Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand, toi ? Routier, on disait. Routier. Routier c’était comme pompier, pilote de guerre, ou scaphandrier. Le routier, c’était un héros, c’était la légende. C’était la chanson d’Yves Montand [1], c’était Max Meynier, avec ses grosses moustaches. Les routiers sont sympas ! Les routiers c’était la nuit, c’était la route, « on the road again ». Et on disait « beau comme un camion », ça se disait ça. Vous aviez les cabines, avec les pin-up, on regardait ça en biais quand on était gamin. Et puis il y avait la Cibi (Citizen Band), ô la Cibi, les routiers avec leur Cibi avaient constitué un vrai réseau. Ça déplaisait complètement au pouvoir, c’était une vraie confrérie. Et puis les petits restaurants, les routiers. Nappes à carreaux, blanquette de veau : casser la croûte sur la route, c’était l’expression.
Hé bien, tout ça c’est un peu fini. « C’est parti » comme on dit, peut-être pour longtemps, peut-être définitivement. La roue tourne : il y a eu la libéralisation en 1993 [2], souvenez-vous, et puis la désindustrialisation, et puis l’irrésistible déclin, la concurrence européenne, les grandes boîtes qui ont préféré exploiter le routier bulgare ou polonais à moitié-prix du routier français. Et puis bientôt, le camion sans chauffeur, des convois de camions sans chauffeur. La révolution numérique risque même d’inventer le train de marchandises !
Tout ça n’est pas très gai, tout ça est un blues. Le blues d’Antoon, aujourd’hui. S’il ne reste qu’un routier, ce sera celui-là : Antoon, avec qui Sophie Simonot est partie faire un tour en camion.
Écoutez le reportage par chapitres :
Programmation musicale :
– DIO : Holy Driver
– Thorbjorn Risager : Precious Time
– Niobé : Le routier
– Renaud : Le camionneur rêveur
Merci à Antoon Janssens, à sa famille Corinne, Lucille et Justine, à son patron Christian Ferouel de la société Staf et aux exploitants Hubert et Charlotte pour nous avoir permis de passer deux jours dans le camion d’Antoon.