« ELLE PERMET DURABLEMENT DE NE PAS DÉSESPÉRER »
C’est comme ça que son ami François Maspero parlait d’elle.
Et c’est ce qu’il faut retenir d’elle.
Monique Hervo, qui a quitté cette terre le 20 mars dernier à 95 ans, restera une superbe figure de la solidarité humaine avec une modestie à l’inverse des m’as-tu-vu de « l’engagement ». En hommage nous rediffusons trois émissions réalisées avec elle.
Elle témoigne des douze ans qu’elle a passé dans le bidonville de Nanterre appelé « la Folie » parmi les immigrés algériens pendant les années de guerre jusqu’en 1962, puis dans leur quotidien jusqu’à la disparition du bidonville en 1971. Ensuite elle a milité au sein du Gisti et plus tard à la Cimade, vivant jusqu’au bout dans une caravane dans la grande banlieue de Paris, avec ses bouquins, ses archives, ses photos et ses enregistrements sonores.
« Militante associative ». Cette définition l’agaçait. Pour elle, « faire du social » c’est dire « je sais ce qu’il faut pour l’autre, alors que c’est l’autre qui sait ce qu’il faut pour lui-même ». Comme la philosophe Simone Weil qui avait voulu éprouver la condition ouvrière en allant travailler en usine, Monique Hervo a partagé la vie des habitants du bidonville de si près qu’elle fut la seule française dans la manifestation du 17 octobre 1961.
Je l’avais rencontrée une première fois au cours du procès de Maurice Papon contre l’historien Jean-Luc Einaudi début février 1999. Sachant que j’avais été moi-même témoin des massacres du 17 octobre sur le pont Saint-Michel, Einaudi m’avait demandé de venir témoigner au tribunal parmi d’autres témoins. C’est là que j’ai fait la connaissance de Monique Hervo. Son témoignage vécu de l’intérieur, à la fois sensible et précis, était bouleversant. Papon fut débouté et Jean-Luc Einaudi eut la relaxe. Il avait fallu trente huit ans pour que le préfet de police Papon, l’instigateur de ces massacres, soit condamné.
Par la suite, je n’ai jamais oublié un dîner avec elle et François Maspero son éditeur et son ami.Monique Hervo racontait ce qui avait été le point de départ de son engagement. En mai 1945, elle avait seize ans. À la Gare de l’Est à Paris, avec l’équipe de jeunes scouts dont elle faisait partie, elle était volontaire pour brancarder les survivants qui arrivaient depuis les camps de concentration qui venaient d’être libérés. Dans le hall de la gare un orchestre jouait en guise d’accueil et des notables prenaient des poses avantageuses peut être bien pour faire oublier leur récente proximité avec l’occupant ?
Amoureuse de l’Algérie, Monique Hervo était naturalisée algérienne depuis 2018, c’est dans ce pays qu’elle a été inhumée et que des hommages lui ont été rendus. En France, des chercheurs, des journalistes, des amis fidèles lui ont rendu hommage et ne l’oublieront pas. Grâce à eux, ses archives sont classées et accessibles. Mais la nomenklatura est plus réservée.Tout comme dans le cas de Gisèle Halimi ou d’Alfonso Kaminsky, la France officielle est embarrassée par la mémoire de ses anticolonialistes, on ne veut pas trop froisser l’extrême droite et sa « nostalgérie ».
C’est bien ainsi, Monique Hervo dérange toujours.
On attend juste le sculpteur qui réalisera un monument qui aurait la forme de sa caravane et que l’on pourrait visiter avec ses livres, ses photos et les voix de celles et ceux qu’elle a enregistrés.
Une caravane qui passerait avec quelques chiens qui aboieraient.
(1/3) Écouter l’émission :
Monique Hervo, solidaire et engagée
À l’occasion du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en 2012, Monique Hervo évoque son parcours et son engagement dans le bidonville de Nanterre au temps où le FLN "encadrait" les travailleurs algériens en France.
Reportage de Charlotte Perry (Émission du 11 janvier 2012)
Réalisation : Bertrand Chaumeton et Franck Haderer
(2/3) Écouter l’émission :
Monique Hervo, 17 octobre 1961
Dans la caravane où elle a vécu jusqu’à la fin de sa vie, Monique Hervo parle des massacres du 17 Octobre 1961. Vivant au milieu du bidonville parmi les familles algériennes, elle est la seule française à avoir participé à la manif sauvagement réprimée par la police du préfet de police Maurice Papon.
Reportage de Charlotte Perry (Émission du 12 janvier 2012)
Réalisation : Bertrand Chaumeton et Franck Haderer
(3/3) Écouter l’émission :
Monique Hervo, solidaire et singulière
Solidaire mais singulière, Monique Hervo a laissé de nombreuses photos de la vie quotidienne du bidonville et aussi des entretiens enregistrés avec les habitants. On retrouve ces enregistrements que nous avions numérisés pour cette émission. Ces archives sont aujourd’hui sauvegardées ainsi que ses photos. Solidaire mais singulière.
Reportage de Charlotte Perry (Émission du 13 janvier 2012)
Réalisation : Bertrand Chaumeton et Franck Haderer
MONIQUE HERVO PHOTOGRAPHE
Voici un choix parmi les centaines de photos qu’elle a réalisées durant les 12 ans passés dans ce bidonville à Nanterre, tout près de Paris et des beaux quartiers.
Le fonds photographique Monique Hervo est consultable en ligne : l’Argonnaute, bibliothèque numérique de La contemporaine (il n’est pas nécessaire de s’inscrire pour le consulter). Il illustre principalement la réalité du quotidien à la Folie dans les années 1960. On y voit bien entendu la misère mais aussi des moments de joie, de vie familiale et solidaire.
SA BIOGRAPHIE :
Née en 1929, Monique a seize ans en mai 1945. Membre des guides de France, elle fait partie des équipes d’accueil pour ceux des déportés qui reviennent des camps. En 1947 elle entreprend des études d’arts décoratifs à Grenoble, puis les Beaux arts à Paris de 1951 à 1955. Maitre Verrier à partir de 1956, elle réalise des vitraux. Parallèlement, dès 1956, elle donne des cours d’alphabétisation pour les travailleurs algériens, et s’engage comme bénévole sur les chantiers d’urgence, pour l’amélioration de l’habitat, et devient permanente au Service Civil International.
En 1959 elle entre, s’installe et travaille dans le bidonville de Nanterre, partage le quotidien des familles habitantes et fera partie du cortège de la manifestation durement réprimée du 17 octobre 1961. Ecrivain public, permanente à l’Association pour la promotion algérienne, elle demeurera dans le bidonville jusqu’en 1971, date à laquelle il sera résorbé. Après avoir été dessinatrice maquettiste chez Maspero puis aux PUF, elle participe en 1972 à la fondation du Gisti (groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés) au sein duquel elle militera de 1973 à 1977 et apportera son soutien à la lutte des foyers de travailleurs africains. Elle entre comme permanente salariée à la Cimade et devient responsable du service « Logement des immigrés ». De 1981 à 1986 elle travaille à la résorption des cités « Sonacotra », puis elle devient professeur à Grenoble dans le cadre de l’insertion professionnelle.