’histoire de l’humanité à prononcer le mot « rebelle » d’une façon qui vous donnait immédiatement envie de rejoindre la guérilla.
On dit généralement beaucoup de mal de la mort, mais je pense qu’il est temps de revoir ce jugement. Sans elle, nous n’aurions pas mesuré quel bonhomme formidable fut Ramón Chao et quel héritage fertile il laisse pour tous.
Longtemps nous avons fréquenté la même machine à café. Ramón était notre voisin à la Maison de la Radio, nous à France Inter, lui à Radio France Internationale. Dès qu’il entrait dans le bureau, précédé par cette voix unique qu’il avait, c’était toujours un moment de jubilation. À quel propos ? À propos de la belle Otero, de la moto de Che Guevara, des sonates de Schubert, à propos de Luis Buñuel ou de Georges Brassens, à propos d’Aracataca, à propos de son génial fils Antoine et sa radio éphémère, à propos de son génial fils Manu et sa tournée mondiale, à propos des vaches en Galice qui dorment avec les gens. Ramón Chao était un monde hors-série.
Tout ça, c’était au fil des jours et des années, mais soudain, la mort a fait ressurgir tout ça à la fois, comme un bouquet. Pas une couronne mortuaire, au contraire un bouquet d’énergie, d’érudition, de lutte, de rumba et de fraternité. Si bien que la tristesse se demande ce qu’elle fait là. Elle se sent inutile avec ses bras moches qui n’enlacent plus personne et qui ne bougent même plus pour lever le poing.
Car voilà que d’autres images arrivent : Ramón et son étoile rouge, tatouée sur l’épaule, barrée d’une main noire, la mano negra ; Ramón qui évoque Guernica et le pays basque de sa femme, Feliza ; Ramón qui part de Paris en Vespa jusqu’à Compostelle pour en finir avec le mythe de Saint-Jacques ; Ramón et son vieux frère Ignacio Ramonet qui montent des impostures aux officiels repus… Ramón qui s’endort tranquillement juste au moment où le concert de Manu démarre dans une sono d’enfer ; Ramón à Cuba avec son copain Woźniak ; Ramón en train d’écrire Un train de glace et de feu, qui raconte le voyage improbable de la Mano Negra en Colombie, et où, à chaque représentation, il devait se déguiser en ours…
Et puis la Galice, avant tout la Galice ! Nous y voilà. En septembre 1998, avec l’ami Giv Anquetil, Ramón nous a fait découvrir la Galice : deux semaines de reportages jubilatoires, que nous vous proposons de réécouter. Prenez votre temps, attendez un moment tranquille pour savourer ça. Pour Ramón, le réalisme magique était né en Galice. « Réalisme magique », deux mots qui le résument. Mais d’abord : « rebelle » !
Salut Ramón.
1ère étape : le cap Finisterre
Cap Finisterre. Brouillard et corne de brume. On commence là où finit la terre, la fin du monde connu. Courants terribles et naufrages, voici la côte de la mort. À la tombée du jour, les pèlerins viennent ici brûler leurs vêtements et leurs chaussures :
Un reportage de Daniel Mermet, Ramón Chao et Giv Anquetil diffusé pour la première fois sur France Inter le 1er octobre 1998.
2ème étape : A Pobra do Caramiñal
A Pobra do Caramiñal. Mieux vaut marcher à côté de votre cercueil que d’être dedans. Chaque année, grande procession d’action de grâce. Ceux qui ont survécu promènent un cercueil vide (encore vide) entre pétard et fanfare :
Un reportage de Daniel Mermet, Ramón Chao et Giv Anquetil diffusé pour la première fois sur France Inter le 30 septembre 1998.
3ème étape : le billet de loterie
Juan le balayeur achète un billet de loterie, mais voilà qu’il meurt le lendemain en pleine rue. Consternation. Mais le billet qui était dans sa poche ? Il a disparu ! Une enquête haletante :
Un reportage de Daniel Mermet, Ramón Chao et Giv Anquetil diffusé pour la première fois sur France Inter le 30 septembre 1998.
4ème étape : la belle Otero
« Ruine-moi mais ne me quitte pas ! » La belle Otero rendait les hommes cinglés, on ne sait plus combien se sont suicidés pour ses beaux yeux d’Andalouse. Et non, pas Andalouse, mais Galicienne ! Mais quelle importance, disaient les princes énamourés devant celle qui pouvait faire l’amour sans souci avec cinq ou six hommes à la fois : « on dit qu’elle est galicienne ? Non, elle est divine » :
Un reportage de Daniel Mermet, Ramón Chao et Giv Anquetil diffusé pour la première fois sur France Inter le 6 octobre 1998.
5ème étape : l’auberge Fogar Do Santiso
Les « critères de convergence » imposés par l’Union européenne ont entraîné l’acculturation irréversible des vieux pays d’Europe. Ainsi, les vaches de Galice, vaches sacrées pour les habitants, ont été abattues sur ordre de Bruxelles. Avec Rocio Santa Cruz et Ramón au sujet d’« une société matriarcale et bovine » :
Un reportage de Daniel Mermet, Ramón Chao et Giv Anquetil diffusé pour la première fois sur France Inter le 1er octobre 1998.
6ème étape : Compostelle
Priscillien de Compostelle. Tous les chemins mènent à Saint-Jacques-de-Compostelle. Mais il y a une controverse. Les reliques de Santiago seraient en réalité celles de Priscillien, un hérétique qui fut décapité. Ramón Chao en a fait un livre sans oublier, en arrivant avant d’entrer dans Compostelle, de passer par le lava colla, le lave-couilles :
Un reportage de Daniel Mermet, Ramón Chao et Giv Anquetil diffusé pour la première fois sur France Inter le 7 octobre 1998.
Sandrine Morel, correspondante du Monde à Madrid, a retracé le parcours de Ramón dans un article paru le 23 mai :
Le Monde : Mort du journaliste et écrivain espagnol Ramón Chao
Amoureux de la musique, le père de Manu Chao avait commencé sa carrière comme critique musical.
L’écrivain, essayiste et journaliste espagnol Ramón Chao est mort, dimanche 20 mai à Barcelone, à l’âge de 82 ans. Ex-critique littéraire pour Le Monde et rédacteur en chef pour l’Amérique latine à Radio France internationale (RFI), Ramón Chao a passé la plus grande partie de sa vie à Paris.
Né 21 juillet 1935 à Vilalba, dans la province de Lugo, en Galice, où son père était revenu s’installer après avoir émigré et vécu plusieurs années à Cuba, Ramón Chao était le benjamin d’une famille de six enfants. Avant de se prendre de passion pour le journalisme, c’est son amour de la musique qui marque sa jeunesse. À 11 ans, ce jeune virtuose du piano part à Madrid étudier la musique grâce à une bourse provinciale.
Dix ans plus tard, son talent lui permet de poursuivre sa formation à Paris grâce à une bourse du Commissariat d’éducation populaire du gouvernement espagnol. C’est là que naîtront ses deux fils, auxquels il transmet son amour de la musique, le chanteur Manu Chao et le reporter Antoine Chao, tous deux fondateurs du célèbre groupe de rock alternatif Mano Negra.
Lui se tourne rapidement vers le journalisme, tout en gardant les tics du musicien. « Ce qui est le plus important pour moi, c’est la musique. J’étais pianiste, expliquait-il sur RFI en 2002. Et la musique, la composition est restée ancrée et j’écris, un article ou un roman, avec les chemins musicaux de la sonate ou de la fugue… »
Interviews de Borges, Neruda…
En 1960, Ramón Chao devient ainsi d’abord critique musical pour l’Office de radiodiffusion télévision française (ORTF). Il dirige des émissions en galicien – langue alors interdite par la dictature –, jusqu’à la suppression des programmes en galicien, catalan et basque. En 1968, il est nommé directeur du service des langues ibériques de Radio France et commence à écrire pour l’hebdomadaire espagnol Triunfo, référence intellectuelle et culturelle de la gauche espagnole sous le franquisme, souvent censurée par la dictature. Fidèle à sa terre natale, il écrivait aussi pour le quotidien régional La Voz de Galicia.
Pour RFI, il a interviewé quelques-unes des plus grandes personnalités culturelles latino-américaines et espagnoles, de Jorge Luis Borges à Pablo Neruda, en passant par Carlos Saura et Julio Cortazar, parfois avec le journaliste Ignacio Ramonet, ancien directeur du Monde diplomatique, dont il était proche.
Nommé chevalier des Arts et des Lettres en 1991, il a publié durant sa longue carrière une vingtaine d’essais et des romans sur des thèmes variés, de son premier, sur Georges Brassens (1973), à son dernier sur Cuba (Flammarion, 2008), en passant par le récit d’une tournée de Mano Negra en Colombie, Un train de glace et de feu (Actes Sud, « Babel », 1999), ou un roman sur l’exil de milliers de républicains espagnols vers le Chili, L’Odyssée du Winnipeg (Buchet-Chastel, 2010).
Ramón Chao en quelques dates
21 juillet 1935 Naissance à Vilalba (Galice)
1960 Critique musical à l’ORTF
1968 Directeur du service des langues ibériques de Radio France
1991 Nommé chevalier des arts et des lettres (puis officier en 2004)
1999 Un train de glace et de feu (Actes Sud)
2010 L’Odyssée du Winnipeg (Buchet-Chastel)
20 mai 2018 Mort à Barcelone