Qui cueille mes fraises, qui ramasse mes asperges, qui met mes radis en bottes ?

QUELS BRAS POUR NOS ASSIETTES ? Abonnés

1

Le

Quels sont les fruits et légumes les plus riches en pesticides ? Aujourd’hui, le consommateur hésite à se laisser empoisonner, et l’industrie alimentaire est obligée de tout repeindre en vert et en bio. Mais qui fait le boulot ? Qui cueille mes fraises, qui ramasse mes asperges, qui met mes radis en bottes ? Réponse : des étrangers.

À 80% la main-d’œuvre dans le maraîchage en France, vient de Roumanie, de Pologne, du Portugal ou du Maghreb, selon l’Office Français de l’Immigration. Que des étrangers. Quand Marine Le Pen sera au pouvoir, la France sucera des cailloux. Et là, avec la Covid, on n’en était pas loin. Les frontières étant fermées, on craignait de voir arriver la pénurie alimentaire. Nos domestiques ne pouvaient plus venir se casser les reins dix heures par jour pour garnir nos assiettes. Même panique à travers toute l’Europe, du moins chez les riches.

C’est alors qu’un certain Didier Guillaume lança un appel grandiose. « Rejoignez la grande armée de l’agriculture française ! » Un ton moitié de Gaulle, moitié Mao Tse-toung. On était le 24 mars et Didier Guillaume est le ministre français de l’Agriculture [1]. 200 000 emplois étaient à pourvoir de toute urgence, selon le ministre. 300 000 se sont tout de suite inscrits, toujours selon le ministre. « Inscrits » ne veut pas dire au travail. En réalité, à peine 15 000 se sont présentés et la plupart ne sont pas restés.

Et pourquoi ça ?

Parce que le Français, c’est bien connu, ne veut pas bosser, surtout la jeunesse. Notez, c’est peut-être qu’ils ne sont pas formés, ou bien parce qu’ils ne sont pas de la campagne, c’est pour ça.

Mais peu, bien peu de voix pour dire tout simplement que le boulot est très dur, payé au minimum, plus de dix heures par jour, plus de 70 heures par semaine, sous des serres parfois à 50 degrés. Bref, pas très engageant. Alors, sous la pression des exploitants (ne pas forcément confondre exploitant et exploiteur), le gouvernement a dû ouvrir les frontières aux saisonniers étrangers. Mais attention, uniquement les Européens. Pas question d’employer des réfugiés en renfort. Macron préfèrerait nous voir crever de pénurie alimentaire, plutôt que de froisser la sensibilité d’un électeur d’extrême droite.

En Italie, pour combler le manque de main-d’œuvre dans l’agriculture, le gouvernement envisage de régulariser 200 000 migrants illégaux [2]. Évidemment, l’extrême droite hurle comme le cochon qu’on égorge. En réalité, ces 200 000 illégaux sont depuis longtemps exploités et sous-payés par des entreprises contrôlées par des mafias, qui ont une conception très spéciale du dialogue social.

Mais le gouvernement français n’a pas eu cette intrépidité. Le saisonnier agricole doit être strictement européen. Faites-le entrer, et vite. Avec les consignes de protection, bien entendu.

En réalité, vu l’urgence, il ne fut pas question de masques, gel, gants, et autres « gestes barrières ». Nos fraises et nos radis passent d’abord.

Mais pourquoi ces saisonniers acceptent-ils ces conditions ?

Affaire de survie, et de niveau de vie, bien sûr. En France, ces travailleurs en bavent, mais ils touchent deux à trois fois plus que pour le même travail dans leurs pays. Le SMIC polonais est à 600 euros, le SMIC roumain à 466 euros et le salaire minimum portugais à 740 euros [3].

On retrouve cette forme d’exploitation partout et depuis longtemps. Naguère, c’était les « chemineaux » ou les « trimards », qui vendaient leurs bras d’une récolte à l’autre, des pommes aux betteraves, des moissons aux vendanges, exploitables et corvéables à merci, le baluchon au bout d’un bâton sur le dos.

Les saisonnières polonaises font partie de la première ligne, puisqu’il s’agit d’une guerre, nous dit-on. Une guerre avec ses planqués, ses profiteurs, ses bourreurs de crâne et avec toute cette piétaille, les soignants, les aides à domicile, les caissières, les livreurs, les chauffeurs, les éboueurs et toute la chair à canon. On les appelle aussi les « key workers » : ceux qui font les boulots indispensables. Le virus les a mis en évidence à travers le monde.

Au monstre nommé coronavirus, les anciens auront payé le plus lourd tribut, mais aussi les modestes et les vulnérables. Une récente étude de l’Observatoire régional de santé Île-de-France montre une surmortalité exceptionnelle dans la Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre [4]. Les premiers de cordée ont envoyé les premiers de corvée au casse-pipe et ils ont laissé les quartiers pauvres sous les bombes. Oui, c’est une guerre, c’est leur guerre.

Daniel Mermet


Abonnez-vous pour accéder à tous nos contenus, c’est très simple !

Depuis 1989 à la radio, Là-bas si j’y suis se développe avec succès aujourd’hui sur le net. En vous abonnant vous soutenez une manière de voir, critique et indépendante. L’information a un prix, celui de se donner les moyens de réaliser des émissions et des reportages de qualité. C’est le prix de notre travail. C’est aussi le prix de notre indépendance, pour ne pas être soumis financièrement aux annonceurs, aux subventions publiques ou aux pouvoirs financiers.

Je m'abonne J'offre un abonnement

Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous

C'est vous qui le dites…Vos messages choisis par l'équipe

Les bouquins de LÀ-BASLire délivre

  • Voir

    La bibliothèque de LÀ-BAS. Des perles, des classiques, des découvertes, des outils, des bombes, des raretés, des bouquins soigneusement choisis par l’équipe. Lire délivre...

    Vos avis et conseils sont bienvenus !

Dernières publis

Une sélection :

Noam CHOMSKY et Jacques BOUVERESSE. Dialogue au Collège de France avec Daniel MERMET (texte, vidéo et PODCAST) CHOMSKY, ORWELL, RUSSELL : LA VERITÉ, POUR QUOI FAIRE ? Que peut la vérité face au complotisme d’extrême droite ? AbonnésVoir

Le

Pour George ORWELL, c’est un point fondamental. « Ce qu’il y a d’effrayant dans le totalitarisme, ce n’est pas qu’il commette des atrocités, mais qu’il s’attaque au concept de vérité objective : il prétend contrôler le passé aussi bien que l’avenir. »

Le 31 mai 2010, à l’occasion du colloque « Rationalité, vérité et démocratie : Bertrand Russell, George Orwell, Noam Chomsky » organisé par Jacques Bouveresse au Collège de France, Daniel Mermet s’entretenait avec Jacques Bouveresse et Noam Chomsky sur le thème du concept de vérité. Y a-t-il « une vérité objective, en dehors de nous, quelque chose qui est à découvrir et non qu’on peut fabriquer selon les besoins du moment » ?

Avec le texte intégral de cette rencontre, nous vous proposons la vidéo réalisée par les Mutins de Pangée.

Hommage à Pierre Seel Accès libreÉcouter

Le

Hommage à Pierre SEEL, récemment disparu, déporté au camp du Struhoff en Alsace parce que homosexuel.
Les homosexuels devaient porter un triangle rose, on estime que 10 000 à 15 000 personnes ont été tuées par les nazis selon lesquels l’homosexualité représentait un danger pour l’homme.

Trop longtemps abusés, invisibles et tondus jusqu’à l’os. Un reportage de Dillah Teibi MAIS QUI SONT CES GUEUX EN JAUNE ? AbonnésÉcouter

Le

À la cour du président des riches, on s’interroge. Qui sont ces gueux sous nos fenêtres ? Pourquoi ces brailleries et ce grabuge alors que nous faisons tout pour leur bien ? Du côté des experts médiatiques et des voyantes ultra-lucides, on se demande quelles sont ces gens-là , des beaufs racistes et violents ou juste des ploucs avec leurs bagnoles qui puent ? Des fachos ou des fachés ? Faut-il les lécher ou les lyncher ?