C’était en novembre 2021, un reportage avec les mélenchonistes qui font du porte-à-porte dans la France invisible. Courageux mais pas nombreux, Emma, Clarence et Pierrick, trois vaillants militants. Aucun d’eux – ni personne à cette époque – n’aurait pu imaginer que six mois plus tard une nouvelle union de la gauche pouvait être capable d’imposer changements et ruptures.
Nouvelle union populaire écologique et sociale. C’est pourtant avec ce genre d’union que l’ami François Ruffin s’est fait élire en 2017 dans la Somme. Avec la France insoumise, le Parti communiste, Europe Écologie-Les Verts (et même des socialistes !), il l’a emporté sur l’extrême droite pourtant bien implantée dans l’électorat populaire du coin.
Cette fois rebelote, Ruffin repart pour un tour. Après cinq ans à l’Assemblée, le député-reporter veut rempiler. Mais attention, c’est pas gagné, dit-il. Du coup c’est fanfare, pétanque et karaoké à Flixecourt dans la Somme, 3 200 habitants. Une mairie communiste depuis 1965, mais 44 % pour Marine Le Pen au premier tour. Une de ces régions frappées depuis longtemps par les délocalisations. C’est là que Ruffin lance sa campagne. La France des jetables, c’est la France écrasée par 40 ans de mondialisation heureuse, et si souvent trompée par la gauche bourgeoise qu’elle a glissé lentement mais sûrement dans la gadoue brune de l’extrême droite. La sortir de là, c’est du boulot, mais pour Ruffin c’est là que ça se passe avant tout. Flixecourt était un haut lieu de l’industrie textile. Des files de maisons en briques rouges évoquent cette époque. Pour Ruffin, ce rouge-là est recouvert d’une couche de brun. C’est cette couche de merde brune qu’il faut enlever. Pour ça, il faut commencer par comprendre tous ces « fâchés pas fachos » qui gonflent une extrême droite qui, depuis 35 ans, constitue l’épouvantail qui permet au pouvoir néolibéral d’occuper le pouvoir. Une extrême droite qui a encore gagné du terrain derrière la victoire en trompe-l’œil de Macron à la récente présidentielle. Cette France à l’abandon où prospère l’extrême droite est le résultat des politiques de désindustrialisation depuis plus de quarante ans, sans aucun plan de reconversion. Depuis longtemps la France est championne des délocalisations vers des pays à faibles coûts. De millions d’emplois ont été ainsi détruits, des mondes sociaux disloqués, des cultures populaires anéanties. Nous répétons tout cela depuis longtemps. La France s’en va en friche et les Français s’en fichent.
À cet abandon s’ajoute le mépris. Un mépris de classe qui a infusé depuis fort longtemps. Ça a été la figure du beauf, le bidochon, le Dupont Lajoie, le fan de Johnny ou de Patrick Sébastien, les Deschiens ou encore le rap. Un président de Radio France (un brillant énarque) avait recommandé que l’on ne programme pas de rap sur les antennes. On l’a encore vu ces temps derniers dans certaines invectives contre Fabien Roussel, le candidat du Parti communiste. La bourgeoisie de gauche avide de distinction a propagé ce mépris jusqu’à sa stupéfaction soudaine le jour où des énergumènes en gilets jaunes sont venus mettre le feu aux Champs-Élysées.
Des fachos ? Non, pas plus que les fâchés qu’il faut convaincre de diriger leur colère contre d’autres cibles que des étrangers imaginaires. Du Front populaire au référendum de 2005, on a des exemples dans le passé. Ça peut marcher si les buts et les moyens sont efficaces et si l’élan est là. Et si trois militants sont là en novembre. Car n’oublions pas, ils ont l’argent, mais on a les gens !